ÉDITORIAL : À l'ombre de La Métropolitaine
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Entrevue avec Stéphanie Trépanier (Partie 2)

Par Mathieu Li-Goyette
Partie 1 | Partie 2

LE PUBLIC ENDORMI

Voici donc la deuxième partie de l’entrevue que nous a généreusement accordée Stéphanie Trépanier, présidente et fondatrice d’Evokative Films. Au programme, un peu plus d’informations sur les rouages de la distribution, mais aussi une discussion sur les causes possibles de la chute graduelle des distributeurs indépendants ainsi qu’un regard sur le processus de mise en marché d’un film au Canada.
 
Stéphanie Trépanier : Côté milieu, côté critique, j’essaie des genres différents, des pays différents. On se dit que le cinéma asiatique est peut-être trop bizarre, trop exotique pour les gens. On se dit alors qu’en allant vers l’Europe, on les rejoindra plus facilement. Mais finalement, Deliver Us from Evil et La merditude des choses n’ont pas été des cataclysmes, mais n’ont tout de même eu qu’une semaine en salles à Montréal lorsque, dans les faits, Adrift in Tokyo avait été à l’affiche trois semaines durant. J’avais l’impression qu’en allant vers le drame et le suspense européen, j’allais réussir à projeter une image différente, mais il faudrait que je me retrouve un autre Adrift in Tokyo, qui avait tout de même fait 17,000$ en seize jours à Montréal, ce qui, en fait, est le meilleur box-office que je n’ai jamais eu. Je pense qu’il y a peut-être une saturation du cinéma européen, tandis qu’Adrift in Tokyo est un ovni, un film comme aucun autre.
 
Ce n’est pas facile de trouver le « bon » film, c’est un pari à chaque décision. J’ai souvent des discussions avec des gens de l’industrie, des critiques, des producteurs, des programmateurs de festivals et ils disent tous que j’ai un « goût impeccable » alors que je pense que certains ont un meilleur goût, puisqu’eux font du profit! [Rires] Bien que je sois satisfaite de chacun des films que j’aie choisis et que je les aime et que j’en suis fière lorsque les critiques paraissent et qu’elles sont toutes très positives, la vraie validation, elle ne peut pas être seulement intellectuelle, mais bien financière. Je vois des films beaucoup plus obscurs, beaucoup plus « répertoires », qui ont « l’air plates » - j’aime bien être divertie un minimum au cinéma! - et ces films font mieux que mes films, peut-être que je suis trop entre les deux : pas assez exigeante et pas assez amusante. Et ceux qui trouveraient les films que je distribue divertissants n’aimeront pas les sous-titres!
 
Panorama-cinéma : Mais dans toute cette histoire, où est le public de Fantasia?
 
Stéphanie Trépanier : C’est vrai.
 
Panorama-cinéma : Il est là au mois de juillet, on le sait…
 
Stéphanie Trépanier : Exactement. On l’aime, on l’entend crier…
 
Panorama-cinéma : Il fait la file pendant des heures et est bien le plus passionné et passionnant de Montréal.
 
Stéphanie Trépanier : J’y ai beaucoup pensé dernièrement et c’est l’erreur que j’ai fait de prendre le fan événementiel et de le comptabiliser comme un fan ponctuel. J’ai fait l’erreur avec ma compagnie de penser que le public était dévoué et passionné à l’année. Je me disais qu’avec cette foule, ces files de 700 personnes empilées-là plusieurs fois par jour et une vingtaine de jours lors du mois de juillet, j’arriverais bien à vendre les 2000 DVD dont j’avais besoin pour rentabiliser la distribution du film; il y a tout de même eu 100 000 billets vendus l’an dernier. C’est l’un des messages que j’ai voulu passer dans ma note, car c’est beau de voir ces gens durant Fantasia, c’est très inspirant. Pour la suite des choses, lorsque j’ai décidé de bâtir une compagnie « pour eux », je me suis vraiment demandée au final où ils étaient.
 

