WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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RIDM 2017 : partie 3

Par Panorama - cinéma




CITY OF THE SUN
Rati Oneli  |  Géorgie/États-Unis/Qatar/Pays-Bas  |  2017  |  100 minutes  |  L’esprit des lieux


Ébaubi par les images surréalistes d’une ville fantomale creusée par des années d’exploitation minière du manganèse – un des quatre métaux les plus utilisés dans la société actuelle après le fer, l’aluminium et le cuivre – qui, au fil des années, a vu ses travailleurs s’évaporer pour d’autres contrées, laissant vides et remplis d’écho maintes bâtisses en pierre blanche aux arcs et colonnes spectaculaires, Rati Oneli a su tirer profit de l’authenticité, du cachet incroyable des paysages géorgiens en leur conférant une aura surnaturelle, planante, voire mystique... Tout en représentant la face paradoxale et bien vivante de cette ville, absorbée dans la joie de vivre de ses résidents et de leur enthousiasme artistico-athlétique. Chiatura est localisée dans la région de l’Iméréthie en plein centre de la Géorgie, dans une vallée montagneuse à la topographie escarpée, recouverte de feuillus, et nivelée par un impressionnant réseau de téléphériques, moyen de transport en commun dont les infrastructures datent de plus d’un demi-siècle. Figé dans son passé, s’étiolant toujours un peu plus, s’écroulant à petit feu sous les coups du marteau brise-roche ou par l’alliance du temps et de l’abandon, cet endroit hors du commun, approprié par l’homme qui poursuit toujours son éviscération, semble être maintenu par un magnétisme d’une force contraire, ravivé par l’extraordinaire vie des âmes qui l’occupent et le tempérament ardent d’une nature enveloppante, irradiant même les décombres industriels. Si le théâtre aux murs décrépis s’anime en soirée, résonne sous les voix des personnages et vibre de ses lumières, si les chants traditionnels s’élèvent des cordes vocales des femmes réunies autour du poêle et de la symphonie de leurs instruments guidés par leur professeur, si les enfants de l’école s’adonnent à la technicité de la musique et l’élégance de la danse, si le Ministère des communications et des postes réceptionne les banquets festifs d’un groupe d’amis dans une salle beaucoup trop spacieuse, si les jumelles aux survêtements noirs, aux bandes oranges pour l’une et rouges pour l’autre, courent inlassablement avec une cadence métronomique parfaite tout en cumulant les médailles d’or, alors l’illusion devient réalité, la magie prend forme et la lumière au bout du tunnel jaillit de plus belle, en toute majesté. (Claire-Amélie Martinant)




DRAGONFLY EYES

Xu Bing | Chine | 2017 | 81 minutes  | Compétition internationale de longs métrages
 
Artiste multidisciplinaire réputé, Xu Bing se lance pour la première fois dans la réalisation d’un film, Dragonfly Eyes, œuvre conceptuelle dans laquelle il réutilise uniquement des enregistrements vidéos ayant été pris par des caméras de surveillance ou des live streams captés par des webcams. Ayant dû observer des milliers d’heures d’images de surveillance afin de créer son film, Xu Bing s’est fait aider par la poète de renom Zhai Yongming et le scénariste Zhang Hanyi (remarqué internationalement avec son premier long métrage Life after life en 2016), qui apportent une structure narrative et des dialogues sur ces images attrapées principalement sur le Cloud (le travail sonore contribue aussi à souder l’ensemble).

Le film Dragonfly Eyes nous fait suivre Qing Ting (signifiant « libellule » : les yeux de cette libellule du titre faisant écho aux caméras de surveillance), qui, après avoir mené une vie monastique dans un temple, retourne à la vie urbaine pour travailler dans une ferme laitière mécanisée oùelle rencontre Ke Fan, un employé, avec qui elle développera une relation, avant qu’ils ne se perdent de vue et poursuivre leur chemin respectif en parallèle. Qing Ting changera alors son visage grâce aux technologies chirurgicales actuelles et deviendra Xiao Xiao, une vedette musicale du Web avant de trouver la mort dans un évènement tragique. C’est à ce moment que Ke Fan, en deuil, questionne sa propre apparence, voire son identité, et se transforme à l’aide du même type de chirurgie en Qing Ting (en apparence), pour ensuite se rendre au temple initial et retrouver la vie monastique que cette dernière avait. La boucle est bouclée.

