WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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Entrevue avec Joe Dante

Par David Fortin et Mathieu Li-Goyette
Joe Dante, cinéaste qu’on ne présente plus, était à Montréal, invité par le Festival Fantasia afin d’accepter un prix honorifique pour souligner l’ensemble de sa carrière. À l’occasion, le festival lui avait préparé un émouvant montage de ses films, puis remis le grand Cheval Noir devant une salle en délire qui n’attendait plus que la projection du film à sketches Nightmare Cinema, une coordination de Mick Garris (Masters of Horror) dans laquelle Dante avait un court film (l’un des meilleurs d’une sélection des plus inégales). Qu’à cela ne tienne, nous le rencontrions le lendemain, avides de nous entretenir avec un des réalisateurs phares du cinéma populaire américain, en plus d’être un immense cinéphile et un défenseur inflexible de la pellicule et de sa bonne conservation.

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Mathieu Li-Goyette : Avec en tête des films comme Gremlins 2 ou The Second Civil War, l’on pourrait croire, en ouvrant notre téléviseur, que nous vivons présentement dans l’Amérique dont vous nous aviez mis en garde. Qu’est-ce que ça vous fait ?
 
Joe Dante : Je me sens terriblement mal ! [Rires] Je suis aussi misérable que nous le sommes tous dans cette situation. The Second Civil War est assez particulier, car même lorsque nous le tournions et que nous regardions les journaux, on tombait sur des histoires qui étaient très similaires à celles que nous étions sur le point de tourner. Et même quelques années plus tard, lorsque le film a commencé à tourner un peu dans des festivals ou des rétrospectives, il était encore d’actualité et ce phénomène n’a fait que s’amplifier. Peut-être n’était-il pas aussi percutant ou profond au moment de sa sortie, mais il s’est développé au fur et à mesure que le monde évoluait en lui ressemblant. Au fil des ans — et c’était en 1997 alors ça fait un petit moment maintenant —, la réalité lui ressemble de plus en plus, avec ces problèmes d’immigration, de sécession du gouvernement, toutes des réalités qui se sont concrétisées ou qui planent aujourd’hui dans l’air. C’est troublant, inquiétant. Et malheureusement, c’est encore le film le plus obscur que j’ai fait parce que HBO ne prend pas soin de ses téléfilms… Si vous cherchez très bien, vous arriverez à mettre la main dessus, mais il faut faire des efforts.
 
MLG : Avec tout ce qui se passe, c’est dommage qu’il ne soit pas en ce moment en train d’être diffusé sur HBO.
 
JD : Tout à fait ! Si j’étais HBO, je le programmerais sans y penser.
 
David Fortin : Vous utilisez souvent la comédie pour nous introduire à l’horreur, voire à différents types de peur. En quoi pensez-vous que les deux sont reliés ?
 
JD : En fait, j’ai toujours pensé que la comédie et l’horreur étaient intimement reliées. D’une part, le cinéma d’horreur tend vers l’absurdité et vous avez besoin de croire en beaucoup de choses afin d’en croire la prémisse. Ensuite, et la comédie et l’horreur sont les genres de prédilection de la salle de cinéma : ils sont toujours mieux expérimentés en compagnie d’un grand public, dans une salle. Non pas chez vous, sur votre petit téléviseur, mais avec d’autres spectateurs, parce que dans les comédies par exemple, c’est justement le rire des autres qui vient aussi nourrir votre rire, au même titre que dans les films d’horreur on est nourri par les cris des autres, leurs silences, les petits bruits qu’ils font dans le noir. C’est un peu le même principe qu’en embarquant dans un manège de montagnes russes… Et je pleure sincèrement le fait que la majorité des gens ne voient plus ces films au cinéma. Le film que nous avons montré hier soir [Nightmare Cinema] est un exemple typique de film qui, s’il n’est pas acheté par un distributeur, finira en vidéo sur demande, ce qui voudra dire que les spectateurs ne pourront que le voir en petits groupes, à la maison. Je ne dis pas qu’ils ne pourraient pas en profiter, je dis surtout que l’expérience n’est pas la même et que c’est cette expérience qu’il faut préserver. Après tout, c’est ce qui nous a fait tomber amoureux du cinéma quand nous étions jeunes, c’est parce que nous avions cette expérience communale qui s’étendait sur nous à travers la noirceur. Et concrètement, bien peu de gens regardent la télévision dans la noirceur.


