WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
L’équipe Infolettre   |

RIDM 2019 : Partie 1

Par Mathieu Li-Goyette et Olivier Thibodeau


photo : Kuyu Film

BELONGING
Burak Çevik  |  Turquie/Québec/France  |  2019  |  72 minutes  |  Compétition internationale longs métrages

Ça commence mal, avec un diaporama d’images fixes accompagnées de la narration feutrée d’une histoire d’amour meurtrière.* « Je veux raconter ton histoire », déclare l’homme, « et à travers celle-là la mienne », l’histoire d’une rencontre fortuite dans un bar qui, à travers une série de péripéties rocambolesques, mène au meurtre de la belle-mère. Une histoire d’amour désincarnée, autre que dans de froides vanitas ponctuées de musique glauque et une série de faits platement décrits. Or, c’est dans la seconde partie que la première prend tout son sens, dans la mise en corps des protagonistes, dans la physicalisation de leur histoire, et la pénétration des espaces illustrés précédemment, bref dans l’humanisation d’un récit désossé qui s’apparente a priori à une procédure d’aveu de culpabilité. De l’éthéré liminal des faits narrés, on bascule donc dans l’illustration concrète de la rencontre, voyageant non pas du présent vers le passé, mais d’une conception linéaire vers une conception circulaire du temps. Et c’est là que se déploie tout le potentiel thaumaturgique et moderne de l’œuvre : dans l’injection d’échos fantomatiques au sein d’images romantiques usitées, bref dans l’adoption d’une narration deleuzienne où coexistent de façon concomitante le passé, le présent et l’avenir, permettant à l’auteur de tracer un halo gris profond autour d’une idylle rosie et de cultiver chez le spectateur un sentiment constant d’anticipation. Les nombreux tours de passe-passe ainsi élaborés savent certes nous émerveiller, mais jamais autant que le numéro central, celui qui consiste à nous immerger corps et âme dans un passé présent nonobstant notre prescience de la tragédie à venir. La mise en scène de la seconde partie est simple et efficace, ramenant la vie dans les espaces vides illustrés précédemment, donnant vie aux personnages également, grâce à une série d’échanges savoureux et d’éclairages expressifs. Au final, c’est donc la nature très exacte de la rencontre amoureuse spontanée que parvient miraculeusement à cerner Çevik, cet îlot d’intimité où le temps fige, où la logique et l’anticipation n’ont plus de poigne, où l’espace se décompose en détails pittoresques. À cet égard, on constate d’ailleurs que le titre réfère tout autant à une attache environnementale qu’à une attache nostalgique, celle d’un moment passé mais jamais révolu dans lequel on vit à perpétuité, par-delà tous les dispositifs carcéraux qui s’érigeront ensuite autour de nous. (Olivier Thibodeau)

*Critique publiée une première fois dans notre couverture de la Berlinale 2019

 


photo : RYOT Films

CHÈCHE LAVI
Sam Ellison  |  États-Unis/Mexique/Haïti  |  2019  |  76 minutes  |  États du monde

