WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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Festival Fantasia 2017 : Jours 11-12

Par La rédaction



HAVE A NICE DAY
Liu Jian  |  Chine  |  2017  |  77 minutes
 
Au beau milieu du pop art et de la bande dessinée, trône Have a Nice Day qui nous rentre dedans au point de créer une brèche dans le monde de l’animation déjà si créatif. Si les couleurs opaques et un brin pastel stupéfient et captivent l’œil, le maniement des sons appartenant à l’environnement « électrique » et nocturne d’une ville du sud de la Chine, les craquements en tous genres, les bruits calfeutrés de l’intérieur des voitures et sonneries de cellulaires qui serviront notamment à identifier les personnages — pour n’en citer que quelques-uns — sont hallucinants par leur maîtrise et leur présence.

Liu Jian, qui fut peintre dans une autre vie, nous livre un portrait minutieux et approfondi de l’ambiance cotonneuse et citadine propre à la nuit, mise en exergue par ses nervures, ses détails, ses défauts, sa décrépitude. Petits commerces, pauvreté, saleté, chantiers de construction, maisons faites de bric-à-brac, usines — il n’y a pas de doute, on se trouve bien dans les bas-fonds d’une ville à l’allure morose, où le désespoir régit la vie et pousse sa population marginalisée à rejeter le système pour choisir l’étiquette « hors-la-loi » d’une vie plus confortable.

Avec une insistance quasi maladive pour tout ce qui clignote ou qui produit une lumière lancinante — lampadaires, néons, enseignes, feux de signalisations, feux arrière des voitures, etc. —, nous sommes confrontés à la force persuasive de l’appât du gain, collant à la peau comme un temps d’été chaud, humide et gris. Dans un monde consumériste (chirurgie esthétique ratée qu’il faut reprendre à tout prix), les extrêmes, déviations et dispersions, sont le lot du milieu malfrat qui s’en nourrit, au point que tous se suivent ; comme dans un temps de peste, tous s’entraînent mutuellement vers encore plus de problèmes, de violences et d’atrocités, dans un vortex de négativité et de mauvais augure. Au même titre que la luciole qui émet de la lumière pour attirer le mâle à elle — car elle ne peut voler — tous les joueurs seront entraînés aveuglément et malgré eux dans une cascade d’événements inévitables, des scènes d’action aux angles originaux et percutants.

Jouant sur un scénario grinçant qui manque peut-être un peu de punch — les lèvres bougent à peine, les visages restent figés soulignant l’apathie des personnages ringards et acariâtres —, le réalisateur signe là plus qu’une animation : un western rocambolesque et moderne, aux allures tarantinoesques nous rappelant qu’il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. (Claire-Amélie Martinant)




A DAY

Cho Sun-ho  |  Corée du Sud  |  2017  |  90 minutes

Ce qu’il y a de fascinant, avec les Coréens, c’est qu’ils vous repiquent de vieilles idées, reprennent de vieux patterns, et qu’ils en partent, qu’ils les quittent, pour aller loin, très loin. À la différence des tâcherons qui y aboutissent en se tapant sur l’épaule, les Coréens, eux, réussissent souvent à faire de ces jouissives trouvailles leur point de départ, non leur point d’arrivée. Ici, la structure est connue : un homme (chirurgien mondialement acclamé) fait continuellement le même rêve, en boucle, indéfiniment. On aurait pu s’arrêter là, satisfait. Mais voilà que Chu Sun-ho décide de se mettre lui-même dans le pétrin, de se peinturer lui-même dans le coin. What if... ? Et si ce rêve revêtait des consonances tragiques ? Si le toubib assistait, impuissant — et sempiternellement —, à la mort de sa petite fille ? What if... ? Et s’il réussissait, chaque fois, à obtenir une parcelle d’information qui lui permettait, au rêve suivant, de s’approcher un peu — jusqu’à le précéder — du fatal moment ? Et s’il rencontrait un autre homme (un ambulancier impulsif) sur les lieux de l’accident qui, victime du même sort, tentait quant à lui de sauver sa femme, décédée sur la banquette arrière du taxi qui renverse sans arrêt la fillette. Conjuguant leurs efforts comme ils le peuvent, avant leurs incessants réveils, à midi et demi, ils échafaudent des plans, frénétiquement. What if… ? Et si… Et si… Et si Sisyphe, roulant sa pierre pendant trente minutes, s’époumonait à en changer chaque fois légèrement le tracé ? Finirait-il par ne plus être condamné ? Comment baiser la fatalité ? Il faut aller plus vite, toujours plus vite, et passer les obstacles : question, bonbon, photo, montre, monnaie, feu de circulation… autant de petites choses rondes et lisses, de peccadilles, de billevesées qui, pourtant, peuvent décider du sort de nos proches. What if… ? Et si le chauffeur de taxi était le troisième protagoniste d’importance ? Et si lui aussi était toujours prisonnier de la même boucle ? Et si on tentait de le tuer ? Les enjeux éthiques remontent à la surface, prennent de plus en plus d’importance et nous font oublier la prémisse. What if… ? Le médecin peut-il laisser s’étouffer le gamin de l’aéroport pour — peut-être — sauver sa fille ? L’ambulancier peut-il assassiner le chauffeur de taxi avant que celui-ci happe la fillette et ne se vautre dans le mur ? What if… ? Et si le doc devait, pour s’en sortir, demander pardon au chauffeur que l’ambulancier désire zigouiller, chacun pour sauver celle qu’il aime ? Et puis, si cette course contre la montre, si toutes ces manigances étaient vaines, inutiles, superfétatoires ? Si le cours qu’il fallait changer n’était pas hors de nous, mais en nous ? Si ces trois hommes avaient en commun d’être tous trois des pères aux prises avec un secret qui les liaient ? What if… ? What if… ? À la fin, essoufflés, on doit admettre que ce rêve n’était pas qu’un truc de tâcheron, mais l’essence même du propos. Chacun vivait un cauchemar. (Jean-Marc Limoges)



