WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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Fantasia 2012 : Le blogue du festival (2/2)

Par Panorama - cinéma
INDEX

Alter Egos  //  Jordan Galland (2012)
Eddie: The Sleepwalking Cannibal
  //  Boris Rodriguez (2012)

Funeral Kings
  //  Kevin et Matthew McManus (2012)

Game of Werewolves 
 //  Juan Martínez Moreno (2012)
Henge  //  Hajime Ohata  (2011)
L'Hypothèse du Mokélé-Mbembé  //  Marie Voignier (2011)
The King of Pigs
  //  Yeon Sang-ho (2011)
Let's-Make-The-Teacher-Have-A-Miscarriage-Club  //  Eisuke Naito (2012)  
The Mechanical Bride  //  Allison de Fren (2012)
Mondomanila
  //  Khavn De La Cruz (2012)

My Amityville Horror //  Eric Walter (2012)
Nakedness Which Wants To Die Too Much  //  Hidenobu Abera (2012)
The Warped Forest  //  Shunichiro Miki (2011)
We Are Legion: The Story of the Hacktivists  //  Brian Knappenberger (2012)

>> Festival Fantasia 2012



2012.07.27
FUNERAL KINGS (2012)

Kevin et Matthew McManus  |  États-Unis  |  85 minutes
 
Le danger, lorsqu’on a quatorze ans et les ambitions de quelqu’un de seize, c’est de se retrouver à faire à peu près n’importe quoi pour essayer de paraître cool et d’impressionner les plus vieux. Pour Andy et Charlie, cela est synonyme de : devenir servants de messes lors des cérémonies funéraires de leur communauté afin de s’absenter de l’école sans être puni, de voler du vin de messe au curé et, une fois les morts expédiés sous terre, de traîner dans les rues de la ville, où ils peuvent s’essayer à voler à peu près n’importe quoi.  

Mais bientôt, Andy et Charlie sont obligés de composer avec l’arrivée de David, un petit nouveau qui n’a visiblement pas le même genre de philosophie qu’eux. Avec une verve qui ne fait jamais dans l’économie de vulgarités – Andy et Charlie sont, à peu de choses près, les alter ego des personnages de Seth et Evan de Superbad… – , ils convainquent peu à peu leur camarade de l’intérêt de leur entreprise, cela pour se retrouver aussitôt impliqués dans un merdier dont ils auront du mal à se sortir et qui mettra à mal leur amitié bancale.  

À la manière d’un Stand By Me adapté à la sauce Judd Apatow, Funeral Kings raconte le récit de trois gamins (le bon, la brute et le truand) qui veulent grandir trop vite et qui se cassent ultimement les dents sur le monde des adultes qu’ils ne sont pas encore prêts à affronter d’eux-mêmes. Le choc qu’ils encaissent, c’est celui de la réalité que l’on tenait jusque-là hors de leur portée afin de les en protéger – cela va de soi, mais essayez d’expliquer ça à un pré-adolescent…    

La légèreté de leur univers est ainsi lentement remplacée par une gravité bienvenue, qui apporte au film et au genre une touche dramatique franchement stimulante. Au bout de leur aventure, ils saisiront d’abord l’utilité du mensonge pour survivre en société, et ensuite l’importance d’évoluer à leur propre rythme afin de ne pas se perdre en chemin. Évoluer, semblent nous dire les frères Kevin et Matthew McManus, scénaristes et réalisateurs de ce petit bijou de film indépendant, ce n’est pas mourir pour renaître, mais se transformer, étapes par étapes, sans jamais oublier qui nous sommes et d’où nous venons. (Guillaume Fournier)

Diffusion : 22 juillet à 19h45 (salle J.A. de Sève) et 23 juillet à 14h50 (salle J.A. de Sève)

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2012.07.25
GAME OF WEREWOLVES (2012)

Juan Martínez Moreno  |  Espagne  |  102 minutes

Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce bon vieux bougre le loup-garou a eu la vie dure au cours des dernières années. Réduit au rôle de faire-valoir par une bande de vampires efféminés dans la saga Twilight, exploité sans vergogne pour sa virilité spectaculaire (et son torse poilu) par une culture populaire qui n'a que faire de ses états d'âme plus profonds, le lycanthrope n'est plus de nos jours que l'ombre de lui-même. Même sous les traits fiers d'un Benicio del Toro, il aboutit dans un Wolfman (2010) mal ficelé au classicisme mal assumé.  