DELIVER US FROM EVIL d'Ole Bornedal

Panorama-cinéma : Récemment, on a régulièrement vu des distributeurs retirer un film du festival pour, par exemple, ne pas perdre ses 700 entrées à l’Impérial aux mains d’un festival. Car c’est ce dernier qui empoche, tandis que la sortie en salles qui suivrait un, deux, voire six mois plus tard, ne remplira que rarement la salle comme le festival avait pu le faire en deux jours.
 
Stéphanie Trépanier : C’est un grand débat actuellement. Dans mon cas, je suis des deux côtés de la clôture puisque je suis à la fois distributrice et programmatrice au festival Fantasia. En tant que programmatrice, je ne veux pas payer de frais de projection, puisque la rentabilité d’un festival est nécessaire, mais en tant que distributrice, bien que je n’aie jamais voulu taxer des frais de projection, il va falloir que je trouve des solutions, car ces représentations vont piger dans mon auditoire. Tout ceci m’a été prouvé dernièrement lors d’un podcast internet sur le site internet Row Three où ils ont diffusé ma lettre et où ils ont discuté du sujet. L’un des deux participants a dit quelque chose de révélateur : « en tant que cinéphile, le film je l’ai vu au festival, donc lorsqu’il sort en salles, je ne sens pas le besoin de le voir de nouveau et de le supporter, car je l’ai déjà fait ». Et il a raison, puisque c’est le festival qui l’emporte sur le distributeur, peu importe la situation.
 
Ça valide le débat des distributeurs. Mais en même temps, c’est important que le film soit projeté dans ce genre d’événements puisque cela permet au bouche à oreille de s’enclencher. Nous sommes aussi en pleine période de transition par rapport aux festivals. Avant, les festivals avaient les copies gratuitement et ils ne leur restaient qu’à payer la livraison (qui de l’Europe au Canada, tourne tout de même autour de 700$). Maintenant, ou bien le distributeur fait payer le festival, ou bien le responsable des ventes à l’international se chargera de faire payer, dépendamment de la grandeur de la salle et du nombre de projections, un prix de 500$ à 1000$ pour chacune des représentations. Les vendeurs internationaux, plus le temps passe, ont aussi de la difficulté à vendre leurs films puisque les petits distributeurs qui pourraient s’en charger à une échelle nationale suffoquent sous la pression. Donc, la vente aux festivals est devenue une source de revenus essentielle pour ces vendeurs, ce qui n’était pas le cas auparavant. Concernant Adrift in Tokyo, bien que le film ait rempli deux salles pleine à Fantasia (soit plus de 1400 personnes), j’ai attendu assez longtemps (près d’un an) pour donner aux gens le goût de le revoir et d’amener leurs amis.
 
Il y a malheureusement des « films de festival » qui ont une réputation déprimante (dans le sens que le sujet du film, lui, est plus grave) et qui n’ont qu’un très faible potentiel commercial à l’extérieur d’un corpus événementiel de films. Par exemple, le Submarino de Vinterberg est un film extraordinaire, mais il est trop ardu pour sortir sans encadrement dans une salle commerciale à Montréal. Cependant, pour le meilleur et pour le pire, lorsque la VOD sera mieux établie, il faut s’attendre à voir ce genre de films être distribués plus facilement. (N.D.R. C’est déjà un peu le cas avec le succès retentissant du Sundance Channel aux États-Unis)
 
Panorama-cinéma : Qu’en est-il, par exemple, de I’m a Cyborg, But That’s Ok et Rough Cut? L’échec de Thirst, l’autre Park Chan-wook, a-t-il quelque chose à y voir?
 
Stéphanie Trépanier : Non, pas vraiment. Et je suis particulièrement frustrée de ne pas les avoir sortis, moi qui se plaignait tant des Weinstein qui gardaient des films sur leurs tablettes! Maintenant, je dois faire la même chose puisque je n’ai pas des millions et que j’ai négocié ces films à des prix qui étaient élevés, bien que je pensais être en mesure de les payer. J’ai eu de la difficulté à les positionner dans le calendrier au bon moment et les choses ont évolué à un point où je me rendais compte que les ventes DVD ne s’enlignaient pas comme prévues, tout comme le box-office. Je ne faisais donc pas assez d’argent pour le « MG », le minimum garanti que j’avais promis. J’ai tenté de renégocier et on m’a dit « non ». Je pourrais les enlever du site internet, mais je garde encore espoir pour ces titres.


