WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
L’équipe Infolettre   |

Rencontre avec Marc Fitoussi

Par Guilhem Caillard
DANS LE SILLAGE DE LA COMÉDIE FRANÇAISE

Venu présenter son deuxième long métrage, Copacabana, dans le cadre du Festival de films francophones Cinemania, le réalisateur Marc Fitoussi a bien voulu répondre à nos questions.
 
Panorama-cinéma : Dans Copacabana, Babou n’est entourée que de personnages qui revendiquent leur état de crise : Esméralda, en premier lieu, dans la relation conflictuelle avec sa mère, est en crise; Lydie, la chef d’équipe de l’entreprise qui embauche Babou, est toujours en train de hurler sur son copain au téléphone; Suzanne, ex-meilleure amie de Babou, en pleine crise de la quarantaine, ne supporte pas son embourgeoisement… Or, s’il y a bien un personnage qui devrait revendiquer avant les autres son état de crise, c’est bien celui de Babou (Isabelle Huppert). Pourtant, elle semble s’en moquer. Votre film serait-il un pied de nez à la mentalité de crise?
 
Marc Fitoussi : C’est très juste. C’est le personnage de Babou que je défends le plus : elle a de bonnes raisons d’aller mal, mais se relève toujours. Elle a mené sa vie de manière à ce qu’elle soit ludique. Des journalistes l’ont qualifiée de pur produit de mai 68. Je pense qu’elle est complètement apolitique, elle n’a rien d’une militante. Si elle ne sait pas garder un boulot plus de deux jours, c’est parce qu’elle s’y ennuie. Nous avions tourné une séquence, que nous n’avons finalement pas gardé, où elle ouvrait un livre et le refermait aussitôt : elle est incapable de se concentrer. Elle et son ami Patrice, joué par Luis Rego, sont en fait des personnages qui font le choix difficile de la précarité : loin de la réussite sociale, ils se contentent de peu. En même temps, Babou n’est pas présentée comme une hédoniste: j’ai voulu en faire le portrait d’une solitude. Dans le refus de cet « état de crise », elle est mise de côté, montrée du doigt. Le film montre combien il est facile aujourd’hui de faire profil bas et de rentrer dans le moule. C’est le cas de Lydie qui est complètement dévouée et résignée à son travail : elle ne supporte pas l’originalité de Babou même si le temps d’une soirée passée avec elle, tout cela l’amuse et l’extirpe de ses problèmes. C’est précisément cela que je trouve très angoissant aujourd’hui : les gens deviennent facilement neutres.
 
Panorama-cinéma : Depuis quelques mois, la littérature française a vu émerger un grand nombre de romans d’entreprise, des drames du management moderne : L’enquête de Philippe Claudel explore les pressions exercées dans le monde kafkaïen du travail… Avec la récente vague de suicides chez France Télécom (entreprise de télécommunications), ces récits semblent profondément ancrés dans l’actualité. Avez-vous aussi ressenti le besoin, ou même l’urgence, d’explorer cette problématique? La comédie vous est-elle apparue comme le moyen le plus approprié?
 
Marc Fitoussi : Je crois en effet que la comédie est dans ce cas très appropriée. Pour avoir assisté à plusieurs séances tests avant le lancement du film, je me suis rendu compte que très peu de spectateurs se sentaient concernés. Le cinéma ne peut pas changer la donne, c’est certain. Rares sont ceux qui, après avoir vu mon film, vont se sentir emportés par un regain de liberté et diront « merde » à leur patron. Pour moi, la comédie est, certes, une bonne façon de délivrer un message, mais sans qu’il ne soit trop plombant. C’est drôle que vous fassiez référence à France Télécom parce que je suis en train de monter un scénario sur ce sujet qui m’échappe : je ne comprends toujours pas pourquoi autant de suicides en si peu de temps. Cette fois-ci, ce ne sera pas une comédie. Par ailleurs, je pense que c’est un genre qui est la forme pudique du drame : j’ai un peu de soucis avec les films qui n’optent jamais pour la comédie.


COPACABANA de Marc Fitoussi

Panorama-cinéma
: Et justement, les derniers films avec Isabelle Huppert ont un ton plutôt grave : Un Barrage contre le Pacifique, L’ivresse du pouvoir, Gabrielle, et j’en passe…
 
Marc Fitoussi : Oui. Cela dit, Home d’Ursula Meier travaillait un peu l’humour, mais avec beaucoup de malaise. C’est vrai que lorsque je lui ai proposé le rôle, je pensais qu’elle refuserait étant donné que je me considérais en marge de son registre habituel. C’était une idée reçue.
 
Panorama-cinéma : À part l’affiche du film qui, j’imagine pour des raisons promotionnelles, insiste sur la collaboration d’Huppert avec sa fille, Lolita Chammah, le film donne l’impression d’éviter ce qui paraît être une coïncidence.
 