La question reste donc en suspend : où se cachent les véritables héritiers de Lon Chaney (le Wolfman original de 1941, figure tragique par excellence) et d'Oliver Reed (qui reprenait le rôle dans le Curse of the Werewolf de la Hammer, vingt ans plus tard)? Sûrement pas dans un Poil de la bête (2010) à la limite moins crédible en tant que film d'horreur que le Curse of the Were-Rabbit (2005) de la série des Wallace et Gromit…  

Game of Werewolves
 ne s'inscrit peut-être pas dans la noble tradition des films de George Waggner et de Terence Fisher, mais il fait cependant honneur à celle du fameux An American Werewolf in London (1981) de John Landis. C'est-à-dire qu'il s'agit d'une comédie d'horreur imaginative qui relève habilement le pari d'être réellement drôle tout en demeurant franchement efficace. Sans égaler le classique de Landis, ou encore arriver à la cheville du Shaun of the Dead(2004) d'Edgar Wright dont il rappelle fréquemment le ton cocasse, le film du cinéaste espagnol Juan Martinez Moreno multiplie avec une générosité fort appréciable les situations loufoques, un brin dérangées – trouvant le moyen de nous étonner constamment par l'inventivité tordue dont il fait preuve afin d'assurer la progression de son récit.  

Sans réinventer la roue, ce divertissement rusé arrive donc à un juste équilibre entre les rires qu'il provoque en étant futé et ceux qu'il arrache à l'aide d'une décapitation juteuse à souhait. Ajoutez à ce mélange gagnant une poignée d'effets spéciaux à l'ancienne ainsi qu'une distribution fort sympathique et vous avez rassemblé tous les ingrédients d'un succès populaire bien mérité – ou, à tout le moins, tout ce qu'il faut pour faire rugir de plaisir un Théâtre Hall bondé par un vendredi soir de pleine lune. (Alexandre Fontaine Rousseau)
 
Diffusion : 3 août à 19h15 (Théâtre Hall Concordia)

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2012.07.25
WE ARE LEGION: THE STORY OF THE HACKTIVISTS (2012)
Brian Knappenberger  |  États-Unis  |  93 minutes

Au contraire des structures simples – que l’on peut comprendre et détruire aisément lorsqu’elles deviennent trop encombrantes –, les structures complexes font peur. Peur parce que l’originalité de leur composition les rend plus difficiles à saisir et à (re)cadrer par l’esprit; peur parce qu’elles sont vivantes et qu’elles savent s’adapter aux réalités nouvelles qui se présentent à elles; peur encore parce qu’elles peuvent servir indifféremment l’un et son contraire lorsqu’elles ne sont pas accompagnées d’une véritable pensée éthique ou morale devant servir de garde-fou(s) aux prévisibles et inévitables dérives humaines.  

En s’attelant à la tâche de réaliser ce documentaire sur le groupe de pirates informatiques Anonymous, Brian Knappenberger s’est visiblement donné comme mandat de démystifier le mouvement et de le rendre plus accessible aux regards inquiets du grand public qui, pour l’instant, est tenu en otage par les campagnes de désinformations dont le groupe est trop régulièrement victime dans les grands médias. Maintenue dans la servilité par la peur, la masse mérite d’être mieux informée, semble penser le réalisateur, qui reprend en cela et à son propre compte les véritables objectifs d’Anonymous.   