Rare occurrence que celle d’un récit migratoire aussi beau et cruel à la fois, un récit au développement parfaitement organique, où la critique implicite des politiques migratoires étasunienne provient du parcours de deux travailleurs apolitiques, deux tâcherons stoïques avides seulement d’un labeur honnête. Premier long-métrage du jeune documentariste Sam Ellison, Chèche lavi (du créole pour « cherche la vie ») suit le parcours de James et Robens, deux compatriotes haïtiens devenus migrants économiques, forcés de quitter leur pays dévasté en 2010 pour rejoindre le Brésil, avide à cette époque de main-d’œuvre bon marché pour l’édification des installations olympiques, puis forcés de quitter le Brésil dévasté de 2016 pour essayer de rejoindre l’Eldorado étasunien, supposé offrir l’asile aux Haïtiens déplacés.* C’est au Mexique, à l’aube de l’ère trumpienne, que nous rencontrons les deux comparses, au pied d’un mur destiné à devenir le sujet d’infinies tergiversations. Frappés d’abord par le charisme et l’humanité des deux sujets, dont le patois à peine saisissable, la débrouillardise, la détermination et la bonne humeur nous les rendent d’emblée magnétiques (c’est ce qu’il a de beau dans le film), force est ensuite de constater la grande qualité de la photographie, de ces cadrages pittoresques qui capturent simultanément l’essence des lieux et celle de l’amitié que partage les deux hommes, des cadrages symboliques également, qui pourvoient au spectateur d’infinies variations sur le thème du passage, butinant à la frontière des images d’autant plus pertinentes qu’elles permettent d’illustrer de nombreux enjeux propres à l’une des plus acrimonieuses polémiques de l’histoire étasunienne. On assiste ainsi à la construction nonchalante du mur par des ouvriers désintéressés qui boivent tranquillement leur café. « Le mur, je m’en fous », déclare alors Robens, « ce n’est pas mon affaire », exprimant ainsi parfaitement la résignation des pauvres tiers-mondistes et leur endossement tacite du statu quo, produit d’un sentiment indécrottable d’impuissance politique. C’est ça qu’il y a de cruel dans le film : la résignation et l’impuissance circonstancielle des sujets, exemplifiée par le parcours dantesque de James, d’Haïti vers le Brésil, puis le Mexique, pour traverser péniblement la frontière vers les États-Unis, où il sera emprisonné, enchaîné, puis trimballé contre son gré vers le Missouri, le Tennessee et la Louisiane, puis expulsé vers son pays natal, comme dans une parodie grotesque de son parcours initial. Visiblement, les accolades reçues par Sam Ellison pour son travail de caméra sur Manchester by the Sea (2016) et Vox Lux (2018) sont entièrement mérités, mais on lui découvre aussi ici certains talents de monteur, tel qu’en témoignent quelques parallèles géniaux entre la vie de James en Haïti et la (nouvelle) vie de Robens à Tijuana. Ceci dit, autant voudrait-ton encenser son travail, que c’est plutôt le travail de ses deux sujets qui se révèle ici digne de mention, ne serait-ce que pour l’impossibilité pour eux de voir l’acharnement dont ils font preuve quotidiennement résulter en des récompenses internationales. (Olivier Thibodeau)

*Critique publiée une première fois dans notre couverture du Festival international du film de Rotterdam 2019

 


photo : Lemohang Jeremiah Mosese

MOTHER, I AM SUFFOCATING. THIS IS MY LAST FILM ABOUT YOU.
Lemohang Jeremiah Mosese  |  Lesotho/Allemagne/Qatar  |  2019  |  76 minutes  |  Compétition internationale longs métrages

Trouver un titre à rallonge qui soit percutant et tourner en 16 mm ne sauve aucun film radical de sa propre complaisance radicale.* Dans le cas de Lemohang Jeremiah Mosese, cinéaste du Lesotho vivant aujourd’hui à Berlin, son Mother, I Am Suffocating. This is my Last Film About You. commence avec une image forte qui veut déjà tout dire : une femme peine à accomplir le long du cadre un douloureux chemin de croix, dans un reflet d’eau qui scinde l’image en deux, entre l’image du réel et l’image de sa réflexion. Qui plus est, l’image est à l’envers, l’eau étant en haut, la terre en bas, faisant subir à la dichotomie qu’il compose une inversion qui est à l’image de sa démarche : Mosese est un Africain qui souhaite enterrer coûte que coûte son lien à l’Afrique, lien qui passe par la présence symbolique de sa mère, à qui son héroïne s’adresse dans une voix off lancinante, répétitive, cruelle, sadique. Tout le film est porté par cette voix, privant ses sujets de leur parole à eux, recyclant curieusement par la même occasion les écueils des premiers films blancs tournés en Afrique.

Alors qu’à peu près tous les films africains d’exil se posent la question d’un retour aux sources, Mother, I Am Suffocating. mise sur la violence du reniement pour souligner sa propre originalité, associer l’image de la mère à un règlement de compte face à ses propres origines, s’attaquant à sa couleur de peau, à une forme de mal-être identitaire si fondamental qu’il semble impossible d’en échapper sans s’arracher violemment à sa propre histoire. Or le problème de Mother, I Am Suffocating., n’est bien entendu pas le fait qu’il ose se retourner contre soi, et ensuite s’en prendre à sa mère ou à son pays (jugement de colon proprement colon qu’il faut absolument s’interdire – tout le monde a le droit de choisir l’exil volontaire), mais bien qu’il le fasse aussi mal, de manière si lourde, si appuyée. Si l’image forte du début veut déjà tout dire, on retrouve aussi là les défauts du film en entier, qui cherche à compresser de manière tapageuse l’ensemble de ses thèmes en les martelant aux yeux et aux oreilles du spectateur lors de tous ses plans, à chacune de ses idées choquantes. Conséquemment, Mosese livre un cauchemar d’une noirceur absolue, mêlant la mise en horreur de ses origines avec un cannibalisme familial qu’il met littéralement en scène dans son dernier acte. Bien que la commotion provoquée par ces images est affectivement marquante, troublante, il n’en demeure pas moins que ses cris oblitèrent toute forme d’introspection, de réflexivité ou de distance possible face aux accusés restés là-bas, et qu’en retour, c’est tout ce que la voix off cherche insidieusement dans la répétition ad nauseam de sa haine : de l’introspection (nombriliste), de la réflexivité (d’esthète) et de la distance (injuste).