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:: The Second Civil War (Joe Dante, 1997)

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:: Gremlins 2: The New Batch (Joe Dante, 1990)

 
MLG : Justement, vos films montrent souvent des personnages ou des créatures dans un processus évolutif qui passe par leur relation aux images (les images de film, les images de la télé, les images des médias). C’est tellement devenu une habitude que vos films ont toujours fini par se positionner par rapport aux films qui vous avaient précédés. Diriez-vous que votre travail de critique de cinéma est à l’origine de votre manière de penser la mise en scène et la narration ?
 
JD : Probablement, oui. En partant, j’ai toujours réfléchi tout ce que j’ai fait en fonction de la manière dont ça pouvait s’insérer dans l’histoire du cinéma et de ma propre culture. Quand je faisais un film comme The Howling, nous étions extrêmement conscients des adaptations précédentes du mythe du loup-garou et nous avons puisé dans cette mythologie afin de faire quelque chose qui était novateur à l’époque : nous avions des personnages qui avaient vu ces films et qui savaient déjà ce qu’ils avaient transmis comme vision du mythe. Ils regardent The Wolfman (George Waggner, 1941) à la télévision et savent de quoi il en retourne… Alors ils n’ont pas besoin d’aller voir le médecin et de subir une longue scène d’exposition durant laquelle le public peut se lever pour aller chercher son popcorn. Et ça c’est devenu très commun par la suite, cette idée de personnage réflexif, en avance sur le public en ce qu’il connaît déjà le périmètre dans lequel joue le film.
 
Ensuite, pour revenir à cet héritage de la critique, j’essayais avec The Howling d’invoquer le passé tout en pointant vers l’avenir, en disant « C’est dans cette direction que ces films iront sûrement ». C’est pourquoi vous vous retrouvez dans The Howling avec les 20 ou 25 premières minutes qui n’ont aucun élément surnaturel. C’est un slasher, point barre. C’était voulu, car je voyais que les slashers étaient les films qui vendaient le mieux à l’époque [1980-1981]. Les films de loups-garous, eux, n’avaient pas de succès et étaient considérés comme vieillots et ringards. Comme nous ne voulions pas effrayer le public en leur livrant un film un peu vétuste, nous leur avons d’abord montré qu’il s’agissait d’un film moderne, actuel, modelé sur leurs goûts… avant de le renverser grâce au surnaturel et de faire le film que nous voulions faire.
 
MLG : Est-ce que ces jeux référentiels vous ont déjà fait craindre de ne pas être en mesure d’avoir des idées originales ? Avez-vous déjà eu peur d’être prisonnier de la citation ? 
 
JD : Non, parce que la majorité des citations de mes films peuvent passer sous le nez des spectateurs sans qu’ils y portent attention et sans pour autant être largués par l’histoire. La seule erreur que j’ai faite à cet égard, c’est justement dans The Howling, quand j’ai imité une scène de Rosemary’s Baby où elle est dans une cabine téléphonique et qu’un type est de dos, derrière elle, à l’attendre. On croit d’abord que c’est le méchant docteur, mais finalement il s’avère que c’est William Castle, le producteur. Alors j’ai fait une variation de cette scène en prenant Roger Corman pour faire l’homme de dos. Je le fais ensuite entrer dans la cabine où il se met à regarder s’il n’y a pas de monnaie dans le distributeur, justement parce que Roger est légendairement gratte-sous. J’ai réalisé durant la première que personne ne savait qui était cet homme et qu’ils ne comprenaient pas pourquoi je tenais le plan aussi longtemps. Ce n’était pas drôle de voir un type gratter pour du change, ce l’était seulement si vous saviez qu’il s’agissait de Roger Corman. Alors je n’ai jamais refait un tel truc de peur d’exclure le public, j’ai appris ma leçon.


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:: Roger Corman dans The Howling
(1981)

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:: John Carradine et Joe Dante sur le tournage de The Howling
(1981)
 

DF : La plupart de vos films émettent des commentaires sur la société ou la politique qui s’avèrent extrêmement cohérents à travers l’ensemble de votre œuvre. Or, puisque vous n’écrivez jamais vos scénarios, comment procédez-vous pour maintenir cette vision ?
 
JD : Parfois, c’est aussi simple qu’un scénario que j’ai lu et qui me parle au point où j’ai envie de le tourner. Sinon, je m’en tiens à une règle : ne pas faire un film que je n’irais pas voir. Et cette attitude a éliminé beaucoup de projets qui m’ont été offerts au fil des années, des projets qui sont parfois devenus de grands succès commerciaux (mais qui l’auraient pas été si je les avais faits, car je n’aurais pas mis de cœur à l’ouvrage). Il me semble qu’en considérant la somme des efforts nécessaires dans la réalisation d’un film, autant faire le film le plus personnel qui vous soit possible de faire.
 
