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Todd Haynes : Images mouvantes

Par Sylvain Lavallée

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De Carol White à Carol Aird, nous pourrions tracer le parcours de la filmographie de Todd Haynes, d’une Carol qui n’est pas là (I’m Not There pourrait-elle dire si seulement elle savait parler) à une Carol qui est entièrement là (qui parle si bien par elle-même qu’elle peut titrer son propre film), et ce faisant, à chaque film, la même question s’imposerait : qui est… ?

Par exemple, qui est Carol White, cette femme interprétée par Julianne Moore dans Safe (1995) ? Nul ne le sait, elle peut-être moins que quiconque : elle ne nous semble pas qu’inconnue, ce qui supposerait que nous pourrions un jour la connaître, qu’elle pourrait éventuellement être connue (qu’elle pourrait éventuellement se connaître), bien plutôt, Carol White paraît inconnaissable, comme si elle devait rester à jamais inconnue. Non pas parce qu’elle serait vide, sans vie, une sorte de trou noir qui attirerait notre regard pour l’anéantir, mais au contraire parce qu’elle est une toile blanche, white, sur laquelle s’inscrit toutes les images que l’on projette sur elle — Carol, au fond, serait un écran de cinéma, une toile blanche qui nous demeure inconnue durant la projection puisque nous ne la voyons pas (la toile blanche), ou du moins nous n’y pensons plus, nous ne voyons que les images à sa surface. Les images de Safe ne seraient pas une représentation de la subjectivité de Carol, il y aurait plutôt une adéquation entre l’image et Carol : l’image est Carol.


:: Safe (Todd Haynes, 1995)

Que disons-nous ainsi ? D’abord, que Carol n’est pas « allergique au vingtième siècle », comme elle le pense, qu’elle ne souffre pas de cette pollution que la banlieue appelle en exigeant, par son aménagement urbain, l’utilisation de la voiture, et qu’elle ne souffre pas non plus de tous ces insecticides, pesticides, produits ménagers et cosmétiques, agents de conservation, etc., que la banlieue utilise pour maintenir le vide et l’indistinction qui la caractérise, du moins dans Safe (Carol se retrouvant souvent dans de grands espaces vides, seule au centre du cadre, entourée de murs aux couleurs mornes : il en faut, de l’entretien, pour demeurer aussi lisse et impersonnel). Carol ne souffrirait pas de ces produits mais de leur résultat, de cette aseptisation de l’espace, ce qui revient à dire, puisque Carol est l’image, d’une aseptisation d’elle-même, l’ironie étant que Carol doit s’aseptiser de cette aseptisation grâce à cette pseudo-secte qui promet une guérison à laquelle manifestement Haynes ne croit pas (c’est une autre dépendance, comme dit un personnage). L’aseptisation serait un processus infini, à recommencer sans cesse avec toujours plus d’ardeur puisque Carol ne pourra jamais tout à fait être White, blanche, puisqu’elle sera toujours aussi un peu Carol, puisqu’au fond c’est d’elle-même qu’elle veut se décontaminer, d’où ses saignements, ses vomissements, une manière pour son corps d’exprimer cette existence que Carol tente d’effacer.

Ce qui nous ramène à la question de départ : qui est Carol White ? Comment définir ce « soi-même » duquel elle veut se décontaminer ? Comment définir un soi-même dans une telle banlieue qui isole ? Le concept de Je n’est-il pas intimement lié à celui de l’Autre ? Le problème de Carol, dans ce cas, serait peut-être qu’en l’absence d’amour (ni son mari, ni son beau-fils ni ses amies semblent se préoccuper sincèrement de son sort), de religion (traditionnellement garante de la communauté, dans Safe elle se retrouve uniquement sous la forme de cette secte, établie à l’extérieur de la banlieue) ou de quelconque lien entre les êtres (dans la banlieue de Haynes, il n’y a que des clôtures pour nous séparer de nos voisins et des murs pour délimiter quel rôle et donc quelle pièce nous appartient dans la famille), en l’absence donc d’un regard sur elle qui pourrait lui confirmer son individualité, Carol ne peut se concevoir que comme un néant.  Mais alors, si Carol tend vers le blanc pour réaliser ce soi-même conçu comme un néant, quand le film se termine, et que la toile blanche réapparaît devant nos yeux, est-ce dire que Carol est « libérée » de cette projection, ou au contraire qu’elle a enfin réussi à devenir white, à s’anéantir par sa décontamination ?