Mais d’abord, qui compose Anonymous? Des citoyens ordinaires, des gens qui, inspirés, peut-être, par les super héros qu’ils voient au cinéma (analogie intéressante, qui mériterait d’être autrement explorée), sentent la responsabilité d’agir afin de contribuer à l’amélioration du bien-être collectif. Cachés derrière l’écran (le masque) de leurs ordinateurs, ces militants et (h)activistes ultracontemporains se lancent dans des entreprises de subversion qui visent à ébranler les colonnes multiformes du totalitarisme moderne, en utilisant pratiquement toujours la même arme : l’information.

L’information, comme l’explique l’un des intervenants du film, est ce qui permet actuellement aux gens riches d’êtres riches, ce qui permet à un fragment minuscule des habitants de la planète (1%) de s’élever en écrasant au passage la très grande majorité (99%) de leurs semblables. C’est parce qu’ils craignent de perdre cet avantage indu que les gens, les entreprises ou les organismes attaqués par Anonymous réagissent aussi fortement : après tout, « privacy is the privilege of the rich », comme on le dit avec ironie, dans le film…   

Anonymous fait peur, donc, parce qu’il se promet de faire ce qu’aucun dirigeant n’acceptera jamais de faire : offrir la vérité aux masses. Plus qu’un simple mouvement de jeunes « geeks » frustrés sexuellement, Anonymous se veut donc une véritable mouvance politique internationale, avec des intérêts, des ambitions et des objectifs bien concrets. Mais un tel programme est-il effectivement envisageable sous la forme actuelle d’Anonymous? La question mérite d’être posée car en vérité, à chaque membre d’Anonymous, ses propres ambitions…   

Les réflexions que suscitent ces questionnements d’organisations constituent, ultimement, le segment le plus intéressant de We Are Legion : The Story of the Hacktivists. Parce que, comme nous l’avons dit précédemment, Anonymous n’est pas à l’abri des dérives humaines. En ce sens, la structure complexe du collectif est peut-être ce qui lui permettra d’éviter les écueils de l’outrecuidance : tant que la majorité ne suivra pas aveuglément les leaders qui se lèveront périodiquement pour entraîner le groupe vers une nouvelle bataille et qu’ils n’accepteront pas d’être menés par un seul individu, il est permis de croire qu’Anonymous pourra continuer d’exister de manière pertinente et efficace, comme cela est actuellement le cas. (Guillaume Fournier)

Diffusion : 23 juillet à 22h00 (Théâtre Hall Concordia)

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2012.07.25
MY AMITYVILLE HORROR (2012)

Eric Walter  |  États-Unis  |  89 minutes  

Croire. C'est sur ce principe que repose le cinéma d'horreur dans son ensemble et ses plus récentes ramifications, à commencer par le sous-genre du found footage film, ne sont au fond que diverses manières de renouveler la foi chancelante du spectateur en l'image. D'une certaine manière, ce documentaire arrive donc à point dans notre processus de réflexion sur l'essence même de l'horreur à l'écran – revenant sur une histoire « vraie » ayant inspiré un film dont le succès repose en grande partie sur la prétendue véracité des faits qu'il relate.  

My Amityville Horror
 ne cherche d'ailleurs pas à prouver ou à réfuter la version des faits que nous présente Daniel Lutz, âgé de huit ans lorsque sa famille fut soi-disant victime d'une série d'événements surnaturels dans la maison de Long Island où elle venait tout juste d'emménager. Le film d'Eric Walter lève plutôt le voile sur la profonde influence qu'a eu sur la vie de Lutz le fait de croire en cette histoire de possession – croyance ayant transformé sa propre vie en un véritable film d'horreur.  

