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Rencontre avec Herschell Gordon Lewis : le parrain du gore

Par DJ XL5
Herschell Gordon Lewis est considéré comme le parrain du gore. Né dans les années 20, il envisage d’abord les carrières de violoniste, de compositeur et de chef d’orchestre. Après avoir été découragé par l’un de ses professeurs, il complète plutôt une maîtrise universitaire en journalisme. Il enseigna l’anglais, la littérature et le journalisme durant quelques années, migra successivement de l’industrie radiophonique à la production télévisuelle pour finalement adopter le monde de la publicité en 1954. Après avoir conçu et réalisé plusieurs publicités et films promotionnels, il s’aventure finalement dans le cinéma. Entre 1960 et 1972, il agit à titre de réalisateur, scénariste, producteur, compositeur et directeur de la photographie sur une quarantaine de films d’exploitation, parfois sous des pseudonymes tels que Lewis H. Gordon ou Sheldon Seymour. Son héritage culturel, son approche résolument artisanale et la nature volontairement controversée de ses films ont inspiré au fil des ans un bassin impressionnant de réalisateurs (dont John Waters).

Le festival Fantasia de Montréal présentera le 9 juillet prochain le documentaire Herschell Gordon Lewis - The Godfather of Gore réalisé par Frank Henenlotter et Jimmy Maslon. J’ai eu la chance de réaliser une longue entrevue avec ce créateur pour lequel j’ai énormément de respect. Cet homme a un réel sens du spectacle, une touche personnelle et un sens de l’humour noir. Lewis s’avère être un homme affable, amusant et généreux, bref un réel gentleman!

D’emblée, le réalisateur avoue n’avoir aucune prétention artistique. Il se définit plutôt comme un artisan et un homme d’affaires faisant du cinéma. Lewis admet humblement : « Je suis conscient que mes films n’ont aucune valeur artistique et que le jeu de mes acteurs frôle souvent l’amateurisme, mais j’ai très vite compris que le public de films d’exploitation veut surtout voir de la nudité, du sang et de la violence. Je m ‘efforce de livrer la marchandise environ toutes les huit minutes.  Je suis fier du fait que mes films ont tous été rentables et sincèrement honoré que des milliers de gens les apprécient encore. Tant mieux si les gens les aiment ou s’ils ont inspiré d’autres réalisateurs plus talentueux. Je garde surtout d’excellents souvenirs de certains de mes tournages. J’aime tourner des films et résoudre les divers défis que posent certaines scènes.»

Après avoir réalisé deux films pour adultes, il produit et dirige en 1961 Living Venus en s’inspirant librement de la vie de Hugh Hefner et remarque que la finale sanglante génère de vives réactions. « Mon producteur et moi aimions beaucoup les spook shows, freak shows et autres curiosités de cirques et de carnavals ambulants. Nous avions remarqué que la censure américaine n’interdisait que deux choses à l’époque : la nudité frontale et l’utilisation de mots vulgaires. Rien n’était établi au sujet du degré de violence toléré. Nous avions aussi réalisé que les grands studios ne s’aventuraient pas dans les films « sanglants ». Inspirés par un étrange restaurant égyptien de Chicago, nous avons alors créé ce qui allait devenir Blood Feast. »



En quatre jours de tournage, Lewis réussit à compléter le long-métrage avec un budget modeste. Afin de minimiser les coûts, il écrit, interprète et orchestre la bande sonore (en utilisant un orgue, une grosse caisse, un violoncelle et un trombone), assume la direction photo, réalise le film en utilisant généralement une seule prise par plan, monte lui-même le film et conçoit l’ensemble des effets spéciaux.  Au sujet des scènes gores, Lewis raconte : « Je suis allé dans un abattoir et me suis procuré des entrailles, des organes, un coeur, une cervelle, des yeux et une langue de chèvre. Malheureusement, deux jours plus tard, suite à une panne électrique, la langue en question empestait la charogne. Nous avons dû la nettoyer avec du Pine Sol et la rincer à plusieurs reprises, car l’actrice devait la mettre dans sa bouche pour que l’acteur jouant le meurtrier la lui retire. Le sang posait aussi un problème.  Le sang de théâtre est, à mon opinion, trop liquide et trop mauve. Il fallait trouver un liquide plus visqueux et plus rouge.  Après plusieurs expérimentations, j’ai opté pour un mélange de sirop kaopectate et de colorant alimentaire. »

Blood Feast reste à ce jour son plus grand succès financier, suivi de près par She-Demon on Wheels. Publiciste hors-pair, il attribue une partie de son succès à son titre accrocheur et au phénomène de bouche à oreille - critiques scandalisés, vomissements lors de plusieurs séances, embouteillages devant les cinémas, groupes de protestation, et surtout la naissance d’un nouveau phénomène cinématographique : le gore!