Il faudrait peut-être se demander d’abord si Carol souffre de ce processus de décontamination, de ne pas pouvoir être elle-même, ou si elle souffre parce qu’elle garde malgré tout un soupçon tenace d’elle-même, comme une tache qu’elle voudrait éliminer par cette décontamination désespérée ? Mais pourquoi voudrait-elle se décontaminer d’elle-même ? Il ne s’agit pas ici de trouver une motivation psychologique (le film ne fonctionne pas sous ce mode), mais de se demander sur quoi repose l’atmosphère cauchemardesque de malaise existentiel (la musique aux accents lynchéens étant l’indice du malaise et non sa cause) : pour tenter une réponse, consultons notre imaginaire populaire, ce vaste bassin de clichés partagés, et nous pourrions dire que la banlieue est un lieu javellisé et conformiste qui voudrait nier ou cacher, par ses façades identiques en série, la diversité des identités humaines, la banlieue serait le symbole d’une normalité normalisée, de tout ce que l’on pourrait qualifier d’ordinaire, de commun, de moyen, dans notre culture nord-américaine contemporaine — est-ce dire que la ville est plus « honnête » ? Un 4 ½ en ville est-il si différent d’un autre 4 ½ ? Est-ce que l’identité d’un individu se résume au logement qu’il qu’habite ? Enfin, il serait possible d’interroger ainsi tous nos clichés, mais il me semble que c’est ce que nous pensons de la banlieue, à tort ou à raison.


:: Safe (Todd Haynes, 1995)

Alors si Carol est une toile de cinéma, nous pourrions dire que Safe projette sur elle un cliché, ce cliché d’une banlieue conformiste qui étouffe l’individualité, et nous pourrions dire, par conséquent, que ce cliché rend Carol étrangère à elle-même, car elle se reconnaît et ne se reconnaît pas tout à la fois dans cette image de la banlieue : elle se reconnaît parce que c’est ce que l’on projette sur elle (c’est-à-dire que c’est ainsi qu’elle se voit à travers le regard de son mari, ses amies, son beau-fils, etc.), et quelque part cette image doit bien lui ressembler un peu ; elle ne se reconnaît pas parce qu’elle doit avoir l’intuition qu’elle est aussi autre chose, qu’elle peut être autre chose (alors que le cliché au contraire est une image sans devenir, une image réifiée dans le temps, tautologique, qui ne renvoie qu’à elle-même). Mais cette intuition, Carol ne sait pas trouver les mots pour l’exprimer : à la fin, quand elle essaie de prendre la parole à l’occasion de son anniversaire, elle ne fait que répéter de façon incohérente les mots-clés de son gourou, elle est incapable de trouver ses propres mots, son propre langage, elle est incapable de s’imaginer autrement qu’à travers les clichés qu’on lui propose, ou elle n’ose pas le faire, ne sait pas comment le faire.

La fin, cependant, pourrait se penser comme un espoir de libération : le dernier plan présente Carol devant un miroir murmurant I love you, si seule désormais, enfermée dans son cocon en-dehors du monde, qu’elle n’a personne d’autre à qui adresser ces mots (auxquels elle ne croit peut-être même pas), ce qui, au premier abord, pourrait être interprété comme l’achèvement d’un processus d’aliénation inéluctable (elle serait enfin safe, protégée de tout et en particulier d’elle-même). Toutefois, Carol n’est pas tout à fait seule à ce moment puisqu’elle regarde directement la caméra et à travers elle le spectateur. La mise en scène semble nous dire que nous sommes son miroir, que son désespoir nous appartient, mais nous pourrions dire aussi que Carol nous regarde, qu’il n’y a pas de miroir et qu’elle brise par son regard le quatrième mur nécessaire à la représentation : son regard sort enfin de l’image, donc de cette perception clichée d’elle-même, Carol trouve une issue, vers la salle de cinéma, et en ce sens son I love you serait un début d’affirmation de soi dont nous serions les témoins privilégiés. Plus encore : même avec ses discours un peu douteux, culpabilisant ses membres à outrance (vous êtes responsables si vous êtes des néants, leur dit-on en gros), la secte que rejoint Carol a au moins le mérite de réunir les êtres et de leur offrir une véritable communauté. Ce I love you, justement, surgit quand Carol commence à s’intégrer à cette communauté (non seulement la secte, mais aussi, au fond, le spectateur, à qui elle s’adresse), au moment donc où Carol commence à apprendre à utiliser des mots comme I et You en leur accordant une véritable signification personnelle (elle en est au stade du miroir, pourrions-nous dire avec Jacques Lacan).