Ce qui s'avère fascinant, au final, c'est que la forme en apparence banale du film de Walter contribue à faire de celui-ci une expérience inquiétante. Comme si son esthétique même, celle du documentaire télévisuel, nous incitait à « croire », non pas à l'histoire de Lutz jusqu'au moindre détail, mais au moins à ce profond sentiment de terreur l'habitant. L'atmosphère lugubre de l'ensemble est ainsi amplifiée par l'emploi un peu grossier d'images d'archives, par la présence insistante d'une musique subtilement outrancière…  

Mais ce qui surprend, c'est surtout l'habileté avec laquelle Walter approche son sujet – un humain manifestement troublé, constamment sur la défensive, que le cinéaste arrive à cerner de manière sensible sans pour autant sombrer dans le piège de la complaisance. Cette habileté se traduit aussi par le choix du cinéaste de se mettre en scène lui-même, à certains moments précis de son film. À commencer par cette scène tendue où Lutz demande sur un ton insistant à Walter s'il possède la foi… Cette fameuse foi, cette capacité de croire, qui est l'enjeu principal de ce documentaire surprenant, à la lisière du film d'horreur. (Alexandre Fontaine Rousseau)

Diffusion : 22 juillet à 22h00 (salle J.A. de Sève) et 27 juillet à 17h05 (salle J.A. de Sève)

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2012.07.24
THE WARPED FOREST (2011)

Shunichiro Miki  |  Japon  |  81 minutes  

Mettant en vedette la fameuse Rinko Kikuchi, la deuxième mise en scène de Shunichiro Miki (sbire de Katsuhito Ishii, réalisateur respecté de The Taste of Teaet Funky Forest : The First Contact) le fait s'exercer sans son maître pour une première fois dans un film ô combien membreux. En effet, c'est en planant au-dessus d'une forêt enchantée qu'il nous largue, abandonnés, seuls et sans réponses au centre d'un univers aux limites de l'incompréhensible et de la folie sexuelle pure (ce qui n'est pas tant une mauvaise chose sinon qu'elle fera rougir les plus prudes).  

Ici, une dame en habit traditionnel arrose des arbres-femmes en leur faisant un bouche à bouche d'eau de source. Le fluide de la Terre les reliant le temps d'un baiser, il est ce qui permet aux dryades de Miki d'être pollinisées et de fournir aux hommes du village des poires d'une forme curieusement vaginale. Jouant constamment sur l'interdit de représentation des organes sexuels qui oblige l'érotisme nippon à suivre une certaine ligne de pudeur (en grande partie responsable pour l'abus graphique de toutes les autres parties du corps – là, les mamelons), Miki nous sert une comédie érotique tout à fait dégourdie. Non loin des The Most Beautiful Night in the World ou Underwater LoveThe Warped Forest s'amuse même avec une arme tirée d'un jeu vidéo à en faire sortir un phallus chargé à bloc de liquide blanc capable de révéler chez certains mollusques fantastiques un sac d'organes assez louches.  

Entre ça et la chevelure bruyante d'un commis à la vente et une femme trop grande pour son magasin (et pour qu'on ne pense pas qu'un des pervers du coin tenterait de se glisser sous sa jupe et s'exercer à la spéléologie), The Warped Forest s'inscrit dans un besoin particulier de sexualiser le monde, de voir dans chacun des désirs quotidiens le sous-texte d'une envie irrépressible de chercher des liens épidermiques avec un corps étranger (qu'il soit fruit, téton-mangue on gérante géante). La réussite de Miki n'est pas d'avoir mise en contexte sa fantaisie dans un rêve collectif révélé par une scène d'ouverture une conclusion à l'efficacité assez discutable, mais plutôt d'être parvenu à réaliser autant de séquences pornographiques en 80 minutes sans jamais montrer un seul sexe. Comme quoi tout passe par la suggestion, par le jeu des formes, des bruits de succions et de la rencontre des fluides de l'un avec des fluides de l'autre. (Mathieu Li-Goyette)  

Diffusion : 29 juillet à 19h10 (Théâtre Hall Concordia)