Cette histoire est donc construite à partir de divers moments vidéos sans véritable lien logique. Un pari intéressant que Xu Bing relève plutôt bien dans l'ensemble, mais de façon inégale. C’est par ailleurs d’un autre point de vue que le film se fait plus intéressant. En effet, il nous confronte à des questionnements actuels reliés à la surveillance vidéo (nous sommes filmés en moyenne 300 fois par jour, nous apprend le synopsis) : Notre quotidien est régulièrement filmé dans la plupart des lieux publics et dans ce monde sous surveillance, tout un chacun peut utiliser les images (occasionnelement accessibles) captées par les millions de caméras qui pullulent dans les centres urbains (dans ce cas-ci, en République populaire de Chine). Il reste qu’une question éthique se pose, puisque Xu Bing, malgré l’accès public de ces images, utilise plusieurs moments du quotidien de gens anonymes pour en détourner le sens (il a tout de même réussi à obtenir la permission de certains d’entre eux), allant par moment donner dans le sensationnalisme : plusieurs images de bagarres, de catastrophes naturelles ou même de suicides alimentent parfois maladroitement son récit. Cependant, au-delà de la narration, Dragonfly Eyes dresse le portrait d’une certaine violence urbaine. Le film devient alors un vecteur nous donnant accès aux images de ces multiples caméras qui observent et enregistrent quotidiennement nos vies, notre monde, et les gens qui le peuplent. Des gens anonymes, des visages pixélisés qui se confondent d’une personne à une autre. Sous l’angle de ces caméras, ces gens deviennent tous la même personne. C’est justement là un point important que l’artiste nous démontre par la forme de son œuvre autant qu’avec son récit. La narration du film commente occasionnellement cette notion de réalité, de vrai et de faux, de changement d’apparence, de flou identitaire oùles personnages se confondent. Le film nous propose donc un discours sur l’identité à l’ère postmoderne ainsi que sur les communications interposées à l’époque du numérique. On parcourt alors un environnement urbain sans visages tout en observant un portrait de la Chine, de la vie monastique à la vie ouvrière, jusqu’à la vie de star. Une œuvre provocatrice qui, au-delà des problèmes éthiques qu’on pourrait lui attribuer, propose de nouvelles formes de récits, même si elle se démarque surtout par son concept.  (David Fortin)




13. A LUDODRAMA ABOUT WALTER BENJAMIN
Carlos Ferrand  |  Québec  |  2017  |  78 minutes  |  Compétition nationale longs métrages

La pensée de Walter Benjamin convient mal aux formes classiques, institutionnelles. Elle est caractérisée par sa liberté de penser en dehors des normes, à puiser dans ce qui est étranger à un champ d’études et à ce qui pourrait le renverser. Alors il fallait, pour adapter à l’écran ces ludodrames benjaminiens, une forme qui pouvait rendre l’hétérogénéité du mouvement de sa pensée. L’auteur de L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique et des Thèses sur le concept d’histoire était traducteur allemand de Baudelaire et de Proust. Ami d’Adorno, de Brecht, d’Arendt, le voici présenté en fragments, en treize éclats qui sont treize moments d’initiation à son travail. Si le documentaire de Carlos Ferrand souffre peut-être de la complexité de son sujet, il faut dire que tout spectateur disponible se retrouvera plus près de Benjamin qu’il ne l’était au préalable et que celui qui n’était pas du tout familier avec son œuvre découvrira ce qui l’a motivée et axée dans ses nombreux voyages en Europe. On verra, à travers l'écriture récitée du théoricien, la place toute particulière qu’il a dans l’Histoire de la philosophie, son importance dans le sauvetage d’une certaine lecture théologique et sociale du monde qu’il a su produire sans liquider les idoles des uns et des autres.