Marc Fitoussi : Je n’ai jamais souhaité faire un coup médiatique et vendre Copacabana comme LE film dans lequel Huppert et sa fille sont réunies. L’affiche ferait presque contrepoids avec le propos, d’autant qu’elle est en noir et blanc/sépia alors que l’ambiance du film est si colorée et fantaisiste. Au départ, je voulais travailler avec Lolita, que je connaissais déjà bien. Après l’écriture du scénario, je me suis dit, tant qu’à chercher une mère, pourquoi pas la sienne. Evidement, les producteurs et le distributeur ont été ravis. Mais le film est d’abord une comédie sociale sur le monde du travail et la précarité. Le lien mère/fille qui concorde avec la réalité relève davantage du décorum. Après, cela a l'effet de susciter les questions « people » pour ainsi dire… Je fais référence aux journalistes qui n’ont pas cessé de demander à Huppert si sa fille est aussi difficile à vivre dans la réalité quotidienne que dans celle dépeinte par le récit… Pour moi, le véritable atout fut de ne pas avoir à déclancher une pseudo complicité entre les deux actrices puisqu’elle existait déjà. Quoi de plus idéal pour un metteur en scène? Et puis, il faut dire que le lien entre les deux ne saute pas aux yeux : j’ai présenté le film à San Francisco et la majorité du public ne s’en était pas rendu compte.
 
Panorama-cinéma : Un journaliste de Libération décrit Isabelle Huppert comme « courtoise, mais impérieuse », fidèle à une implacable ligne de conduite qui se résume à un « ne m’emmerdez pas! » mêlé de sympathie et d’intelligence. Vous avouez à un autre journaliste avoir d’abord été impressionné par la tranche d’histoire du cinéma français qu’elle incarne…
 
Marc Fitoussi : Habituellement, pour élaborer un rôle avec un acteur, il faut puiser dans son imagination pour, en tant que metteur en scène, lui bâtir une ligne de conduite. Avec Huppert, sa filmographie est tellement importante qu’il suffit de puiser dans ses rôles précédents. Au risque de tomber dans les superlatifs, je dirais aussi qu’elle est une actrice extrêmement impliquée et tout aussi impérieuse. Mais elle sait être détendue. Je me demandais si elle avait besoin d’être dirigée, car après tout, elle a travaillé auprès des plus grands - Chabrol, Cimino, Pialat, Tavernier - aux côtés desquels je n’en suis qu’à mon deuxième long métrage. Eh bien, malgré tout, c’est une actrice qui demande à être beaucoup dirigée.


COPACABANA de Marc Fitoussi

Panorama-cinéma
: Il n’est pas rare d’entendre que le cinéma français est en perdition, proposant des oeuvres vieillissantes. Entre drames familiaux, histoires d’adultère, comédies parisiennes, il laisserait une impression de redite. Votre film intéresse peut-être parce qu’il a plus de tact dans sa manière de percevoir le genre. Quel est votre point de vue à la fois sur votre position et la production actuelle?
 
Marc Fitoussi : J’avoue ne pas forcément me retrouver dans le cinéma français d’aujourd’hui. Je fais de la comédie, mais sur un ton spécifique. J’aime les personnages qui ne sont pas aimables, et c’est peut-être le problème dans les comédies actuelles où les personnages prennent trop la main aux spectateurs. Avec Babou, on peut dire qu’elle est antipathique et égoïste, d’autant que je ne cherche pas à faire de leçon de morale… C’était un peu la même chose avec mon premier long métrage La vie d’artiste. En ce qui concerne le cinéma français en général, je ne serais pas aussi négatif : Cinemania propose, par exemple, cette année du Jacques Rivette, Djinns qui est un film fantastique… La production est très diverse. L’arbre et la forêt est, certes, un nouveau drame familial, et notre cinéma en déborde, mais les interprétations de Catherine Mouchet et Guy Marchand sont d’une grande justesse. Et puis, nous avons de bons réalisateurs de comédie, comme Pierre Salvadori.
 
Panorama-cinéma : Vous avez dit avoir présenté le film à San Francisco, et maintenant que vous faites l’ouverture de Cinemania, comment percevez-vous ce marché américain qui fait tant serrer les dents des exportateurs français?
 
Marc Fitoussi : Pour moi, la présentation à Cannes de Copacabana (Semaine de la critique) a extrêmement facilité les choses. Soudainement, la visibilité est énorme, aussi bien pour le marché nord-américain qu’ailleurs. Pour le Québec, le film a été acheté par Séville. Mais il n’a pas été vendu aux États-Unis et ne le sera certainement jamais malgré l’accessibilité de son propos, malgré Isabelle Huppert… Le marché est extrêmement faible. J’étais à San Francisco pour une Semaine du cinéma français : les salles étaient pleines, le public réceptif et bien existant. En réalité, il y a en Amérique du Nord un vrai public de festival. Il y a même un public d’avant-premières fait de ceux qui viennent pour rencontrer les stars. Et puis, c’est comme tout : il y a là dedans une grande part de chance. Après, même suite à Cannes, le cinéaste vit toujours un éternel recommencement : puisque Copacabana marche bien, je sais que les producteurs m’attendent pour un nouveau projet. Ce qui ne m’empêche pas, comme tout le monde, de devoir confronter de nouvelles commissions, avec des lecteurs septiques. Il y a toujours un retour à la case départ : rien n’est absolu, ce qui fait partie du jeu.


Entrevue publiée dans le cadre du Festival de films francophones Cinemania 2010
Envoyer par courriel  envoyer par courriel  imprimer cette critique  imprimer 
Article publié le 4 novembre 2010.
 

Entrevues


>> retour à l'index