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2012.07.24
MONDOMANILA (2012)

Khavn De La Cruz  |  Philippines, Allemagne  |  75 minutes 
Ce qu'on appelle le renouveau du cinéma philippin détonne des autres nouvelles vagues contemporaines de par son aptitude à conjuguer le « trash » avec la conscience politique et une palette indigeste de couleurs. Plongeant au cœur des lieux communs de l'actualité internationale (jusqu'à juxtaposer un portrait d'Obama avec un autre d'Oussama ben Laden), De La Cruz est un provocateur immoral qui se plaît à utiliser autant des enfants que des handicapés sévères pour les transformer en « freaks » des ruelles de Manille. Inspiré librement du courant italien Mondo des années 60 où le réalisme documentaire cherchait à choquer le public par sa violence envers le corps humain, mais aussi sa torture d'animaux bien vivants, Mondomanila doit s'aborder avec la plus grande des précautions.  
Ne rechignant pas à montrer des cadavres, des organes coupés et des animaux réellement terrassés, De La Cruz nous convie à sa Manille sale et corrompue où la rue est plus infernale que l'Enfer dantesque, où les idées tordues des jeunes et vieux pervers s'approchent d'une expérience protéiforme (karaoké, jeu des genres, arrêts sur image, montage erratique) des pires passages du Marquis de Sade. Tarantino des pauvres (dans tous les sens du terme) et complètement dépravé, le Philippin retourne à ses premiers efforts à la mise en scène en allongeant au possible son court-métrage Mondomanila de 2004. En résulte un regard disjoncté, mémorable par son collage inventif, mais détestable pour ses obsessions ignobles.  

Faiseur d'un cinéma qui nivelle vers le bas, Cruz est un artiste inconscient qui se serait mis à crier haut et fort sa légitimité à faire de l'art sous prétexte qu'il sait faire du bruit et nous jouer dans les tripes. Or du haut de notre prétention critique, on lui répond que le cinéma n'est pas seulement l'exploration d'effets et de formes et que si les élans expérimentaux l'intéressent tant, c'est par la recherche d'une cohésion esthétique qu'il devrait commencer. Son seul fil conducteur, c'est celui du chaos et de l'anarchie de la rue. Sa seule vertu, c'est celle d'un créateur rebelle qui conteste l'américanisation du 7e art comme Glauber Rocha s'en était autrefois fait le penseur. Mais n'est pas Rocha qui veut et avant de parler d'un cinéma novo philippin (un cinéma bago, pour être plus précis), il faudrait d'abord que des œuvres aussi traumatisantes que Mondomanila aient de la suite dans les idées et du cœur au ventre au lieu de penser en suite de ventres ouverts et de cœurs arrachés. Sur la bonne voie d'être le Makavejev carnavalesque de l'Océanie, espérons un peu plus de maturité pour la prochaine fois. (Mathieu Li-Goyette)  

Diffusion : 20 juillet à 22h15 (salle J.A. de Sève) et 1er août à 15h10 (salle J.A. de Sève)
 
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2012.07.20
EDDIE - THE SLEEPWALKING CANNIBAL (2012)
Boris Rodriguez  |  Canada, Danemark  |  83 minutes

Les coproductions entre le Danemark et le Canada relèvent plutôt de l'exception. Quiet Revolution Pictures, compagnie basée à Ottawa, s'est pourtant spécialisée en la matière, surfant sur la vague des 53 traités de coproduction signés entre le Canada et l'étranger. Eddie, avec son sous-titre burlesque, semble ainsi sortir de nulle part, appuyé par Téléfilm Canada, Bavaria Film, et le Danish Film Institute (ultra présent depuis les douze derniers mois). Le projet même du film est assez déjanté : raconter les déboires de Lars Olafssen, peintre danois de grande réputation, qui s'installe en Ontario au milieu de nulle part pour entamer une nouvelle carrière de professeur dans une petite école d'art. Lars n'a pas peint depuis dix ans. Mais sa rencontre avec Eddie, le « freak » de la ville, va lui faire retrouver son inspiration. La nuit, Eddie met à profit ses crises de somnambulisme pour aller dévorer des petits animaux, et bientôt des humains...

