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Quelle est l’action d’Unifrance au Canada?

Par Guilhem Caillard
Entre distributeurs et festivals, retour sur les activités d’une institution française à l’étranger

Unifrance est de ces noms souvent entendus sans que l’on ne sache vraiment de quoi il en retourne. Si, en général, les professionnels de l’industrie cinématographique le connaissent, l'organisme reste assez méconnu auprès du grand public. Chez Panorama-cinéma, nous avons pensé que la dernière édition du Festival de films francophones CINEMANIA à Montréal serait l’occasion rêvée pour faire le point sur cette instance chargée de la promotion du cinéma français dans le monde et les principaux traits de son engagement au Canada.

Basée à Paris, l’institution abrite une trentaine d’employés parmi lesquels plusieurs agents ont la charge de différentes zones de la planète comme autant de marchés cinématographiques (Europe centrale et Orientale, Amérique latine, etc.).  Trois bureaux ont d’ailleurs été ouverts à l’étranger : New-York, Tokyo et Pékin. En 2008-2009, le financement de 9 500 000 Euros de l’organisme provenait à 80% des pouvoirs publics français (Centre National de la Cinématographie et Ministère des Affaires Etrangères et Européennes), le reste correspondant aux partenariats, cotisations des adhérents, mécénat et ressources propres.

Depuis sa création en 1949, Unifrance n’a jamais été une institution de subvention. Son secteur d’expertise est axé sur la promotion du cinéma. Année après année, l’organisme s’efforce de maintenir et stimuler la présence des films français à l’international, créer des rencontres entre les acteurs de l’industrie, servir de base de données pour les exportateurs et mettre à disposition ses travaux de veille stratégique. En aucun cas Unifrance n’intervient dans le budget d’un film en préparation. L’organisme peut lui apporter son soutien après son exploitation en France et s’assurer uniquement de sa carrière internationale. Cela se traduit par une aide aux exportateurs français qui n’ont pas encore trouvé d’acheteurs étrangers. Pour les autres, les plus chanceux, c'est-à-dire les exportateurs français ayant déjà trouvé des acheteurs, l’intervention d’Unifrance peut correspondre à l’allocation d’un budget d’aide aux festivals étrangers pour la prise en charge partielle ou totale du déplacement des délégations artistiques (acteurs, réalisateurs invités qui accompagnent le film).


WELCOME de Philippe Lioret (2009)

C’est ce dernier volet d’aide qui est le plus courant dans le cadre de l’intervention d’Unifrance au Canada, qui n’est pas la même selon les secteurs - il est évident que l’approche privilégiée pour le Québec n’a rien à voir avec celle du reste du pays. En effet, dans les régions anglophones, l’organisme n’a vraiment d’utilité qu’au Toronto International Film Festival, où le besoin de coordination des campagnes promotionnelles se fait le plus ressentir. Là, une fois par année en septembre, les exportateurs français sont très présents pour trouver des portes d’entrées sur les marchés nord-américains et asiatiques. Et pour ce qui est de l’Ouest canadien, en dehors des collaborations occasionnelles avec le festival de Vancouver, l’opacité de l’exploitation en majorité occupée par les réseaux Cineplex Odeon la rend difficile, sauf rares exceptions (par exemple La Vie en rose en 2008).

Unifrance va donc où les films français sont distribués, plaçant Toronto et la province du Québec comme principales destinations. Jean-Christophe Baubiat, chargé des pays francophones dans l’organisme et avec qui nous nous sommes entretenus sur la question, considère que créditer l’institution de favoritisme relèverait du « lieu commun » : « nous allons où les marchés se trouvent. » Celui du Québec est d’autant plus fort qu’il s’inscrit dans une longue histoire d’échanges entre distributeurs français et québécois. Puisque les réseaux sont déjà construits, la présence d’Unifrance est alors d’une autre nature : plus sélective, elle profite à quelques festivals, comme le Festival des Films du Monde, le Festival du Nouveau Cinéma et CINEMANIA.