Qui peut bien faire un film qui tue sa mère sans lui laisser droit de parole ? Un cinéaste qui croit qu’en se permettant tout, on lui rendra la pareille — mais pas nous ; de nous, il n’aura rien, pas même la compassion qu’on réserve aux premiers films. (Mathieu Li-Goyette)

*Critique publiée une première fois dans notre couverture de la Berlinale 2019

 


photo : BBC Studios

NOMAD: IN THE FOOTSTEPS OF BRUCE CHATWIN
Werner Herzog  |  Royaume-Uni  |  2019  |  89 minutes  |  Portraits

Nomad, c’est du pur Herzog, libre dans la forme et fascinant dans le propos, une œuvre à mi-chemin entre la biographie et l’autofiction, entre la prospection et l’introspection, entre la terre et le cosmos, entre le prosaïsme de l’existence humaine et le caractère intangible de ses rêves, un film qui réunit miraculeusement le pouvoir hypnotique du Wild Blue Yonder (2005) et la passion ethnographique de Cave of Forgotten Dreams (2010). Nomad, c’est une œuvre qui suinte le plaisir de vivre et le plaisir de faire du cinéma, passions enchevêtrées de façon indistinguable dans l’art du célèbre metteur en scène allemand, qui rend ici un vibrant hommage à son ami disparu, l’écrivain britannique titulaire, mort du sida à l’âge de 49 ans. Or, plutôt que de faire un simple récit biographique de l’homme, il décide littéralement de lui emboîter le pas, et de remonter aux différentes sources d’inspiration de ses récits, retrouvant par le fait même la trace de ses propres films. Le titre est particulièrement bien choisi à ce sujet, puisqu’il évoque non seulement cette idée de filature, mais surtout le principe structurel et idéologique du nomadisme, qui caractérise le travail des deux artistes à la fois.

Mû par un lyrisme transcendantal qui provient autant de sa propre curiosité que du respect déférent qu’il entretient pour son ami, Herzog perfectionne donc ici l’art de la filature nomade emprunté à celui-ci grâce à une quête spontanée de merveilles insoupçonnées : sujets excentriques, objets fantasques et lieux insolites, réunis dans des chapitres thématiques aux noms intrigants (« La peau de brontosaure », « Paysages de l’âme », « Le sac à dos de Chatwin », etc.), graciant ainsi la diégèse d’une offrande constante de tableaux bizarres et magnifiques peuplés d’êtres mystiques. C’est le principe du Fast, Cheap and Out of Control (1997) d’Errol Morris, imaginé par un auteur encore plus curieux, instinctif et aventurier, qui plutôt que de se cantonner aux banlieues étasuniennes fait du monde entier son terrain de jeu, à l’instar des nomades disparus dont il met en scène les rituels élusifs. De surprise en surprise, on se laisse entraîner volontiers par la succession des paysages et des perles anthropologiques, envoûtés par la voix off sensuelle et fureteuse de l’auteur, ainsi que par le ludisme d’une mise en scène parfaitement adaptée à l’hommage d’un homme qui, lui aussi, mêle constamment rêve et réalité, documentaire et fiction, un rêveur, un farceur et un conteur hors pair, à l’instar de son ami, qui nous sert ici à son tour de guide à travers les foisonnants paysages de l’âme. (Olivier Thibodeau)

 


photo : Wajda Studio
 

SYMPHONY OF THE URSUS FACTORY
Jasmina Wójcik  |  Pologne  |  61 minutes  |  Compétition internationale courts et moyens métrages

