WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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Festival Fantasia 2019 : Jours 5-6

Par Alexandre Fontaine Rousseau, David Fortin, Mathieu Li-Goyette, Jean-Marc Limoges et Olivier Thibodeau


photo : B&C Group

THE GANGSTER, THE COP AND THE DEVIL
Lee Won-tae  |  Corée du Sud  |  2019  |  110 minutes  |  Action !

Intitulé littéralement « Histoire de méchants », titre plus apte à décrire la nature quasi identique de ses trois virils protagonistes, cette œuvre débilement machiste, mais ô combien divertissante, amalgame avec flair les trois formes les plus prégnantes du cinéma de genre sud-coréen : le film policier, le film de gangsters et le film de tueurs en série. Sans profondeur dramatique malheureusement, mais avec tout le savoir-faire caractéristique des cinéastes de la péninsule : on n’a beau ne jamais pouvoir distinguer les motivations des trois jambons qui partagent la vedette, il ne s’agit pas moins ici d’une leçon de mise en scène et de montage d’action, un film si fluide dans son exécution qu’il se boit malgré son scénario bourru comme un très grand cru.

C’est la technique qui prime, mais ce n’est pas un problème, puisque le cinéma d’action est essentiellement technique. Le style l’emporte lui aussi sur la substance, et c’est là que réside l’importance de Don Lee, dont la présence à l’écran fait exploser le capital de coolness de la production, tandis que son style de jeu musclé en exacerbe le potentiel de violence. Or, comme ce sont la technique et le style qui sont mis de l’avant par le réalisateur et scénariste Lee Won-tae, l’humanité est reléguée à l’arrière-plan, chacun des personnages se révélant vite comme un simple engrenage dans un système d’honneur basé sur la violence punitive — la recherche obsessive du tueur par les deux autres personnages ne servant finalement qu’à faire de sa mort un exemple dissuasif dans la plus pure tradition conservatrice.

Tous les personnages et toutes leurs motivations sont donc exclusivement mécaniques. Le gangster, le flic et le diable, équivalents symboliques dans le panthéon de genre sud-coréen, sont ainsi caractérisées comme des brutes insensibles et ultra-pragmatiques, exemptes de vie personnelle et de background intime, affairées uniquement au labeur dans le monde primitif de prédation qui est leur. Ce sont les vecteurs physiques d’une violence qui, couplée avec celle de la caméra et du montage, transforme l’expérience de visionnage en pur rush d’adrénaline. Les scènes de posture macho, le développement parallèle des trois intrigues, les chorégraphies martiales, les scènes de poursuite automobiles et le jeu musclé des interprètes contribuent ainsi à nous garder en haleine constamment, presque du premier au dernier plan, avec quelques rares accalmies. Le résultat est une œuvre parfaitement chorégraphiée, un ballet vigoureux de corps viandeux dont les bruits de chair meurtrie et transpercée servent d’accompagnement musical à leurs athlétiques taloches. C’est le machisme fait art. Purement et simplement. (Olivier Thibodeau)

 


photo : MRGenre Productions

L’INQUIÉTANTE ABSENCE
Amir Belkaim et Félix Brassard  |  Québec  |  2019  |  102 minutes  |  Les Fantastiques week-end du cinéma québécois

Le sujet était tout désigné pour l’événement : des fans de Fantasia interviewent, pendant Fantasia, d’autres fans de Fantasia qui se regarderont à Fantasia (pour l’anecdote, j’ai moi-même fait le saut — ou le sot — en me voyant subrepticement à l’écran, ultime confirmation que nous étions vraiment « entre nous »). On pourrait même, contrairement à ce que laisse présager le titre, parler d’une inquiétante présence, d’une « surprésence », d’une présence à la puissance 10. Comme si le documentaire nous offrait la preuve par X du problème qu’il tentait de dénouer : l’incestueux milieu dans lequel se produit et se consomme le cinéma de genre au Québec. Mais au-delà de cette autocontemplation, de ses mises en scène rudimentaires, de son montage claudiquant et de sa prise de son approximative, il reste que le documentaire d’Amir Belkaim et de Félix Brassard, notamment grâce à la variété et à la générosité de ses nombreux intervenants — fans, spectateurs, organisateurs, producteurs, réalisateurs, acteurs, scénaristes, concepteurs, universitaires (impressionnante brochette à laquelle il ne manquait que quelques voix dissonantes : puristes, critiques, fonctionnaires, subventionnaires) —, réussit tout de même à nous offrir une réponse à la question qui donne le branle à leur enquête.