En 2009, la part de marché des films français au Québec est tombée à 3,4%, la plus faible pour un pays francophone du Nord. Et pourtant, l’offre est au rendez-vous : le nombre de films distribués a augmenté ces deux dernières années (63 en 2007, 84 en 2009) alors que le nombre d’entrées pour cette cinématographie est en forte baisse (près de 2 millions en 2007, moins de la moitié deux ans plus tard). Certains distributeurs québécois évoquent la baisse en qualité des films et s’y intéressent moins. D’autre part, la disparition des distributeurs autrefois majeurs pour le cinéma français au Québec augmente les difficultés : au moment où Christal Films fait faillite, Equinoxe ne distribue quasiment plus de productions outre-atlantique et TVA Films n’achète plus de productions françaises. Les grands distributeurs ont désormais le champ libre : Alliance Vivafilm (qui a dernièrement sorti L’arnacoeur de Pascal Chaumeil), mais surtout Les Films Séville, deuxième acteur majeur du marché de la distribution au Québec, est en 2009 le premier pour les films français avec 26 titres distribués contre 17 chez Métropole, troisième distributeur en importance (qui vient d’acheter Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois).


PARTIR de Catherine Corsini (2009)

La stratégie d’Unifrance est naturellement de travailler avec tous les distributeurs, notamment ces trois acheteurs majeurs (mais également le Regroupement des distributeurs indépendants). Directeur de la distribution chez Séville, Pierre Brousseau nous avoue accorder une importance très particulière au cinéma français par attachement personnel, mais aussi pour conserver « le meilleur des deux mondes » (face aux blockbusters américains). À son avis, une partie du cinéma français suscite moins d’intérêt à cause de la présence de téléfilms programmés en salles bien que prévus pour le format de la télévision. Mais il estime que l’offre reste encore très riche : choisis par Séville, Un conte de Noël, Séraphine, Antichrist, Lady Chatterley, Je suis heureux que ma mère soit vivante, Mademoiselle Chambon et Les plages d’Agnès nous semblent faire figure d’exemples. Chaque année, Les Films Séville ne sauraient se passer de CINEMANIA, ayant acquis les droits de distribution des films d’ouverture et de clôture de la présente édition (Copacabana de Marc Fitoussi et Potiche, le dernier François Ozon). D’où la présence d’Isabelle Huppert pour la soirée d’ouverture : son déplacement devrait être pris en charge par Unifrance qui, par son aide apportée au festival, s’assure de la visibilité du film pour favoriser son rayonnement au Québec.

Unifrance n’a d’ailleurs pas toujours soutenu CINEMANIA : alors sous la direction du producteur Daniel Toscan du Plantier, l’organisme avait préféré déclencher en 1999 une opération Prestige à Québec sous la forme d’une semaine du cinéma français. Car l’autre volet important des activités d’Unifrance a toujours été la mise en place de festivals à sa charge, souvent réalisés en étroite collaboration avec les ambassades et consulats, pour offrir aux exportateurs français le maximum de visibilité. Si l’opération de 1999 avait été un succès, celle organisée en 2008 à Québec à l’occasion du 400ème anniversaire de la capitale a connu une fréquentation moindre malgré la présence de Dany Boon qui était venu présenter Bienvenue chez les Ch’tis et d’Abdellatif Kechiche pour La graine et le mulet.


Jean-Christophe Baubiat, chargé d’études et de relation aux distributeurs chez Unifrance,
lors de la présentation de Fais-moi plaisir! d’Emmanuel Mouret (ouverture de la
15ème édition de CINEMANIA, 2009)

Lorsque nous avons parlé à Jean-Christophe Baubiat, il se trouvait à Hanoi pour organiser la section French Focus du 1er Vietnam International Film Festival : avec ses 86 millions de spectateurs potentiels, le Vietnam, comme la Chine, est un marché à prendre. « Nous ne déployons pas les mêmes outils en fonction des marchés », précise M. Baubiat. La question d’un festival, comme l’exemple vietnamien, chapoté par Unifrance au Québec ne se pose pas vraiment étant donné l’importance de l’offre à ce niveau à travers la province. Et pourquoi mener une telle opération en région alors qu’il existe d’excellentes manifestations, comme à Rouyn-Noranda qui offre déjà une belle visibilité au cinéma français? Sans parler du nombre de festivals présents à Montréal. D’une certaine façon, CINEMANIA accomplit le travail qu’Unifrance aurait pu faire : si cet évènement n’existait pas, l’organisme aurait alors peut-être cherché à créer son propre festival.

Pour ce qui est du reste du Canada, l’idée d’une semaine du cinéma français en Alberta ou en Saskatchewan ne saurait relever d’Unifrance, mais plutôt du réseau consulaire ou des Alliances françaises chargées du rayonnement culturel. À moins bien sûr que des acheteurs potentiels soient au rendez-vous dans ces secteurs ; et pour le moment, il est bien normal d’en douter.


Article publié dans le cadre du Festival de films francophones Cinemania.
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Article publié le 13 novembre 2010.
 

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