En effet, la pensée de Benjamin, parce qu’elle a su se positionner aux limites seuil des choses, « entre l’utopie et l’apocalypse », en voyant ce seuil comme un « instant chargé de l’avant et de l’après », n’a jamais cessé d’être éminemment moderne en ce qu’elle s’est développée à l’orée de nombreux bouleversements qui ont caractérisé la pensée européenne saisie entre la montée du marxisme et le début de la Seconde Guerre mondiale (Benjamin meurt en 1940, pourchassé par les nazis). L’avènement du cinéma a chez lui une place importante. Le concept d’« aura » de l’œuvre d’art, prise face à sa reproductibilité technique, définit encore notre rapport à l’original et à la copie ainsi que ce lien important à établir entre les arts de masse et les réalités capitalistes de nos sociétés. Penseur critique, passionné, gêné, souffrant du cœur et du souffle, Benjamin sert donc de personnage conceptuel au film de Ferrand. On croirait déambuler avec un ami, au sens grec, qu’on suivrait dans les rues du Paris d’aujourd’hui et qui nous raconterait ses réflexions et ce qu’elles ont d’encore frappant d’actualité. Le recours aux divers procédés d’animation, aux surimpressions, aux transitions animées, au cinéma de marionnettes, au film d’archive, toutes des techniques qui s’emboîtent ici sous le concept d’une biographie ludique, convient ainsi parfaitement à l'œuvre  protéiforme de Benjamin. En ce sens, plus qu’un film d’initiation à l’un des théoriciens les plus importants du XXe siècle, il s’agit d’un essai filmique puissant, finement structuré. Une manière de montrer que le cinéma est lui aussi capable de rendre à l’écran ce qui était auparavant confiné dans les pages de la théorie. (Mathieu Li-Goyette)


Dessin de Julie Delporte à propos de
MAISON DU BONHEUR
Un film de Sofia Bohdanowicz (Canada, 2017) de 62 minutes
Présenté dans la section Compétition nationale longs métrages
(Julie Delporte)




DID YOU WONDER WHO FIRED THE GUN? 
Travis Wilkerson | 2017 | 90 minutes | Compétition internationale longs métrages

Reprenant son titre au vers de la chanson « William Moore » de Phil Ochs (qui ponctuera sporadiquement la bande-son), ce documentaire en forme d’enquête est une descente aux enfers qui glace le sang. Entreprenant d’éclaircir le meurtre commis par son ancêtre – son grand-père, Samuel E. Branch, qui a tué, en 1946, Bill Spann, un Afro-Américain, sans subir aucune forme de procès –, Wilkerson tire un fil qui détissera peu à peu le voile blafard recouvrant les sombres meurtres d’une Amérique raciste. Voulant régler ses comptes avec son passé, le cinéaste fait le procès de son pays. Car la route qui le mènera de son patelin au magasin où eut lieu le meurtre sera marquée de crimes, tous aussi sordides les uns que les autres. Il nous l’avait annoncé, dès le début du générique, de sa voix ferme et monocorde, donnant pourtant l’impression, à chaque syllabe, de retenir une vibrante colère : « This is a White Nightmare story ». Éclate alors, à peine reconnaissable tant les distorsions étranglent la ligne mélodique, un hymne national américain qui éclaboussera le pare-brise de la voiture glissant sur une angoissante route au-dessus de laquelle les nuages teintés d’un rouge criard n’annoncent rien de moins qu’un orage sanglant. Nous offrant ensuite, en guise de prolégomènes, des extraits de To Kill a Mockingbird (Robert Mulligan, 1962) – toujours teintée de rouge –, qu’il remonte nerveusement sur fond de subtile musique blues, le cinéaste énumère les accablantes comparaisons entre ce film et son récit : tous deux se passent en Alabama, tous deux ont comme toile de fond le racisme, tous deux sont irrigués de violence. Il n’y a qu’une différence : cette histoire-là est fictive, cette histoire-ci est réelle. Il retrouve de vieux films de famille, des articles de journaux, des documents officiels. Il use habilement du contrepoint pour nous faire vivre son propre malaise : il lit en entier le certificat de décès de Bill Spann sur les images Super 8 où l’on voit son grand-père se pavaner. Retournant sur les lieux du meurtre, il constate que le magasin général – que les habitants qualifient de « shot house » (deux autres meurtres s’y seraient par la suite commis) –, transformé en restaurant, a l’air abandonné et que la place paraît hantée. Il croise des gens qui se souviennent des gens qui se souvenaient. Une fois de plus, le cinéaste use du contrepoint : il filme froidement les bicoques du patelin, de face, pendant que les attristants témoignages défilent. On croirait voir une ville fantôme au-dessus de laquelle plane le spectre des victimes. Il visite l’hôpital où fut envoyé Spann. Cet établissement aussi – aujourd’hui fermé – semble hanté. D’un lieu à l’autre, toujours la même route qu’avale le bas de l’écran, toujours le même hymne national atrocement défiguré, toujours les mêmes nuages gorgés de sang. Les cadavres jonchent sa route. Il voulait parler de son grand-père raciste, il parlera de l’Amérique ségrégationniste. D’une Amérique qui aura donné naissance à Rosa Parks, activiste noire de la première heure, et dont la maison natale n’existe plus. Car ce pays semble vouloir blanchir toutes traces de son noir passé. Retrouvant enfin le cimetière où la victime de son grand-père fut enterrée, le cinéaste ne peut se recueillir devant sa tombe, puisque son nom n’apparaît nulle part. Il conclut : son grand-père blanc, raciste, meurtrier, lui, a une tombe, avec son nom gravé dans la pierre, et des films de famille, et des archives, et une histoire. Pas le Noir. Ce documentaire tente, à tout le moins, d’en raviver la mémoire.  (Jean-Marc Limoges)