Pourquoi le film de genre — qu’il soit film d’horreur, film fantastique, film de science-fiction, voire film noir ou film de cul — est-il boudé, chez nous ? La question nous turlupine depuis un bail (je me souviens encore, pour ma part, des journalistes qui éreintaient Simoneau, il y a 30 ans déjà, alors que celui-ci commettait Dans le ventre du dragon). Et la réponse, dont chaque intervenant tricote une maille, finit par prendre forme. Pourquoi donc le film de genre est-il tant boudé ? Pourquoi ? Alors que, ironiquement, nous avons une riche tradition de conteurs ? Pourquoi ? Alors que notre fonds culturel est tapissé de contes et de légendes, qui furent notamment immortalisés par Louis Fréchette et Honoré Beaugrand, lesquels conviaient des êtres surnaturels de tout acabit (diable, sorcière, loup-garou) ? Pourquoi ? Alors que notre tout premier roman — L’influence d’un livre (Philippe Aubert de Gaspé fils, 1837) — s’ouvre sur des incantations sataniques, se poursuit avec l’éviscération d’une poule noire, décrit un des meurtres les plus horrifiants de notre littérature (et de notre histoire, puisqu’il est inspiré des crimes d’un des plus importants serial killer du Canada français) et évoque même le démembrement illicite d’un pendu ? Pourquoi ? Alors que nos premiers récits – La tour de Trafalgar (George Boucher de Boucherville, 1835), Les révélations du crime ou Cambray et ses complices (François-Réal Angers, 1837), Les fiancés de 1812 (Joseph Doutre, 1844), La fille du brigand (Eugène L’Écuyer, 1844) – racontent tous, avant que Monseigneur Bourget ne s’écrie, en 1844, que notre littérature est un « égoût qui déverse la pestilence dans la conscience populaire » et qu’elle devait dorénavant se vouer au service de l’ordre établi et de ses valeurs (la religion, la langue, le travail, la famille), des histoires sordides et crapuleuses ? Pourquoi ? Alors qu’à la toute fin XIXe siècle, Jules-Paul Tardivel nous offrait Pour la patrie (1895), un des plus intrigants romans d’anticipation jamais écrits ici ? Parce que le « genre » semble rattaché à notre tradition orale, puis écrite, à notre littérature en somme, et encore, à la littérature d’un autre siècle.

Notre cinéma, quant à lui, a pris forme, s’est forgé une identité et s’y est confinée dans les années 1950 et 1960, avec les documentaires de l’ONF. Il avait pour mandat, non d’explorer l’imaginaire et de repousser les frontières du réel, mais, au contraire, de le cartographier afin de nous révéler (et de révéler au monde) « qui nous sommes ». Au reste, la Révolution tranquille, ayant sapé l’héritage religieux sous le joug duquel nous asphyxiions, aurait du même coup oblitéré tout lien que nous entretenions avec l’occulte. Le cinéma, au Québec, se fait donc foncièrement social et politique. Ironiquement (encore une fois), c’est tout de même vers le Québec, moins puritain que le Canada anglais, que David Cronenberg se tourne, dès les années 1970, pour y réaliser ses premiers films de genre : Shivers (1975), Rabid (1977), The Brood (1979). Le film de genre se fait peut-être au Québec, mais en anglais, pas en français, et encore moins en joual. Et tout cinéaste d’ici qui s’y frottera sera un renégat, un transfuge, un traitre à la nation, envoyé aux oubliettes. Qui peut se targuer d’avoir vu Bingo (1974) ou Panique (1977) de Jean-Claude Lord, Les yeux rouges (1982) ou Pouvoir intime (1986) d’Yves Simoneau, ou encore Rafales (1990) d’André Melançon sinon que par hasard, un soir, à l’époque, en zappant, ou encore, plus récemment, à Fantasia, dans la salutaire section « Genre du Pays » ? Au reste, qui dit « film de genre » dit « effets spéciaux » et qui dit « effets spéciaux » dit « somme considérable ». Et, la chose est entendue, « on n’a pas d’argent pour ça » (dixit la SODEC et TÉLÉFILM), parce que ça ne rapportera pas (comprendre : « on a décidé que le monde n’aimera pas ça »). La preuve, a contrario, que nos décideurs décident bien pour nous : avant l’apparition de ces organismes subventionnaires, Radio-Canada produisait son lot d’émissions « de genre ». Et puis, qu’est-ce que le monde penserait de nous ? Ça ne véhicule pas de belles valeurs ! C’est à croire que Monseigneur a fait des p’tits. Une dernière question, tout à fait pertinente, mais qui ne trouve malheureusement pas sa réponse : pourquoi le film de genre ne pourrait-il pas être québécois et exportable, alors que l’Allemagne nous a donné l’expressionnisme, l’Angleterre la Hammer, la Chine les Wu Xia Pian, le Japon les films de samouraïs et, plus récemment, les J-Horror, l’Italie les péplums, les westerns et les giallos… ?

