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Le cinéma populaire de Pierre Perrault

Par Alexandre Fontaine Rousseau



Immanquablement, la notion de cinéma « populaire » est mise de l'avant par ceux qui défendent l'idée que les films produits au Québec doivent être dans la mesure du possible rentables, qu'ils doivent être vus par le plus grand nombre de spectateurs possibles et qu'ils doivent pour ce faire se conformer aux attentes préétablies d'un public dont l'on prétend connaître les goûts. Mais bien qu'en théorie l'idée d'un cinéma populaire puisse paraître noble, il faut comprendre que cette appropriation du terme par les défenseurs d'un certain cinéma commercial le dénature profondément. Afin de légitimer un pur produit de consommation, ce que l'on entretient ici, c'est en fait la confusion entre art populaire et art de masse.

Le terme « masse » sous-entend l'existence d'un vaste ensemble relativement homogène regroupant les individus sans les distinguer les uns des autres; le cinéma de masse est une construction déracinée, née de l'arrogante certitude qu'un petit nombre de producteurs, de scénaristes et de cinéastes savent ce que cette « masse » veut voir sur ses écrans. Contrairement aux apparences, l'art de masse est le fruit d'une mentalité profondément élitiste. Il n'est en rien « populaire », pour peu que l'on puisse encore concevoir que ce terme signifie qu'une chose émane du peuple, qu'elle le représente. Il trahit au contraire l'existence d'un rapport de domination, de supériorité - ainsi qu'une méprisable condescendance à l'égard de ce grand public dont on prétend satisfaire les attentes en nivelant consciemment vers le bas.

Qu'est-ce que le cinéma populaire? L'oeuvre documentaire de Pierre Perrault en offre un exemple toujours pertinent, tout comme ont pu le faire, dans le registre de la fiction, celles de Gilles Carle ou d'André Forcier. À l'idée d'une masse uniforme, leurs films opposent celle d'un peuple qui, de film en film, se précise et se défile, cherche à se définir sans jamais se laisser résumer. Chez Perrault, c'est toujours la question d'une identité collective potentielle qui est posée - ce qui n'a jamais empêché le cinéaste d'être l'un des plus grands portraitistes de l'histoire du cinéma documentaire. C'est-à-dire que l'individu ne se dissout jamais dans un ensemble indistinct, qu'au contraire la parole de chacun semble amplifiée par son association naturelle à une communauté.

Comment parler de Pierre Perrault aujourd'hui, sans verser dans le patrimoine figé ou, pire encore, dans ce folklore mort qu'il a pour sa part su déjouer si habilement? Peut-être faut-il se demander pourquoi il semble nécessaire, encore maintenant, de parler de son cinéma? Peut-être faut-il se demander à quelles images les siennes semblent s'opposer? Perrault n'est pas un cinéaste neutre, inoffensif, que l'on peut confortablement ranger dans une belle histoire dont on voudrait diffuser, au nom d'une culture réduite au rang de produit de luxe, le souvenir insignifiant : cette parole, vivante, qu'il a si bien su mettre en valeur, confère à son oeuvre une force irréductible, inépuisable, qui paraît encore et toujours actuelle, cinquante ans après la sortie de Pour la suite du monde.

Pierre Perrault, cinéaste populaire. Au sens noble du terme. Au sens où l'on dit de Woody Guthrie qu'il est un chanteur populaire. Au sens où son oeuvre, avec les années, s'est imposée en tant que fondement inébranlable d'une identité commune, d'une communauté à l'écran, en tant qu'esquisse d'une authentique cinématographie populaire. Au sens où elle continue d'opposer à l'idée d'un cinéma commercial voulant parler au nom de tous, mais dans lequel personne ne peut se reconnaître, un cinéma qui laisse parler les gens dans l'espoir que tous sauront, d'une manière ou d'une autre, s'y reconnaître.


Pour la suite du monde (Pierre Perrault, Michel Brault, 1963)
Un royaume vous attend (Pierre Perrault, Bernard Gosselin, 1975)

 
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Article publié le 24 avril 2013.
 

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