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Jeux vidéo : Brothers: A Tale of Two Sons

Par Louis Filiatrault




Les raisons pour lesquelles bien des gens ne s'attardent pas au jeu vidéo tournent souvent autour du manque. Manque de temps, de ressources, d'habiletés, d'intérêt ; motifs plus légitimes les uns que les autres. Depuis la normalisation des jeux 3D au milieu des années 90, les mondes toujours plus denses et les commandes sans cesse plus tordues ont eu raison des capacités cognitives de plus d'un. Des objets influents tels que les sagas Final Fantasy, les jeux en ligne dans le sillage d'Everquest et les offrandes compétitives standardisées par Call of Duty ont renforcé le jeu comme grand consommateur de temps, tandis que l'uniformisation thématique autour de phantasmes puérils et ouvertement masculins a scellé la réputation du jeu comme loisir principalement adolescent. Toutes ces tendances trop ancrées, la compagnie suédoise Starbreeze Studios leur a proposé une alternative remarquable avec Brothers: A Tale of Two Sons.
 
L'entreprise avait de quoi surprendre. Eux-mêmes responsables par le passé de jeux coûteux, violents et compliqués tels que les mémorables The Darkness et Escape from Butcher Bay, Starbreeze n'effectuent rien de moins qu'un volte-face complet avec ce dernier titre. La faillite relative du Syndicate de 2012 aidant sûrement, le développeur abandonna le territoire du « first-person shooter » pour tenter le coup d'une aventure brève, chatoyante, peu dispendieuse et facile d'accès. L'amorce narrative en est simple, lançant deux frères à la périlleuse recherche d'un remède pour un père mourant ; la signature ludique, quant à elle, s'avère plus intrigante, limitant les opérations à deux boutons et deux manches directionnels pour placer le joueur en contrôle simultané du tandem fraternel. Ce concept central incarne bien le croisement de confort et d'audace, de vieux principes et de nouveauté qui caractérise l'ensemble.
 
Fidèle à une certaine tradition du conte, Brothers instaure d'entrée de jeu un climat de douceur toute familière. L'univers champêtre et la gentille magie évoquent tout de suite la Comté de Tolkien, les énigmes de manipulation et le point de vue en plongée conjurent Zelda, tandis que les mouvements simplifiés reprennent les codes établis par des séries modernes comme Uncharted et Prince of Persia. C'est toutefois sur le long terme que les qualités plus distinctes se révèlent. Le maniement à deux têtes donne d'abord lieu à des situations de jeu surprenantes, rarement répétées sur la durée de trois heures, gardant le joueur sur le qui-vive dans son examen des circonstances. Mais le monde lui-même, présenté avec un flair inhabituel pour les compositions fortes et la direction de regard, frappe par son ampleur et sa richesse d'atmosphère. Souvent porteuse d'un passé lugubre, peuplée d'êtres d'une bienfaisance variable, la lande féérique dévoile un visage étonnamment divers et précipite par ses épreuves le rapprochement des deux frères.
 
Inévitablement, la finalité de la grande traversée deviendra plus que modeste distraction. Car au fil de sa progression spatiale et narrative, Brothers revêt avec toujours plus de clarté les couleurs d'une intense méditation sur la mort, celle dont les ravages ont déjà frappé comme celle dont l'éventualité guette toujours. D'origine libanaise, le réalisateur Josef Fares n'a pas caché son expérience intime avec le trépas, et c'est une spiritualité sincère qui se dégage autant des plus importants moments du récit, de ses vignettes plus austères et de ses vastes fresques montagneuses. Cette généreuse estime pour la valeur de la vie, l'oeuvre la rend bien au joueur en cherchant le meilleur équilibre entre effort investi et richesse thématique, entre émois relatés de façon plus tactile et moyens narratifs consacrés. D'une grande économie et d'une rare confiance en la singularité de ses ambitions, Brothers participe d'un gain de maîtrise toujours plus perceptible dans le champ du jeu narratif à petite échelle.

Disponible sur PC, Xbox 360 et Playstation 3 depuis le 3 septembre 2013.

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Article publié le 1er février 2014.
 

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