D'emblée, le spectateur aura envie de donner une bonne note au cinéaste Boris Rodriguez pour lui offrir exactement ce qu'il espérait : un carnaval morbide et grotesque qui sied si bien au genre. Et cela tout en finesse. Pour mettre en place des situations toujours plus caucasses, les préparer comme il se doit et sans précipitation, Rodriguez pratique bien l'art de mettre en présence des visages archétypiques. Le choix de l'acteur danois Thure Lindhardt dans le rôle principal est juste parfait. L'inquiétante expression de son regard aux yeux globuleux n'a d'égale que ses cernes, de plus en plus appuyés au fur et à mesure que le récit avance. Il y a aussi cet agent, spécialement venu du Danemark pour convaincre le peintre de reprendre ses activités : alcoolique à la voix caverneuse, son broching semble tout droit venu d'outre tombe. Puis, bien-sûr, Eddie remporte la médaille, avec son air terriblement enfantin. Autre point fort du film : la bande originale signée David Burns, jouissive dans ses désaccords et ses élans cacophoniques, en particulier lorsqu'elle accompagne les instants les plus crus - au passage, les amateurs de scènes de cannibalisme seront servis, même si Rodriguez a l'intelligence de ne pas faire dans la surenchère.

Eddie: The Sleepwalking Cannibal insère constamment dans son montage l'image de la toile vierge du peintre sur un chevalet, dans une position centrale d'attente. Inspiré par la violence de son nouveau protégé, Lars tourne sans cesse autour, et nous tous avec lui. Rodriguez maîtrise ses intentions tandis que nous sommes privés de voir le résultat final. C'est rudimentaire, malsain et plaisant. Ni plus ni moins, et déjà bien assez. Les adeptes de Pontypool (Bruce McDonald, 2008), film de zombies canadien, se retrouveront très bien ici. (Guilhem Caillard)

Diffusion : 4 août à 16h25 (Théâtre Hall Concordia)

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2012.07.20
LET'S-MAKE-THE-TEACHER-HAVE-A-MISCARRIAGE-CLUB (Sensei wo ryuzan saseru-kai) (2012)

Eisuke Naito  |  Japon  |  62 minutes

Au royaume de la comédie violente cartoonesque et maniérée, Let's-Make-The-Teacher-Have-A-Miscarriage-Club est une petite perle sans prétention qui en surprendra plus d'un. À prendre à la légère, le premier film d'Eisuke Naito est sans budget et réitère le courage du Festival Fantasia à avoir programmé cette année ces quelques programmes doubles incontournables. Ceux-ci, composés de moyens-métrages qu'on aurait autrement ignorés, rappellent le mode d'apprentissage classique des cinéastes japonais de l'époque de l'âge d'or. Assigné à des maîtres à titre d'assistants-réalisateurs, Akira Kurosawa servit sous Mikio Naruse et Kajiro Yamamoto tandis que Masaki Kobayashi fut le bras droit de Keisuke Kinoshita. Shohei Imamura épaula même Yasujiro Ozu, mais tous, de la Toho à la Shochiku, durent faire leurs preuves dans un premier et décisif moyen-métrage qui suivrait ou précéderait le film de leur mentor.