Le problème, en travaillant avec les gros studios, c’est qu’il n’y a rien dont ils se méfient plus que de cette signature. Ils veulent divertir — ils ne veulent pas faire des mauvais films ! — mais ils veulent surtout que le public sente que tout le monde pourrait aimer ce film. Et ce n’est pas du tout une bonne manière de faire de l’art ! Vous ne pouvez pas constamment vous soucier de plaire au plus grand nombre possible, vous devez plutôt vous dire « Voilà ce en quoi je crois, voilà quelque chose qui, je pense, fonctionnera ». En même temps, je dois dire que j’ai gagné quelques contre-attaques à l’égard des studios en me contentant de montrer mes films à un premier public pour obtenir leur aval. C’est ce qui m’a permis dans ma carrière, où j’ai tout de même été chanceux, de m’en tirer avec des absurdités que je croyais importantes et qui, à mon sens, définissaient l’âme du film. Par exemple, dans Gremlins 2, lorsque Phoebe Cates discourt sur son père prisonnier de la cheminée la vieille de Noël, je croyais que c’était une belle façon de ramasser l’ensemble du ton du film en un seul plan… Et le studio n’y a rien compris ! Ils ne faisaient que marteler « Coupez ! Coupez ! Coupez ! Pourquoi fait-elle ça ? Ce n’est pas drôle ! ».
 
DF : Et finalement c’est une des meilleures scènes du film.
 
JD : Mais je sais ! [Rires] Et c’est grâce à l’absurdité de la situation que c’en est hilarant, c’est parce qu’elle est si sincère qu’on commence en même temps à se sentir triste pour elle. C’est comme si vous voyez quelqu’un, de l’autre côté de la rue, mettre le pied sur une pelure de banane. Si vous en êtes éloigné, vous trouverez ça très drôle, mais si c’est vous et que vous vous faites mal au dos, ce n’est plus aussi drôle. Je trouve ça amusant de croiser ces perceptions.
 
MLG : Sachant votre grand intérêt pour l’animation et les cartoons, avez-vous déjà eu le projet de faire un long-métrage d’animation ?
 
JD : Mhmmm. Non, je ne crois pas. J’ai eu un projet, Termite Terrace, qui était au sujet de Chuck Jones et de ses premiers jours à la Warner dans les années 30, à l’époque de la création de Bugs Bunny. C’était un beau projet, tout le monde l’aimait, même Steven Spielberg m’a dit que c’était un film parfait pour moi. Le problème c’est que Warner détient les droits des personnages et ils ne voulaient pas faire un film d’époque sur Chuck Jones… alors ils ont fait Space Jam. Et Chuck n’a pas du tout aimé Space Jam, et moi non plus, alors quand on m’a offert Looney Tunes: Back in Action, puisque Chuck venait de passer l’arme à gauche, je sentais que je lui devais bien ça, faire en sorte que le film ne devienne pas Space Jam 2. Ultimement, ce n’est pas devenu grand-chose et maintenant ils préparent même une suite à Space Jam. Celle-là, je l’ai perdue.


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:: Steven Spielberg et Joe Dante sur le tournage de Gremlins (1984)

 
DF : Vous avez alterné entre différents types de production tout au long de votre carrière, passant de Roger Corman chez New World à Steven Spielberg chez Amblin, avant de passer par la télévision et de revenir vers les majors. Quels ont été les pour et les contre en matière de liberté et de créativité ?
 
JD : En fait, j’ai eu beaucoup de liberté sous Corman et Spielberg. Vous pouviez facilement aller les voir et discuter avec eux des problèmes qui vous tombaient dessus et ils savaient de quoi vous parliez, parce qu’ils étaient d’abord des cinéastes… Mais quand vous allez voir un studio pour leur parler de ce même problème, vous n’avez pas de réponse. Ce que vous avez plutôt, c’est votre demande qui grimpe et grimpe en haut de l’échelle jusqu’à ce qu’un type, que vous n’avez jamais vu de votre vie, en descende pour vous dire quoi faire (et cette façon de travailler ne me convient pas du tout). Ceci dit, je dois dire qu’à part quelques films qu'on m'a arrachés avant que j’aie pu les finir, j’ai été assez chanceux dans ma carrière. La majorité des films que j’ai faits, je peux les assumer sans problème comme les films que je voulais vraiment faire.
 