:: Safe (Todd Haynes, 1995)

Peut-être que nous commençons enfin à mieux comprendre la singularité de la mise en scène de Haynes: ses images s’affirment comme des images, des codes, des clichés qui correspondent à une perception que nous pouvons avoir des personnages qui s’y débattent, mais en même temps le cinéaste réussit à créer, à même cette répétition des structures aliénantes, un espace de liberté pour ses personnages. Dans Superstar: The Karen Carpenter Story (1987) déjà, l’une de ses premières réalisations (un moyen métrage), Haynes faisait jouer à des poupées Barbie le drame de la chanteuse en question: la Barbie Karen n’arrivait pas à se défaire de l’image de poupée qu’on lui accole, mais Haynes montrait l’absurdité tragique d’une telle perception, par exemple en taillant la Barbie au couteau pour signifier son anorexie. Il n’y pas tant de liberté pour Karen Carpenter, ni pour Carol White, à ce stade de sa carrière la mise en scène de Haynes se calque sur les clichés qui tyrannisent ses personnages et il en revient au spectateur d’interroger ces images, de constater leur pouvoir d’aliénation. Le regard-caméra à la fin de Safe, si nous acceptons qu’il libère Carol, annoncerait ainsi les films à venir en brisant l’à-plat de l’image, ce qui crée, enfin, un espace de liberté, de mouvement.

Ainsi, pour comprendre Haynes, il ne faudrait peut-être pas passer par Douglas Sirk, une influence décisive, il va sans dire, que Haynes d’ailleurs ne se contente pas d’imiter (même quand il le fait), il faudrait peut-être se rappeler plutôt que Velvet Goldmine (1998) empruntait explicitement la structure de Citizen Kane (1941), et que Citizen Kane posait cette même question : qui est Charles Foster Kane ? Ce personnage d’Orson Welles ne nous est évidemment pas aussi inconnu que Carol White, mais le film offre plusieurs interprétations possibles de Kane sans en privilégier aucune (et ce même si Rosebud est celle du cinéaste, que seul lui peut nous révéler par un mouvement de caméra), c’est-à-dire que Rosebud dit bel et bien quelque chose sur Kane, mais nous ne pouvons pas réduire Kane à Rosebud (ni aux autres témoignages). C’est pourquoi le travail du journaliste dans Citizen Kane se solde sur un échec, il ne peut pas comprendre Kane parce qu’il ne voit rien d’autre chez lui que ce mot, tout comme le journaliste d’I’m Not There (2007) tente de ramener Dylan à une image prédéterminée que Dylan n’a cesse de défier ; les artistes Welles et Haynes n’arrivent pas non plus à former une image claire, totale, de leurs personnages, mais ils font mieux que ces journalistes parce qu’ils illustrent le caractère multiple et mouvant de ces identités, ils avouent leur insuffisance en faisant de celle-ci le sujet même de leurs films.