Sans s'établir dans une relation de disciple à sensei (l'industrie contemporaine procède parfois de la même manière en se tournant vers la télévision comme banc d'essai), cette esquisse rapide de Naito confirme le moyen-métrage – la forme la plus sous-estimée des festivals et des circuits commerciaux – comme plate-forme idéale pour la démonstration de talent d'un jeune premier. Ni trop long, ni trop court, on y voit l'aptitude du cinéaste a tenir en haleine 62 minutes durant, à s'exercer à la fois au scénario, puis à la mise en scène et à la direction d'acteur comme s'il était question d'évaluer sa capacité à passer au long-métrage. Et à ce sujet, Naito semble tout à fait prêt, car en prenant la simple anecdote d'une professeure enceinte tourmentée par sa classe de délinquants (ils cherchent à provoquer sa fausse-couche – tordus, ces Nippons, on vous l'avait dit) – il étire une comédie aux allures burlesques et sans prétention en film d'écolières survoltées où les jupons cachent bien plus qu'un espoir pervers.

Évitant habilement les codes lourds de l'esthétique du cinéma de genre japonais des dernières années où les couleurs flamboyantes et les références systématiques au manga sont la norme, le réalisateur déploie sans effort une routine immersive où l'on espérerait voir se développer les personnages au fil du quotidien d'un film plus long, voire d'une série télévisée. Voilà de belles nouvelles venant de la part d'un inconnu désormais à surveiller. (Mathieu Li-Goyette)   Diffusion : 20 juillet à 17h20 (salle J.A. de Sève)  et 7 août à 12h25 (salle J.A. de Sève)

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2012.07.19
NAKEDNESS WHICH WANTS TO DIE TOO MUCH (Shinitasugiru Hadaka) (2012)

Hidenobu Abera  |  Japon  |  70 minutes  

Nakedness Which Wants To Die Too Much
 porte déjà, en son titre, l'ensemble des problématiques de son récit et des problèmes de sa mise en scène. À la fois histoire troublante sur le jeune Michiru (Hidenobu Abera) aux tendances suicidaires, c'est aussi la démonstration des tares esthétiques qui alourdissent gravement le cinéma japonais contemporain. Acteur-réalisateur-scénariste, Abera se met donc en scène en personnage peureux, effrayé par tout, délaissé par sa famille et ses camarades de classe qui l'humilient quotidiennement. Lorsque forcé à voler des revues pornos dans une des nombreuses librairies osées de Tokyo, Michiru tombe sur Sayaka, jeune écolière perverse trouvant dans l'étreinte de proxénètes encore plus pervers la seule façon de se faire femme (« je me sens complète lorsque je suis un trou à sexe » – c'est on ne peut plus vulgaire et précis).  

Cette vulgarité a quelque chose pour plaire, car comme dans un certain pan du cinéma japonais contemporain où les racines du pinku-eiga se sont disséminées dans la comédie cochonne, les frontières entre le désespoir vécu au quotidien par des reclus et l'industrie du sexe terrifient. C'est ce dont parlait l'an dernier Hisayasu Sato dans l'excellent Love & Loathing & Lulu & Ayano. Même Sion Sono, en clôturant sa trilogie de la haine avec Guilty of Romance, faisait le rapprochement pertinent entre cette perversité hypocrite gangrenant la culture populaire nippone et les pulsions de mort les plus  primaires. Entre Éros et Thanatos, ces films poursuivent les obsessions chères à l'art japonais depuis des siècles et plus particulièrement à la forme shinjū se terminant systématiquement par le sacrifice de deux amants dans un pacte de suicide, ultime preuve d'un amour si grand qu'il ne pourrait, en vivant le quotidien, que se détériorer. Cherchant à se réunir au Ciel, les deux amoureux s'enlèvent la vie et tombent sur le sol, symétriques et prêts à entrer dans la légende.  

