WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
L’équipe Infolettre   |

Jeux vidéo : Far Cry 3: Blood Dragon

Par Louis Filiatrault



Paru à la toute fin de 2012, Far Cry 3 représente de bien des façons une apogée du jeu vidéo d'action contemporain. Très bien reçue par la critique spécialisée, la mégaproduction d'Ubisoft Montréal présenta aux amateurs de first-person shooters le design ludique le mieux accordé au goût du jour qu'on puisse imaginer: conception mécanique robuste et excitante, monde ouvert au vaste répertoire d'activités, rendu visuel à couper le souffle, et ainsi de suite. Mais cette assurance impressionnante s'accompagnait d'une forme d'arrogance sans véritable précédent; aux accents durs et austères de son mémorable prédécesseur de 2008, Far Cry 3 substitua une posture étonnamment cavalière dans sa représentation des populations indigènes, de l'homme blanc égaré en terre étrangère, du trafic de substances et même du viol, le tout sous couvert d'une prétendue satire des divertissements violents dont se gaverait une certaine "génération Y".

Ces enjeux d'ordre éthique, où d'aucuns perçurent de forts relents de néocolonialisme, le prochain titre sous la bannière Far Cry y proposerait une alternative surprenante. Dévoilé peu de temps avant sa sortie sur les différentes plate-formes numériques, le dérivé Far Cry 3: Blood Dragon est en effet un exercice de style transposant les fondations mécaniques du succès de 2012 dans un univers inspiré en tous points par la science-fiction populaire de la décennie 1980. Évacuant la grande majorité des aspects problématiques au profit d'un récit se délectant de sa propre insignifiance, l'ouvrage se positionne d'emblée sous le signe de la parodie et démontre bien comment une plastique hors du commun peut rafraîchir un style de jeu somme toute assez familier. Malheureusement, comme c'est le cas d'une majorité de productions de luxe, l'ensemble ne se montre pas à la hauteur du contenant.

Entre la série Z "direct-to-video", les dessins animés à la G.I. Joe et les jeux vidéo primitifs de Contra jusqu'à DOOM, Blood Dragon convoque un matériel riche, mais peine à en extraire autre chose qu'un pastiche risible et souvent vulgaire. Les allusions à la culture de plus en plus médiavore de l'époque se faufilent dans les moindres fissures - dans les échanges radio, les remarques aléatoires du héros, les descriptions d'armes et de tâches - mais ne constituent rarement plus que des clins d'oeil anecdotiques au passé fluorescent, ne se risquant surtout pas à questionner l'intérêt de cette nostalgie pour les muscles et le néon. C'est ce qui distingue Blood Dragon d'efforts parodiques supérieurs tels que le fameux Team America: World Police de Matt Stone et Trey Parker ou les excellents derniers titres de la série de jeux Saints Row; malgré quelques très bons gags et idées de tableaux émergeant de ses inspirations, le jeu demeure tout entier au service de ses références médiatiques et échoue à se forger une identité comique bien à lui.

Nul doute que la conception visuelle, aux formes et couleurs d'un autre temps, transporte l'oeil dans un réjouissant univers de fiction pure. La partition musicale est superbe, parfaite synthèse des influences de Giorgio Moroder et John Carpenter. Et c'est exactement là où le bât blesse: par son seul habillage cosmétique, Blood Dragon éveille une gamme de sensations plus ample et surtout plus subtile que tout son contenu d'ordre ludique et narratif. La fantaisie héroïque des années 80, si elle connaît des instants de grâce débridée, y est presque toujours amoindrie par l'ironie trop évidente de l'exercice, soulignant ses moindres gestes humoristiques de peur qu'ils n'échappent au spectateur. Demeurant très technique et souvent exténuant, le gameplay en point de vue subjectif demeure quant à lui trop ardu pour accommoder quiconque n'est pas déjà initié à la dynamique singulière de Far Cry et réduit d'autant plus la portée de l'objet. Il s'agit donc d'une sortie intrigante de 2013, particulièrement significative en ce qui a trait à son format (distribution numérique, coût et durée modestes), mais dont ceux qui n'ont pas côtoyé directement les référents questionneront facilement la raison d'être.

Disponible en téléchargement sur PC, Xbox 360 et Playstation 3 depuis mai 2013.

Visionner la bande-annonce
Envoyer par courriel  envoyer par courriel  imprimer cette critique  imprimer 
Article publié le 2 décembre 2013.
 

Essais


>> retour à l'index