Il ne pourra jamais avoir de réponse définitive à une question comme « Qui est Bob Dylan ? » puisque Dylan multiplie les métamorphoses (et Haynes les acteurs, sa mise en scène) dans le but de se réinventer, comme David Bowie (l’inspiration pour Velvet Goldmine) le faisait par ses propres métamorphoses, une constante réinvention de soi par les moyens de l’art qui est aussi au cœur de F for Fake (1974). Welles, Dylan, Bowie, Haynes, ces artistes ne nous mettent pas en garde contre le « faux » des apparences, mais contre notre tendance à les considérer comme permanentes (c’est ce qui est faux, c’est ce qui constitue un cliché, une image figée dans le temps) ; ces artistes défient notre perception d’eux en refusant de se laisser cloîtrer dans des clichés, ils réinventent leurs formes, toujours pour mieux se créer, jamais pour se cacher (le I’m Not There de Dylan ne dit pas qu’il n’a jamais été là, mais que le temps qu’on le rattrape il est déjà rendu plus loin).


:: I'm Not There (Todd Haynes, 2007)

Et ce que ces artistes accomplissent par les moyens de l’art, c’est ce à quoi aspirent les personnages de femmes dans les mélodrames de Haynes : trouver un moyen de faire entendre leurs voix en dépit des clichés et des conventions qui les restreignent, se trouver un espace suffisamment large pour laisser libre cours au mouvement de leurs identités, la banlieue constituant dès lors un espace idéal pour illustrer ce thème parce qu’elle est le symbole parfait, du moins selon notre imaginaire populaire, de la répétition du même, d’un espace replié sur lui-même, inerte (on aura compris que Carol White échoue à se faire entendre, qu’elle souffre comme Dylan d’être ramenée à une image fixe, mais qu’elle ne peut pas échapper à cette souffrance parce qu’elle ne possède pas la capacité de l’artiste à se réinventer). Dans ses biographies de musiciens comme dans ses mélodrames, la démarche de Haynes serait à peu près la même, l’éclatement stylistique d’I’m Not There correspond à l’identité mouvante de Dylan et de même l’unité stylistique de Far From Heaven (2002) correspond à la perception figée que nous pouvons avoir de Cathy (Julianne Moore), qui, en somme, serait prisonnière d’un film de Douglas Sirk.

Far From Heaven ne peut donc pas se regarder comme nous regardons un film de Sirk, d’abord parce que Haynes pense le cinéma de Sirk à travers la lecture, célèbre, de Rainer Werner Fassbinder (dans un essai qui nous renseigne plus sur Tous les autres s’appellent Ali [1974] que sur All That Heaven Allows [1955]), ensuite parce que Sirk, évidemment, ne faisait pas des pastiches de Sirk, et enfin parce que Haynes représente avec le langage de Sirk ce que Sirk lui-même n’aurait jamais pu représenter, un amour interracial et une relation homosexuelle (ce que Fassbinder, lui, a représenté bien souvent). Haynes rend ainsi visible ce qui devait rester invisible, non seulement ce que les habitants de la banlieue dans la fiction ne veulent pas voir, mais aussi (et peut-être surtout) ce qui devait rester invisible au sein même du langage hollywoodien, qui a lui aussi perpétué, participé à maintenir ces normes sociales qui restreignent les personnages. Sirk, justement, montrait des résistances à ces normes, sociales comme cinématographiques, il créait lui aussi un espace de liberté au sein de ces contraintes, Haynes utilisant ainsi le cinéma de Sirk comme exemple pour montrer ce qui aujourd’hui encore ne trouve pas sa place dans notre cinéma, en soulignant le scandale qu’il provoque ainsi : chaque fois que Cathy se rapproche de son jardinier Noir par exemple, la mise en scène épouse le point de vue d’un personnage secondaire qui les voit à travers une fenêtre ou l’un de ces fameux cadres dans le cadre sirkiens, un personnage immanquablement scandalisé par ce qu’il voit. En nous faisant partager ce point de vue, Haynes semble nous dire que ce scandale est aussi le nôtre, que cet amour est impossible parce que notre cinéma ne le représente pour ainsi dire jamais : comme les habitants de cette banlieue, notre cinéma semble incapable de concevoir un tel amour.