DF : Et nous pouvons facilement les reconnaître comme tels, à la fois au niveau de la mise en scène, des idées et des personnages que vous y mettez.
 
JD : Oui, je pense que même sur un film comme Explorers, qui n’est pas un film achevé, on sent évidemment que c’est un film que j’ai fait, seulement que c’est peut-être la première version [rough cut] d’un film que j’ai fait sans pouvoir le terminer. D’ailleurs, je n’étais pas le seul dans cette situation cette année-là. Le studio [la Paramount] avait changé de propriétaire et ils voulaient sortir le film le plus vite possible. C’est ce qui arrive quand un nouveau régime s’installe : ils n’ont rien à cirer de ce que leurs prédécesseurs souhaitaient accomplir. En fait, ça les embarrasse plus que tout au monde, car même si le film fait de l’argent, ça les mettra dans une position où ils ne pourraient qu’être comparés à l’ancienne direction. En cette année 1985, c’est ce qui arrivé : ils ont précipité la sortie de tous les films qu’ils produisaient (Young Sherlock Holmes, Lady Jane, etc.), un paquet de films dont ils ne voulaient plus : « Ce sont leurs films, pas les nôtres ! ». C’était hystérique. Ils ont eu un premier bilan financier terrible et ils le méritaient bien. Enfin… vous le savez, mais quand on travaille avec les studios, il y a beaucoup d’argent qui entre en jeu et beaucoup de responsabilités qui l’accompagnent.
 
DF : Et vos allers-retours entre la télévision et le cinéma, qu'est-ce qui les a motivés ? La liberté ?
 
JD : J’ai surtout besoin d’acheter de la pâté pour chats. [Rires] Et puis il faut bien rembourser son hypothèque. Les films ne tombent plus des arbres aujourd’hui.
 
DF : Mais j’ai le sentiment que vous parvenez tout de même à tirer votre épingle du jeu et à réaliser quelque chose de personnel, même à la télévision (je pense par exemple à Eerie, Indiana).
 
JD : J’essaie de choisir mes projets, même ceux à la télévision. Ensuite tout dépend du projet. J’ai réalisé beaucoup d’épisodes d’Hawaii Five-O récemment et la seule raison pour laquelle j’ai embarqué sur la série, c’est parce qu’un bon ami à moi en est le showrunner, qu’il m’a demandé d’en réaliser un et puis ensuite je me suis bien entendu avec le reste de l’équipe. Puisque c’était quelque chose d’amusant à faire, j’en ai fait plein d’autres, mais ce n’est pas du tout aussi gratifiant que de travailler sur mes projets personnels. Dans ce type de télévision, vous dirigez des acteurs qui jouent des personnages depuis très longtemps et, en plus, vous vous devez d’imiter le style de mise en scène de la série. Vous ne pouvez pas partir en cavale et en faire une version « film noir », avec des angles obliques et des trucs amusants dans ce genre. Vous réalisez un épisode tel que la production l’entend, et c’est tout.
 
Ensuite, dans le cas d’une série télévisée comme Eerie, Indiana, c’était différent car j’étais impliqué dès le début. J’ai réalisé le pilote, ils m’ont demandé de rester et j’ai ensuite touché à beaucoup de choses sur la série (et puis j’ai eu beaucoup de plaisir à la faire). Malheureusement, personne ne la regardait à l’époque alors elle n’a pas fait long feu, mais les gens la redécouvrent depuis.


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:: Eerie, Indiana (Jose Rivera et Karl Schaefer, 1991-1992)
 

MLG : Parlant de liberté, les blockbusters contemporains ont fait des jeux référentiels une sorte de prison. Aujourd’hui, les univers ou les « movieverse » sont très populaires et ils ont formé un état d’esprit qui doit être tourné vers une connaissance des œuvres adaptées ou vers une obsession des easter eggs et autres scènes post-génériques. Évidemment, tous ces éléments nous rappellent des facettes de votre œuvre, bien que sous des formes moins élégantes, moins constructives… Quelle différence y a-t-il entre une bonne et une mauvaise référence ? Pensez-vous qu’il faille aujourd’hui se méfier de cette écriture ?
 