Pour reprendre l’expression d’une amie (à propos du dernier Orson Welles), Symphony of the Ursus Factory est un film qui se regarde « à l’infini ».* Pourquoi ? Parce que c’est une œuvre somptueusement filmée, une œuvre qui nous prend au cœur et aux tripes, sans jamais lâcher, du premier jusqu’au dernier plan, gracieuseté d’un rythme enlevant et hypnotique digne des meilleures scènes d’action hongkongaises, mais aussi de ses plus illustres précurseurs cinématographiques. Comme son nom l’indique, l’œuvre constitue en effet une sorte de version crépusculaire du film symphonique des années 1920 (i.e. Berlin, symphonie d’une grande ville [1927] et L’Homme à la caméra [1929]). Crépusculaire puisque la fabrique industrielle de tracteurs Ursus, qui employait à l’époque 20 000 personnes, s’est aujourd’hui désagrégée, laissant derrière des amas de débris et de nombreux travailleurs nostalgiques, à qui Wojcik offre non seulement la parole, lors de descriptions succinctes mais fort pittoresques de leurs souvenirs d’époque, mais aussi l’occasion inédite de participer à un hommage vivant aux beaux jours de leur labeur ancien et à la grandeur perdue de l’industrie polonaise. Or, bien qu’une telle démarche procède d’un certain conservatisme idéologique, pour ne pas dire d’un passéisme malsain, cristallisé par un culte machinique rétrograde et tapageur, cette démarche reflète également un dessein humaniste, cristallisé, lui, par le culte du travailleur. En cela, le film incarne parfaitement l’un des plus indécrottables paradoxes soviétiques, à savoir la mythologisation simultanée du travailleur et de l’usine, de la chair et de l’acier. Ceci dit, le film hérite aussi de quelques traits géniaux de l’ère soviétique, dont l’efficacité hors pair du montage eisensteinien et l’esprit de corps social, que la réalisatrice met au service d’un spectacle palpitant d’images mues par le son, et de gestes mus par la chorégraphie révolue du travail manufacturier, restauré par les ouvriers via la stimulation de leur mémoire musculaire. Le résultat est époustouflant, série de ballets mécaniques sur fond de paysages industriels ruinés et de numéros musicaux berkeleyiens où ce sont des tracteurs qui effectuent des figures autour de travailleurs exaltés qui viennent ensuite embrasser leur carrosserie rutilante, pourvoyant ainsi l’image emblématique du projet : celle de l’être humain et de la machine, dans une étreinte symbiotique, comme celle du kinoglaz et de son sujet prolétaire durant l’âge d’or de l’idéal bolchévique. (Olivier Thibodeau)

*Critique publiée une première fois dans notre couverture du Festival international du film de Rotterdam 2019

 


photo : GreenGround Productions/Inspiratrice & Commandant

WILCOX
Denis Côté  |  Québec  |  2019  |  66 minutes  |  Compétition nationale longs métrages

Les films de Denis Côté ne créent pas du sens, ils préparent des impacts. Ils n’émancipent ni les personnes ni les animaux, ils les montrent pour ce qu’ils sont, des créatures enchaînées au terrestre par la vue de ce cinéaste dont l’esthétique a le cœur noir mais dont l’intelligence nous révèle un cœur triste. En cela il s’agit d’un cinéma qui vise moins le parachèvement que le débroussaillage, moins la maîtrise (dans ce qu’elle a d’académique ou de consensuel) que la tentative (dans ce qu’elle a d’excitant et de casse-gueule), avec, en son centre, l’étrangeté, l’exclusion, l’enfermement, la mort, les quêtes et les effets sentis de la différence, comme moteurs d’une œuvre procédant par la négative, tel qu’ici, dans ce film qu’on cerne le plus souvent à travers ce qu’il n’est pas.

Ce Wilcox rigoureusement silencieux a en effet toutes les allures d’un film casse-gueule — il contient même des gueules cassées — pour qui s’y méprendrait à attendre de lui une forme documentaire, voire l’odyssée d’une fuite de la civilisation, parallèle à une esthétique survivaliste telle que le cinéma en a produit une tonne dans la dernière décennie. Ayant toujours eu à cœur les figures qui ne rentraient dans aucun moule, Côté nous propose ici de suivre Wilcox, un type (excellent Guillaume Tremblay) au visage rond, au regard inoffensif, à la dégaine relaxée, protagoniste volontairement beige, normé, qui enfile pourtant si bien son costume de militaire afin de s’enfoncer hors du monde, croisant sur son chemin d’autres ermites, caractérisés mais pas personnifiés. Quelle est cette communauté qui n’en est pas vraiment une ? Qu’est-ce qui a poussé Wilcox à fuir la civilisation ? Est-il un ancien militaire ou un inconsolable fan de Walking Dead attendant le moment venu ? Wilcox est avare de réponses, privilégiant les indices, puis l’introspection du spectateur qui, en échange de quelques efforts, pourrait bien finir par rejoindre l’introspection de Wilcox (comme c’est un film sans dialogue, il nous laisse toute la marge pour que nous nous les inventions à sa place).