:: Far From Heaven (Todd Haynes, 2002)

Impossible, dans ce cas, de se rassurer en regardant Far From Heaven en se disant que ce racisme et cette homophobie, heureusement, c’est d’un autre temps, puisque ce film « d’un autre temps » montre ce que le cinéma de notre temps ne montre pas, puisque Haynes montre que le langage hollywoodien est plus flexible qu’on le pense et que pourtant il continue de ne pas représenter ce qui de toute évidence il est capable de représenter, et qu’il aurait même été capable de représenter il y a un demi-siècle si seulement il l’avait voulu. La question que pose Haynes, au fond, c’est qui, aujourd’hui, pratique un cinéma équivalent à celui de Douglas Sirk, quel cinéaste rend visible dans un contexte hollywoodien, grand public, ce que la société d’aujourd’hui ne veut toujours pas voir ? (Ou qui fait encore des mélodrames pour femmes, ce l’on appelait des women weepies, des films qui ne répondaient peut-être pas toujours très bien à nos critères féministes, mais qui avaient au moins le mérite d’être écrits et pensés pour mettre de l’avant des stars féminines ?) Si Sirk montrait tout ce que le paradis permet (non sans ironie, bien sûr), Haynes, lui, fait le triste constat que cinquante ans plus tard, ce paradis est encore bien loin — mais en même temps, Haynes nous le rend accessible, possible, puisque lui trouve bel et bien une place à l’écran pour ce paradis, fût-elle temporaire, condamnée tôt ou tard à se refermer. Haynes propose ainsi un devenir au cinéma hollywoodien : comme Dylan défie notre perception de sa musique, le cinéaste défie notre perception du cinéma, pas uniquement le sien, mais celui d’Hollywood en général, pour en repousser les limites, pour les faire éclater, pour se donner plus d’espace et libérer le mouvement constitutif de l’identité de ses personnages.


:: Far From Heaven (Todd Haynes, 2002)

Comme dans Safe donc, la banlieue sirkienne de Far From Heaven serait une perception que nous pouvons avoir de Cathy, l’image reflète le personnage (la petite banlieue parfaite est à l’image de Cathy, la « femme au foyer » parfaite), Haynes montrant de surcroît qu’il est possible, à travers une telle perception clichée, de se créer un devenir, c’est-à-dire que Cathy peut, à travers la répétition du même de la banlieue, devenir Cathy en laissant derrière elle la Mme Magnatech qu’elle était (au début du film elle n’est effectivement qu’un cliché, sa réussite sociale tenant au fait que son mari daigne bien la faire apparaître avec lui sur les affiches publicitaires qu’il conçoit). Mais cette réinvention de soi, au quotidien, ne passe pas par des métamorphoses aussi radicales que celles de Bowie ou Dylan, il s’agit plutôt de se réapproprier ce quotidien, de s’affirmer à travers le cliché, ce qui, d’ailleurs, est très exactement ce que le cinéma hollywoodien nous a appris (à ceux du moins qui daignent le prendre au sérieux), par ses auteurs et peut-être surtout par ses stars : comment rester soi-même, comment exprimer une vision personnelle à travers un langage conventionnel, dans un contexte industriel de répétition du même. Pour Haynes, il n’y a donc pas d’espace plus cinématographique que la banlieue puisque ce lieu ne serait en soi qu’un cliché, ou la représentation même d’un cliché, un cliché d’un cliché peut-être, un lieu qu’il ne faut pas nécessairement fuir (sinon Haynes filmerait autre chose), mais qu’il faut défier depuis l’intérieur (d’ailleurs, même si Haynes critique les conventions hollywoodiennes, il ne s’en distancie jamais, il les adopte sincèrement : comme tout bon critique, il aime son sujet, il se montre d’autant plus sévère qu’il sait ce dont ce cinéma est capable).

Tout ce chemin parcouru depuis Carol White et sa banlieue calcifiée nous mène ainsi en toute logique à Mildred Pierce (2011), un de ces women weepies comme il ne s’en fait plus, tout entier dédié à sa star, comme si Haynes avait d’abord voulu nous démontrer, par ses films précédents, qu’il pense l’identité comme une image mouvante, et que par conséquent il trouve à même l’essence du cinéma, et donc dans les stars, créations purement cinématographiques, l’expression de notre liberté.

 

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Article publié le 29 mars 2016.
 

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