BRAGUINO

Clément Cogitore | France, Finlande | 2017 | 49 minutes | Compétition courts et moyens métrages
 
S’il y a des mondes qui nous subjuguent par leur esthétique, leur architecture, leur fonctionnement ou encore leur dureté, il y en a de ceux qui nous laissent perplexes par leur caractère marginal et leur animalité, comme celui de Sacha Braguine, qui vit en ermite avec femme et enfants, en plein cœur de la taïga sibérienne, au climat subarctique plutôt inhospitalier. Ce père de famille, descendant des Vieux-Croyants (une communauté russe orthodoxe s’étant réfugié dans la forêt pour échapper aux persécutions du schisme de l’Église catholique) vit en toute liberté dans la nature, chassant pour la survie tout en maximisant chaque prise. D’ailleurs, il manie si bien le fusil que seulement deux balles lui suffisent pour tuer un vieil ours à la taille imposante, devant le regard anxieux et paniqué du caméraman. Nous ne pouvons qu'être ébahis devant devant l’habileté chirurgicale avec laquelle Braguine découpe l’ours pour en sortir la vésicule biliaire, entre autres organes, tranche les pattes qui serviront de chaussons à l’une de ses filles, et enfin sépare les différents morceaux de viande qui nourriront la famille pour les mois à venir, laissant trôner la tête de l’animal sur un tronc d’arbre au final.

De plus, la dextérité avec laquelle Braguine dirige sa longue barque à moteur, troublant la tranquillité ambiante des abords du fleuve lenisseï et laissant derrière lui la trace furtive de son passage par un couloir de petites vagues, impressionne par sa beauté chevaleresque, comme si les forces de la terre se joignaient à lui en favorisant ses prises de nourriture dans un décor brumeux aux teintes automnales pour le moins saisissantes. Au cours de cette scène, il abat des canards d’un seul coup de carabine, deux tout au plus, et les regarde tomber des airs pour atterrir sur l’eau, où il les repêche d’un geste automatique ; ces mêmes canards seront déplumés par le regroupement d’enfants. Devant cette vie aux apparences idylliques (dans la communion et le respect de la nature), une menace plane, menace qui, on le devine dès les premières paroles échangées dans le film, s’avère envahissante et pernicieuse. Est-ce de la médisance ? De la jalousie ? De vieilles rancunes nourries par le ouï-dire ? La famille des Kiline, uniques voisins à 700 kilomètres à la ronde, constitue un puissant rival, une malédiction, empiétant sur leur équilibre, bouffant leur énergie, s’immisçant dans toutes les conversations et s’insérant même dans le subconscient du père, qui à deux reprises rêve qu’il quitte sa demeure. Si les enfants des deux familles se ressemblent en tous points, se toisent sans jamais s’adresser la parole et passent des après-midis entiers à jouer côte à côte sur le territoire neutre de la plage, cette même plage sert également de piste d’atterrissage pour les hélicoptères chargés de braconniers aux tons bien agressifs, venus dépouiller la forêt pour repartir sans une once de sensibilité et de conscience pour l’exploitation qu’ils s’adonnent à maintenir. Or ce sont bien les Kiline qui engendrent ce déséquilibre en échange d’un revenu facile (?) et à double tranchant, au point que la tension, insoutenable et sans échappatoire apparente, nous laisse imaginer le pire règlement de comptes, puisque tant d’armes se trouvent à portée de main. Cela dit, Clément Cogitore s’arrête juste avant, au bord du précipice, en choisissant de nous montrer que ce qu’il veut bien et en provoquant un sentiment de frustration, qui nous donnerait envie de nous rendre directement sur les lieux pour faire éclater la vérité et tenter de sauver la tranquillité du voisinage.  (Claire-Amélie Martinant)