COLD HELL
Stefan Ruzowitzky  |  Allemagne, Autriche  |  2016  |  92 minutes

Vienne, la nuit. Le cinéaste pose, d’entrée de jeu, ses cartes sur la table. Les couleurs primaires et secondaires du cercle chromatique teintent l’écran, les lumières de la ville irradient et bavent sur la lentille, la profondeur de champ est réduite au maximum. En somme, il annonce qu’il ne fera ni dans la nuance, ni dans la profondeur. Il restera rivé à la femme qu’il filme et s’attardera au sort qu’elle subit, au quotidien. À l’instar de Travis Bickle (les plans de nuit et la trame sonore nous invitent à ce rapprochement), Özge Dogruol, Turque de naissance et éternelle marginale, sillonne les rues de la ville à bord de son taxi. Et elle en a plein le cul. Tout, autour d’elle, s’acharne à l’intimider, à l’humilier, à l’avilir : les malfrats, les patrons, les coachs, les flics, son père. Tous les hommes, quoi ! Cette femme n’est bien ni dans la société, ni dans son travail, ni dans ses loisirs, ni dans sa famille. Témoin unique du meurtre sordide commis sur une jeune femme dans l’appartement d’en face, c’est pourtant elle qu’on harcèle. Le récit se met en branle : histoire d’une femme violentée psychiquement qui voudra rendre justice à une femme violentée physiquement. Bien qu’elle soit maintenant la prochaine victime potentielle de cet assassin (car il sait qu’elle l’a vu), la justice lui refuse toute protection. Amatrice de boxe thaïlandaise, elle devra compter sur ses seuls poings pour se défendre. Elle fuira son appartement, vagabondera, quémandera une chambre, condescendra à retourner chez son ex – car cette « tough » est aussi fragile. Toujours menacée, elle n’en conduira pas moins son taxi : on ne plie pas devant l’intimidation. Un soir, elle embarquera, sans le savoir, le tueur qui la suivait. L’œuvre se transforme alors, le temps d’une agression, en fulgurant film d’action. Époustouflante scène pendant laquelle le visage de l’assaillant demeure dans l’ombre, et au terme de laquelle la victime, passablement amochée, plongera dans le Danube. Pivot. Le montage stroboscopique y attire d’ailleurs toute notre attention. Au terme de sa brève rémission, Özge sera contrainte de se faire justice elle-même, et au nom de toutes les siennes. Car le tueur, apprend-on, est un fondamentaliste islamiste qui, interprétant le Coran à la lettre, entreprend de punir toutes les « putes » de ce monde, au sens figuré quand elles ne le sont pas au sens propre (comme quoi, la lecture littérale est toujours sujet à interprétation). « Un musulman ? » — « Non, un maniaque ». Cachée chez le flic mélomane et amateur d’art, lequel aura fini par s’émouvoir de sa situation, elle sera retrouvée par l’illuminé qui la ligotera, l’invectivera, la torturera et la brûlera, la sommant de « demander pardon » et lui lançant des « La place de la femme est sous l’homme », « Dieu est de mon côté », « Tu brûleras en enfer », sans oublier l’incontournable « Tu penses que j’aime ce que je fais ? ». Le vent tournera, bien sûr, lors d’une bagarre qui détruira l’ensemble des étagères du flic — livres, disques, œuvres d’art (faut-il y voir là une métaphore ?) — et au bout de laquelle elle réussira à assommer son agresseur et à l’enfermer dans le coffre de la voiture, là où le flic enferme aussi son chien (autre métaphore ?). Reculant à toute blingue dans un mur, elle fera en sorte que c’est le vilain qui périra dans les flammes, bien réelles. Bien pris qui croyait prendre. Le propos n’était ni nuancé, ni profond ; il était important de le rappeler. (Jean-Marc Limoges)