I'M A CYBORG, BUT THAT'S OK de Park Chan-wook

Panorama-cinéma : Qu’est-ce que le minimum garanti?
 
Stéphanie Trépanier : Le « MG », c’est l’engagement que l’on prend qui consiste à payer un montant minimum. C’est l’équivalent de 20% à la signature du contrat alors que l’autre 80% sera payé avant de recevoir le matériel, avant la sortie en salles. Plus le temps passe, plus les MG sont en baisse puisque les films internationaux sont difficiles à distribuer. Encore une fois, c’est un système qui est en transition. Avant, pour un bon film étranger, le minimum d’un MG était de 30 000$. Maintenant, il est généralement situé en bas de 10 000$. À ce moment-là, lors de l’achat d’I’m a Cyborg, But That’s Ok et Rough Cut, les Coréens avaient encore des tarifs assez élevés et j’ai décidé de payer ce 20% tandis qu’aujourd’hui, le 80% restant représente beaucoup trop d’argent pour une sortie si risquée.
 
Panorama-cinéma : Pourtant, le cinéphile, le cinéphage, il est boulimique, il se tape 50 films en 21 jours au mois de juillet. Par rapport à l’événementiel, n’est-ce pas possible de distribuer des films plus vieux, d’en déterrer - c’est, excuse-moi l’exemple, le cas de Criterion-, voire distribuer du cinéma québécois.
 
Stéphanier Trépanier : Concernant Criterion et les droits des vieux films, ce sont souvent les plus coûteux, car ce sont aussi, d’une certaine façon, des valeurs sûres. Par rapport au cinéma québécois, ce n’est pas ma priorité, car j’ai créé Evokative dans le but de soutenir la distribution du cinéma international de genre de qualité qui est un marché à part entière. Les bons films québécois, ils trouvent facilement des distributeurs pour les aider de manière générale. Non seulement ça, mais je peux avoir de l’aide d’uniFrance pour distribuer un film français comme Le tueur ou Black ou en avoir de Scandinavian Films pour distribuer Deliver Us From Evil. Au Canada, pour devenir un distributeur éligible aux subventions, il faut avoir distribué deux films québécois ou canadiens dans le passé tout en ayant deux autres films en attente d’être distribués; il faut être un distributeur plus pesant. Cela dit, je ne fermerai jamais la porte à un film québécois.
 
Panorama-cinéma : Alors, qu’est-ce qui te pousse, lors du visionnement d’un film, à vouloir le distribuer?
 
Stéphanie Trépanier : C’est une question de coup de coeur. Il faut que je sente que je l’aime assez pour le trainer plus d’un an sur mon dos. Parfois, on me demande pourquoi je ne distribue pas un film que je n’aime pas simplement pour faire du profit. Mais j’aime croire que je suis parvenue à bâtir une ligne éditoriale avec Evokative qui permet de fermer les yeux et de prendre n’importe quel film sur l’étagère et d’être satisfait.
 
Panorama-cinéma : C’est ce que les meilleurs distributeurs parviennent à faire.
 
Stéphanie Trépanier : Exact. Si j’en sors un de qualité moindre, je perdrai ma crédibilité. C’est peut-être égocentrique et plus ou moins raisonnable, mais comme je disais, c’est une question de coup de cœur, et surtout, de trouver des oeuvres faites avec intelligence.
 
On m’a déjà donné l’idée de faire un « EvokFest » lors d’un week-end où je lancerais un nouveau film alors que le film du samedi soir serait une primeur. Ce serait aussi l’occasion de revoir ces films en 35mm, car j’ai les copies, mais elles dorment toutes dans un entrepôt. Encore une fois, j’ai tenté d’entrer en contact avec le public et j’ai eu environ 30 réponses, dont 10 à Montréal, 10 à Toronto et 10 éparpillées partout au Canada. Le public, c’est ce que je disais dans ma lettre, s’est endormi au volant.
 
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Article publié le 24 janvier 2011.
 

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