IN THE INTENSE NOW 
João Moreira Salles | Allemagne, France, Argentine | 2017 | 127 minutes | États du monde
 
Puisant, à la fois, dans de vieux films de famille, des films amateurs inconnus et des films d’auteurs méconnus ou reconnus (Grands soirs et petits matins, Le droit à la paroleLes deux marseillaises, Oser lutter, oser vaincre, Le jolis mois de mai, Sochaux 11 juinMourir à 30 ans) pour aborder, sous un angle neuf, Mai 68, le Printemps de Prague, la Révolution culturelle chinoise et même, mais de façon plus subreptice, les révoltes de Rio de Janeiro, João Moreira Salles – qui marmottera aussi, tout du long, la narration – divise son collage (et son spectateur) : 1° Le retour à l’usine et 2° La sortie de l’usine. Car le but de son film, à l’instar de son découpage, demeure abscons. Que veut-il faire, au juste? Se propose-t-il de faire – avec de judicieux arrêts sur image, force ralentis et pertinents retours en arrière – une fine analyse sémiologique de ses kilomètres de pellicules (la bonniche qui se retire du cadre d’un film de famille en dit long sur son asservissement à la bourgeoisie, les rideaux qui séparent les chars d’assaut russes roulant dans Prague et l’homme non-identifié qui les filme en dit long sur la menace qui guettait quiconque voulait documenter cette occupation, le geste des manifestants qui lancent des pavés dans les rues de Paris en dit long sur la répression policière qui sévissait, les Noirs ou les femmes qui sont toujours au second plan des manifestations en disent long sur l’idée de révolution en France, l’étudiant qui dort à côté de Jean-Paul Sartre pendant que celui-ci s’adresse à une foule disproportionnée exemplifie l’idée selon laquelle « Il était si bon d’être vivant que personne ne voulait dormir », etc.)? Se propose-t-il de nous montrer comment des personnalités en viennent à incarner les aspirations et les déceptions de toute une communauté (les dirigeants Mao, de Gaulle, Cohn-Bendit, les martyrs Gilles Tautin, Pierre Beylot, René Lacroix, Jan Palach, Edson Luiz, etc.)? Nous propose-t-il, par d’habiles téléscopages que permet le montage, une salutaire relecture de l’histoire (le discours du Général au début de 1968 comparé à celui qu’il prononce au début de 1969)? Se propose-t-il d’étudier le choc qui advient quand une bourgeoisie en place – en partie incarnée par sa propre famille – est soudainement ébranlée par une jeunesse fougueuse et des ouvriers exaspérés dont elle ne comprend pas les revendications (la mère du réalisateur filmant, lors de son voyage en Chine, des slogans révolutionnaires qu’elle ne peut déchiffrer)? Se propose-t-il de nous expliquer pourquoi toutes les révolutions sont arrivées en même temps dans divers endroits du monde (en Chine, en France, en Tchécoslovaquie, au Brésil) et comment celles-ci se sont toutes finies à peu près dans la même débâcle (« Tout – même l’expérience radicale – est susceptible d’être acheté ou vendu »)? Il y avait, ici et là, tout au long des deux heures que dure ce film, quelques jouissives éclaircies. Mais l’ensemble se noie un peu dans la quantité impressionnante d’archives à laquelle le cinéaste tente de donner sens. La Sortie d’usine des frères Lumière, offert tout juste avant le générique, finira de nous confondre.  (Jean-Marc Limoges)


RIDM 2017 : partie 1
RIDM 2017 : partie 2

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Article publié le 19 novembre 2017.
 

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