Voilà, en quelques mots, une fois le superflu enlevé et les longueurs écourtées, ce que nous permet de conclure ce brouillon mais bouillonnant documentaire, voilà la réflexion qu’il nous permet d’ancrer et de poursuivre. Il ne reste qu’à souhaiter que les producteurs oseront produire et que les spectateurs oseront se rendre en salle. (Jean-Marc Limoges)

 


photo : The Culzean Corporation

LOOK WHAT'S HAPPENED TO ROSEMARY'S BABY
Sam O’Steen  |  États-Unis  |  1976  |  110 minutes  |  Fantasia Rétro

J’ai vu le début de Look What’s Happened to Rosemary’s Baby à la télévision il y a environ vingt ans. J’avais abandonné au bout d’une trentaine de minutes en me disant que c’était mieux ainsi, qu’il était préférable de laisser planer le mystère de l’original au lieu d’apprendre « ce qui était arrivé » au bébé de Rosemary. Mais le passage du temps a trouvé le moyen de conférer une aura quasi mythique à cette suite obscure dans mon imaginaire de cinéphile. Quand j’en parlais aux gens de mon entourage, on me suspectait d’avoir inventé toute cette histoire — comme si j’avais halluciné cette soirée dont le souvenir était devenu, au fil des ans, de plus en plus diffus. Une simple recherche sur internet avait beau me confirmer l’existence du film, celui-ci ne me semblait plus exactement réel. Après tout, certains croient encore avoir vu le visage de l'enfant à la fin du film de Roman Polanski.

Il faut dire que Look What’s Happened to Rosemary’s Baby a des allures de (mauvais) rêve éveillé, avec ses scènes de rituels sataniques à rabais et ses gâteaux de fête décorés de chandelles formant des pentagrammes. À l’époque, je me souviens d’avoir abandonné lors d’une scène où Adrien est arrêté par la police pour excès de vitesse. Le fils du Diable, voyez-vous, traverse ici une sorte de crise d’adolescence particulièrement intense, bien que son âge exact soit en fait impossible à déterminer. Il est aussi chanteur dans un groupe rock et habite dans un casino au beau milieu du désert, ce qui contribue évidemment à établir une atmosphère de gros n’importe quoi vaguement absurde, en plus d’être ennuyant. Heureusement que le pauvre Ray Milland est là pour nous résumer les grandes lignes du scénario, au détour d’un énième fondu au noir marquant une pause publicitaire.

Tout ça pour dire que si j’ai décidé de (re)voir Look What’s Happened to Rosemary’s Baby, ce n’est pas dans l’espoir de découvrir un chef-d’œuvre oublié. Je savais exactement dans quoi je m’embarquais et mon principal objectif était d’en confirmer l’existence, une bonne fois pour toutes. C’est d’ailleurs à peu près tout ce qu’il y a à dire au sujet de ce téléfilm décousu : qu’il existe. C’est un objet essentiellement sans intérêt qui ne pouvait engendrer la fascination qu’à l’état de songe à demi oublié. La curiosité l’aura finalement remporté, emportant avec elle le mystère qui planait sur cette soirée lointaine où j’avais cru voir sans trop y croire une suite à Rosemary’s Baby. Parfois, il vaut mieux laisser les choses telles qu’elles sont. Il en va des souvenirs nébuleux comme des grands classiques du cinéma d’horreur, qui pourraient sans peine se passer de ce genre d’épilogue. (Alexandre Fontaine Rousseau)

 


photo : Reel Suspects

MYSTERY OF THE NIGHT
Adolfo Borinaga Alix Jr.  |  Philippines  |  2019  |  105 minutes  |  Compétition Cheval Noir

Mystery of the Night est un film schizoïde, et c’est en cela que se matérialise le legs véritable du colonialisme espagnol que ses auteurs tiennent mordicus à dénoncer, plus, en tout cas, que dans la mise en vitrine des enfants monstrueux issus du viol des femmes locales par les prêtres catholiques. Ce qui frappe d’emblée le spectateur en début de visionnage, c’est donc le décalage immense qui existe entre les deux premiers plans, mais surtout entre les techniques hétérogènes que ces deux plans mettent en exergue, anticipant ainsi les nombreux heurts visuels et dramatiques que provoque ici la cohabitation semi-fructueuse de modes d’expression cinématographiques primitifs et modernes.   