Après deux soft porn inspirés de contes de fées et un drame scabreux, Lewis enchaîne avec 2000 Maniacs, de loin son préféré parmi sa filmographie. « Pour tourner ce film, nous sommes allés à St-Cloud en Floride et avons dit au maire que nous aimerions y tourner une publicité de jus d’orange en utilisant les prochaines fêtes du centenaire du village comme toile de fond. L’idée était de ne pas payer de droits. Non seulement nous avons été accueillis avec enthousiasme par la population, mais avons été considérés comme les invités d’honneur de leurs célébrations. Plusieurs des cérémonies du film sont réelles. Les choses se sont un peu compliquées quand certains habitants ont réalisé la nature réelle de notre projet - l’histoire d’une revanche, cent ans après la Guerre de Sécession, des habitants d’un village sudiste contre d'innocents touristes provenant du Nord. Contrairement à ce que plusieurs journalistes ont écrit, 2000 Maniacs n’a pas été inspiré par la comédie musicale Brigadoon, mais découle plutôt de l’idée de construire un film basé sur le jeu de mots « tourist trap » et de tourner ce dernier au chaud, car les hivers sont froids à Chicago. »

Bien que Color Me Blood Red soit considéré comme le troisième volet de l’infâme trilogie sanglante, le réalisateur confie qu’il n’a jamais entretenu l’idée de créer un triptyque, chaque film étant né d’une idée spécifique. Le réalisateur entretient d’ailleurs une opinion mitigée à l’égard de ce dernier : « Le jeu des comédiens est un peu mieux, mais le son est épouvantable et le tout n’a pas la spontanéité ou le rythme d’un 2000 Maniacs. A Taste of Blood, mon film épique de deux heures, souffre essentiellement des mêmes faiblesses. C’est étrange que certains journalistes aient écrit que Taste est mon film favori. Il est probablement mon plus ambitieux, mais je n’y suis pas particulièrement attaché. »



En 1965, dupé par l’un de ses associés, Lewis perd une somme d’argent considérable alors que son autre associé des premiers jours, David F. Friedman, décide d’aller travailler du côté d’Hollywood. Il se relève rapidement en réalisant des films de genre - dont notamment un soft porn et deux films pour enfants, dont Jimmy, the Boy Wonder, construit autour d'un dessin animé obscur dont il possédait les droits. « Durant cette période, j’ai aussi acheté à rabais un film non complété, Terror at F Day, y ait filmé quelques scènes complémentaires et l‘ai commercialisé sous le titre Monster à Go-Go.  Comme le réalisateur précédent avait omis de tourner avec son, j’ai dû utiliser beaucoup de musique pour compenser et entre les deux tournages, l’acteur jouant le monstre s’est fait greffer des cheveux, alors les scènes supplémentaires que j’ai filmées sont faciles à repérer. »

Sentant la bonne affaire, il décide d’exploiter le LSD et le paranormal comme sujet de base pour son retour au cinéma gore, Something Weird, et ce, même si Lewis désapprouve personnellement l’utilisation des drogues. Le cinéaste garde d’excellents souvenirs de son film suivant, The Blast Off Girls, même s’il estime que ce film rock n’ roll n’a pas très bien vieilli. Après quelques essais et erreurs motivés par des impératifs financiers, Lewis s’aventure du côté du film de motards. « Je suis très fier de She Demons on Wheels. La direction photo posait de beaux défis, comme de filmer à dos de motocyclette; et j’ai eu l’intelligence d’utiliser de vraies motocyclistes plutôt que d’actrices sexy n’ayant jamais enfourché de motos. Je suis aussi très fier des effets gores du film. »

The Gruesome Twosome et Wizard of Gore s’avèrent deux tournages difficiles et le réalisateur reste amer en parlant de ces derniers : « Trop de problèmes de tournage séparent ces films de mes intentions initiales. L’acteur qui devait jouer Montag dans Wizard est parti en claquant la porte en début de tournage et je dois avouer que l’acteur remplaçant n’a pas joué le personnage comme je le souhaitais. »

En 1972, il réalise The Gore Gore Girls, l’un des premiers films d’horreur américains affublé d’une cote X par les censeurs. « C’est une énorme farce et je crois que c’est mon film le plus drôle. Une de mes scènes favorites en carrière est celle des mamelons coupés, le premier pissant du lait et le second, du lait au chocolat.» Après avoir vu The Wild Bunch de Sam Peckinpah, il réalise que les grands studios produiront désormais des scènes sanglantes avec des budgets et des moyens qu’il ne pourra jamais rencontrer. Il abandonne alors le cinéma pour se concentrer sur sa compagnie de publicité, Lewis Entreprise. Au fil des ans, Lewis écrira quelques trente ouvrages notoires sur la conception publicitaire et les stratégies de marketing direct, enseignera la communication, deviendra un conférencier prisé et sera intronisé au Direct Marketing Association Hall of Fame.

Des récents remakes de ses films, Lewis n’a aucune opinion, car il considère que se sont des films trop différents pour établir une quelconque comparaison. En 2002, son ancien partenaire, Friedman, lui offre de réaliser Blood Feast 2: All U Can Eat : « Je n’ai pas écrit, monté ou photographié ce film alors il ne m’appartient pas vraiment. Il y aurait trop de choses à changer pour éventuellement envisager un Director’s Cut. J’envisage un retour au cinéma avec Grim Fairy Tale, une farce sanglante basée sur Hansel et Gretel, les jeux questionnaires télévisés et les émissions de télé-réalité. Tourner des films me manque beaucoup, mais je ne regrette absolument rien - j’adore aussi le monde de la communication! »
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Article publié le 5 juillet 2010.
 

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