RON GOOSENS, LOW-BUDGET STUNTMAN
Steffen Haars et Flip Van Der Kuil  |  Pays-Bas  |  2017  |  79 minutes
 
La réaction enthousiaste — euphorique — des spectateurs ayant assisté à l’épopée populaire de Ron Goossens, pauvre cascadeur de fortune et alcoolo invertébré, nous invite à étudier plus avant les paramètres de la comédie qu’a repoussés le duo néerlandais. Car d’épopée, d’abord, il s’agit. Un peu à la façon dont Courbet avait peint ses paysans, dans un tableau dont l’ampleur n’était, jusque-là, qu’accordée aux princes et aux rois, le tandem offre, à leur pathétique minable, un format CinémaScope, une chaude et grave voix narrative extradiégétique ainsi qu’une trame sonore digne d’Ennio Morricone, traitement rarement utilisé pour la comédie mal dégrossie. Il y a donc ici une volonté d’accorder au propos, au sujet, une notable importance. Au reste, la quête de ce perdant, comme dans tout récit de chevalerie, est de nature exogène, non endogène — ce qui lui donne le branle n’est pas un désir profond, mais un ordre reçu, en l’occurrence par sa femme qui, le cocufiant à tire-larigot avec l’ensemble de ses chums de brosse, le somme de séduire Bo Maertenla (la Brigitte Bardot du moment) afin de la reconquérir. La demande, évidemment, tient de l’« injonction paradoxale », théorisée par les philosophes de l’École de Palo Alto, laquelle avait pour conséquence de faire sombrer dans la folie ceux qui tentaient d’y obéir : « Je t’aimerai, si tu en aimes une autre », « Tu me reconquerras, si tu la conquiers », « Tu resteras avec moi, si tu pars », etc. Mais Ron veut tellement regagner bobonne qu’il réussira à se faire engager comme cascadeur sur les plateaux où flashe la pétasse, et même, pour lui complaire, à surmonter son grave problème d’alcoolisme, multipliant les cascades aberrantes dans lesquelles il risque, chaque fois, la vie. On le voit donc souffrir, rêver, peiner, bûcher, et ce, sans quitter son objectif ni sombrer dans la folie, ce qui donne à notre héros, là encore, une dimension épique. Le propre de la comédie est pourtant de peindre des personnages « en deçà » de notre condition afin de se moquer de leur vice. Mais ici, on semble plutôt — selon la formule consacrée — non pas rire « de » lui, mais « avec » lui. Comme si, au-delà de la pitié qu’il pouvait susciter (il est bel et bien passé d’un terne bonheur à un malheur bien plus sombre, par une faute qui ne fut pas entièrement la sienne), notre déplorable beauf suscitait une identification, voire une projection. Le fait est étonnant. Le spectateur, applaudissant à ses lamentables pitreries, donnait l’impression de vivre par procurations ses ratés. Peut-être avions-nous là, en Ron Goossens, le Ron Jeremy de la cascade ; si lui est capable de vaincre autant d’obstacles et de se farcir une top model, pourquoi pas nous. Et nous pouvons nous lever, gonflés d’assurance, de notre siège humidifié. (Jean-Marc Limoges)


PRÉSENTATION
JOUR 1
(The Vilainess, JoJo's Bizarre Adventure: Diamond is Unbreakable – Chapter 1,
Super Dark Times)

JOURS 2-3
(A Ghost Story, The Honor Farm, Museum)

JOURS 4-5
(Animals, Brigsby Bear, Confidential Assignment, Liberation Day, My Friend Dahmer)

JOURS 6-7
(Bitch, The Little Hours, Origami, Radius, Poor Agnes,
Valerian and the City of a Thousand Planets)

JOURS 8-10
(78 / 52, The H-Man, House of the Disappeared,
The Night of the Virgin, The Senior Class)

JOURS 11-12
(A Day, Cold Hell, Have a Nice Day,
Ron Goosens, Low-Budget Stuntman)
JOURS 13-15
(Good Time, King Cohen, The Laplace's Demon, 
Most Beautiful Island)
JOURS 16-19
(68 Kill,  L'ange et la femme, Fabricated City, Mayhem,
The Tokyo Night Sky is Always the Densest Shade of Blue, Tiger Girl)

ENTREVUE AVEC LARRY COHEN
JOURS 20-21
(Bushwick, Fritz Lang, Geek Girls, Tragedy Girls)

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Article publié le 27 juillet 2017.
 

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