C’est d’ailleurs là que l’intelligence du film de Côté nous permet de percer le premier mur de sens — du signifié et de l’audition — que son esthétique a érigé pour nous en enterrant le son synchrone du premier acte sous des couches parasitaires habilement orchestrées par Roger Tellier-Craig (qui signe ici sa première trame sonore pour un long métrage). Everett Ruess. Carl McCunn. Dag Aabye. L’un après l’autre, ces noms associés à des récits d’ermites nous sont communiqués par les titres qui ouvrent le film. Passé le premier, l’on pourrait croire qu’il ne s’agissait que d’une mise en bouche, l’annonce d’un thème général, mais une fois présenté au second et au troisième, les doutes s’évaporent : de l’énonciation nous voici basculés dans la répétition, la série, à laquelle vient naturellement s’abouter Wilcox, dernier arrivé d’une longue lignée d’ermites vivant plus ou moins bien de cette exclusion du monde. (Je n’ai d’ailleurs pu m’empêcher de penser à la très belle bande dessinée scénarisée par le camarade Alexandre Fontaine Rousseau et dessinée par Francis Desharnais, Les premiers aviateurs, qui me semble être une œuvre cousine à Wilcox par le fond et la forme).

Pour entourer le voyageur, une équipe mobile, minuscule, aux accomplissements si riches et aux styles si singuliers que Wilcox prend finalement les allures d’un film réalisé par le meilleur band du cinéma québécois. Outre Tellier-Craig à la musique, Matthew Rankin est au montage (The Twentieth Century), Jean-François Caissy à la prise de son (La marche à suivre, Premières armes) et François Messier-Rheault à la direction photographique (Soleils noirs, Répertoire des villes disparues), tous ensemble parvenant à recréer le rapport au monde de Wilcox en le saturant d’effets troubles, fantomatiques, indirects, évoquant à la fois cette étrangeté qu’on disait au cœur du cinéma de Côté, mais aussi ce sentiment de détresse qui sommeille chez ce personnage qui n’a pourtant jamais l’air agité… Du moins jusqu’à cette fin, signe d’un premier rebroussement de chemin, l’indice, peut-être, d’une nouvelle sédentarisation qui nous fige au seuil de la question qui taraudera sans doute Wilcox jusqu’à ce qu’il finisse lui aussi avalé par la Nature : peut-on échapper à la civilisation quand on la porte sur notre dos ? Autrement dit, est-il possible d’échapper aux velléités artificielles que l’on fuit si notre rapport à la Nature ne peut se refonder naturellement, sans substitution par un autre rapport de collectivité (comme celle des ermites) ou sans un nouveau rapport à la solitude qui ne se réfléchisse plus en relation à la collectivité ? Les vrais ermites ne sont-ils pas ceux qui n’ont plus à se dire ermites ? 

Il y a toujours d’autres ermites auxquels se comparer, comme il y a d’autres dépressifs, d’autres immigrés, d’autres ostracisés, d’autres gens pris dans un mouvement de fuite, comme il y a aussi d’autres espèces dans le film de Côté (le souriceau, le lièvre et la tortue du dernier rêve de Wilcox), et qu’on ne gagne finalement jamais grand-chose à mesurer notre propre fuite à celle des autres (comme cette course inaugurale menée à bord de courges géantes en spermatozoïdes remontant la rivière). En cela il n’était pas intéressant d’entendre ce que ces ermites avaient à se dire entre eux mais bien davantage ce que nous, nous avions à nous dire à travers eux, à nous-mêmes et à ces fardeaux, petits et grands, qu’on porte dans notre sac à dos. (Mathieu Li-Goyette)

 

PARTIE 1
(Belonging, Chèche Lavi, 
Mother, I Am Suffocating. This is my Last Film About You.,
Nomad: In the Footsteps of Bruce Chatwin,
Symphony of the Ursus Factory, Wilcox)

PARTIE 2
(143 rue du désert, El Laberinto,
Exodus, Sans frapper)

 Ne croyez surtout pas que je hurle

PARTIE 3
(Le chant d'Empédocle, Present. Perfect.,
Workhorse, Les yeux de mon amour)

PARTIE 4
(Adolescentes, Anatomie d'un rapport,
Le fond de l'air Pirotecnia, Searching Eva)

PARTIE 5
(à venir...)

Envoyer par courriel  envoyer par courriel  imprimer cette critique  imprimer 
Article publié le 16 novembre 2019.
 

Festivals


>> retour à l'index