Mais pour Michiru et Sayaka, il n'y a pas de légende, ni de Ciel. Se tuant à répétition pour le plaisir en remplaçant le vrai sang par du faux, le jeu de la mort est aussi exubérant que le titre interminable du film et son esthétique mariant une recherche de style efficace (jump-cuts, ralentis, accélérés, fondus) à des erreurs gênantes (de nombreux plans surexposés, des acteurs de soutien médiocres). Déjouant la structure connue du shinjū, on rencontre la nouvelle jeunesse japonaise assise sur un passé forgé dans le sang et l'acier, mais réfléchissant sa fragilité émotive dans les peluches et les circuits imprimés. La grande tragédie de Nakedness Which Wants To Die Too Much, c'est d'être le récit de passage à l'âge adulte d'un cinéma en métamorphose, d'une nation amenée à accepter sa condition d'homme moderne qui, après des dizaines de milliers de seppukus, doit s'avouer être incapable de mourir, mais aussi incapable d'en appeler au bon sens et aux vertus de l'humanisme. Face à l'impasse, il ne nous reste qu'à nous enterrer (comme dans la boîte-cerceuil cartonnée de Michiru) sous la honte et la couardise. (Mathieu Li-Goyette)  

Diffusion : 20 juillet à 17h20 (salle J.A. de Sève)  et 7 août à 12h25 (salle J.A. de Sève)

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2012.07.19
HENGE (2011)

Hajime Ohata  |  Japon  |  54 minutes

Yoshiaki Kadota ressent depuis plusieurs années d'étranges malaises. Ça lui prend dans le cou, dans la tête, un peu partout et la douleur ne cesse qu'en de rares moments de sérénité. Épaulé par sa femme à travers la dure épreuve de son isolement du monde, Kadota se transforme de Japonais reclus à bête garnie de protubérances organiques nervurées par le sang de la haine. Croisement entre Swamp Thing et Godzilla, la bête que deviendra Kadota est très certainement l'une des plus brillantes métaphores nippones des dernières années. Capable de condenser en un seul personnage la crainte des autres, la discipline d'acier de l'âme et le désir de paix et d'harmonie avec la Nature, Ohata crée un monstre carburant et évoluant au gré de la haine des hommes. Bombe atomique avec un goût pour la morale, la créature que devient Kadota est composée de « tout ce qui n'est pas humain », nous explique voyante qui verra en lui la fin de l'humanité, la réponse finale d'une Terre qui a supporté des siècle de pillage et de violence en emmagasinant cette énergie canalisée par le monstre Kadota. 

Ohata exagère les mythes shintos en exploitant leurs préceptes de communion avec la Nature et les hommes pour soulever ce qui n'est plus respecté depuis longtemps. C'est en quelque sorte face à notre hypocrisie que Kadota se transforme, face à notre égoïsme qui a fait du monde un endroit où le courant ne circule plus entre les individus, où les réseaux sociaux, en donnant l'illusion d'une toile de connexions totale, ont brouillé les rapports que nous pouvions entretenir. Le monstre d'Ohata, c'est le monstre de toute une condition postmoderne japonaise et terrifiante, certainement comparable aux trouvailles de Tsukamoto, mais néanmoins plus distinguées, moins trash, et axé sur l'élaboration d'une fantaisie à partir de notre réalité la plus conventionnelle. 
 
Malgré ses moyens limités, la technique du jeune cinéaste est, à peu de choses près irréprochable, car si les effets les plus ambitieux trahissent son faible budget, sa direction d'acteur étoffée et sa mise en scène d'une rare maturité procurent à son monstre et son couple dysfonctionnel une présence à la fois prenante et lourde de sens – autrement dit, le meilleur 60 minutes que la série Masters of Horror n'a jamais eu. Capable, en moins d'une heure, de dire ce que d'autre ne font qu'effleurer en une carrière complète, Ohata est un nom à encercler, à surligner, à mettre en gras et à épingler au mur, car il est certain que d'ici quelques années (peut-être une ou deux – n'espérons pas plus), le cinéma mondial se verra doté d'un nouveau créateur incontournable. (Mathieu Li-Goyette)
 
Diffusion : 20 juillet à minuit (salle J.A. de Sève)
 
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Article publié le 18 juillet 2012.
 

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