JD : Vous parlez bien sûr des films du Marvel Cinematic Universe. Cet univers existait évidemment avant qu’ils n'en fassent des films et maintenant qu’ils ont réussi à trouver leur formule, leur retour en force dans la culture populaire a quelque chose de shakespearien. Dans les films que mes amis et moi faisions, nous avions des personnages récurrents, qui allaient et venaient de film en film pour montrer qu’il s’agissait d’un même univers sans vraiment qu’il soit interrelié — c’était quelque chose de bien amusant à faire. En contrepartie, avec les films dont vous parlez, nous arrivons à un point où ils sont devenus beaucoup trop compliqués pour moi. Ils font presque trois heures et on y retrouve tellement de personnages, tous coincés dans une même histoire, avec l’obligation qu’ils aient tous une scène ou deux pour briller. Alors la longueur du film s’enfle artificiellement et le récit s’atrophie au point où peu d’histoires se racontent une fois passées les origin stories des premiers films. Je ne sais pas quand le public va se lasser de tout ça, mais ça ne semble pas être pour bientôt.
 
MLG : Vous êtes un collectionneur de film. Notre revue a organisé la projection d’une version restaurée de Blood and Black Lace de Mario Bava à Fantasia cette année et nous avons entendu, via le distributeur Arrow, qu’ils avaient utilisé l’introduction américaine de votre propre copie 35mm dans la reconstruction du film. Partez-vous encore à la chasse afin de trouver des films à collectionner ?
 
JD : Malheureusement, non. Autrefois je pensais que ma collection de films me permettrait de vieillir confortablement parce que tous ces films vaudraient une fortune, mais finalement ils ne valent pas grand-chose. On ne fabrique plus de projecteurs 35mm de toute façon, et on ne tire pas vraiment plus de copies sur pellicule. Tout est numérique maintenant et — je sais, je sais, c’est comme ça que le monde fonctionne — c’est très malheureux… C’est très malheureux de ne plus être en mesure de prendre un film 35mm et de le projeter n’importe où dans le monde, chose que nous étions capables de faire et que nous ne pouvons plus du tout faire. Maintenant, il faut que votre film soit en DCP, puis il faut qu’il soit en NTSC, ou en PAL, ou en d’autres non-sense. En plus, ce n’est que la crème de crème qui recevra ce type de soins, qui survivra à cette grande numérisation. Les petits films noirs des années 40 et 50, ils n’atterriront pas de sitôt en DCP parce qu’ils ne seraient pas rentables. Alors nous nous retrouvons avec un très, très grand nombre de films qui deviendront hors de notre portée. La perte de la pellicule est une perte immense pour la connaissance, l’étude et la conservation du cinéma. Et il faut dire qu’il n’y a pas de meilleure manière de préserver un film que de le faire sur de la pellicule. C’est le seul support digne d’une archive. Cette histoire de cloud c’est de la merde [a bunch of bullshit]. Je ne mettrais rien sur un cloud, tout pourrait s’évaporer comme ça [il claque des doigts].
 
Par exemple, puisqu'on parlait d’Eerie, Indiana, il faut dire que nous avions tourné sur du film mais que nous montions sur de la vidéo. C’est pourquoi il n’y aura jamais de Blu-ray d'Eerie, Indiana, parce que le matériel n’existe pas. Le mieux que nous ayons, ce sont ces rubans. Donc le DVD qui est sorti il y a quelques années, bien c’est la meilleure version que nous n’aurons jamais de cette série. Si nous avions tiré une copie finale en pellicule, à fin d’archives, nous n’aurions pas ce problème aujourd’hui.
 
DF : Mais heureusement, dans le cas du Bava, des gens comme vous se sont accrochés à leurs copies pellicule et ça nous permet aujourd’hui d’en avoir des versions restaurées.
 
JD : Oui, vous avez raison, mais encore là je ne crois pas qu’il y ait une version restaurée sur 35 mm de ce film. Tarantino voulait justement ressortir Blood and Black Lace et il n’avait pas été en mesure de mettre la main sur tous les matériaux filmiques pour en faire une ressortie pellicule. C’est tellement dommage, car avec tout ce jaune, ce cyan, ce magenta, Blood and Black Lace est probablement le plus beau film que Mario Bava ait réalisé. Je suis sûr que le DCP sera très beau à regarder, puisque Arrow a déployé beaucoup d’efforts pour le produire et je suis très content qu’un film si obscur reçoive ce genre d’attention… Mais il y a un nombre effroyable de films qui ne l’auront jamais.


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:: Blood and Black Lace (Mario Bava, 1964)

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Article publié le 22 juillet 2018.
 

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