Flap… flap… flap… C’est le bruit obsédant qui accompagne le spectacle initial du jeune Domingo, isolé dans un plan de forêt grand ensemble avec sa carabine, vociférant des menaces à une entité invisible tapie en hors-champ. Flap… flap… flap… C’est le bruit d’une créature volante aux ailes de cuir qui accapare le ciel nocturne, et qui suggère par sa seule absence la quintessence de l’image cinématographique moderne : celle d’une présence laissée hors cadre jusqu’à la scène finale, suggérée comme un présage par un écho lancinant sur la bande sonore. Les choses prennent ensuite une tournure radicale, alors qu’on assiste à un résumé chanté de l’histoire coloniale et folklorique philippine sur fond de théâtre d’ombres corps et carton. Les jeux de silhouettes et de couleurs sont très impressionnants, mais on régresse néanmoins ici à une forme de narration pré-cinématographique. On juxtapose pour ainsi dire l’image cinématographique et l’image pré-cinématographique, la tradition et la modernité du septième art, et c’est là que les auteurs commencent à faire fausse route : dans un pas de deux maladroit qui provoque la chute fréquente de leur œuvre, œuvre qui, pour finir debout, devra chuter et se relever à de nombreuses reprises.

Ce que nous apprend aussi le décalage entre les deux premiers plans, c’est le fait que le film mette alternativement tout dans le hors-champ et tout dans le champ, cultivant d’abord le mystère par dissimulation d’informations (celui d’Anselmo par exemple, au sortir de la forêt), puis le résolvant dans un effort excessif, complaisant, mais ô combien satisfaisant de monstration (celui de la femme-chauve-souris, absolument fabuleuse, qui bouffe fœtus sur fœtus et déchiquette les entrailles de ses ennemis colonialistes). Ainsi, le film se révèle alternativement comme un film de reaction shots, un film où tout le monde regarde bêtement des choses qu’on devine seulement par effet Koulechov, un film où les sauvagesses ont vingt yeux plutôt que deux pour mieux regarder sans cesse, et une forme de théâtre filmé, traversé de saynètes pénibles où des acteurs atrocement dirigés peinent à éviter le ridicule dans des espaces naturels qui s’apparentent étrangement à des scènes de vaudeville. Ainsi, le film juxtapose des plans somptueux, poétiques et sensuels (le plan de rencontre dans la clairière notamment, où domine le jeu animal de Solenn Heussaff sur celui, beaucoup plus prosaïque, de Benjamin Alves) et des plans platement edisoniens, dans la même scène parfois, de sorte que l’admiration que génèrent les premiers se résorbe trop souvent dans l’ennui que provoquent les seconds.

Ce qu’il y a de pire dans tout cela, par contre, c’est que, malgré ses meilleures intentions, le film finisse par adopter simultanément une esthétique colonialiste et anticolonialiste, perdu tel qu’il est entre le cinéma de genre occidental contemporain et le cinéma ethnographique primitif. Son ethnographie à lui, aussi fidèle se veut-elle au trauma vécu par les populations locales au contact des peuples européens ressemble donc parfois à un sous-produit du National Geographic, avec ses plans de sauvagesses hébétées qui grognent et déambulent dans la forêt comme des panthères. Son usage exacerbé de chants folkloriques peine également à injecter de la saveur locale à son récit, particulièrement au vu du fait que ce dernier, pour peu qu’il fasse implicitement référence à la figure métamorphique (et passe-partout) du aswang, se conclue avec une scène de massacre mémorable dont le succès est principalement imputable à son amalgame de gore à l’américaine et de récit de vengeance gothique d’inspiration victorienne. Cela dit, cette conclusion mérite malgré tout qu’on s’y rende, au même titre que le film lui-même mérite d’être vu pour son flair visuel sporadique, au-delà des réserves que nous inspirent certaines de ses tactiques narratives. (Olivier Thibodeau)

 


photo : Nostromo Pictures

PARADISE HILLS
Alice Waddington  |  Espagne/États-Unis  |  2019  |  94 minutes

J’eusse été valet dans ce « Paradise Hills » que j’eusse dû me faire eunuque pour ne point faillir : des dizaines de jeunes filles à la blanche vêture, au regard angélique et à la bouche appétissante, maquillées et coiffées dès l’aurore par de dextres stylistes, le cou enserré dans une collerette de dentelle, les bras ornés d’épaulettes en cuir, le buste ceinturé, la poitrine corsetée, la taille enrubannée d’un tutu de taffetas sous lequel se devinent une jambe galbée d’épais bas de soie et un pied chaussé de fines bottines victoriennes, des hordes de jouvencelles passant leur temps à cueillir des fleurs, à s’en faire des couronnes, à sauter à la corde, à chanter des comptines, à manger des fruits et à laper du lait dans un décor princier aux relents médiévaux sis au milieu de l’océan… ! Comment rester de marbre devant tant de pureté et de sensualité mêlées, comment ne pas sombrer dans la lubricité la plus vile devant un tel presto d’érotisme ?

Pour son premier long-métrage, la réalisatrice espagnole Alice Waddington place la barre très haute, au-delà des nuages que transpercent les tourelles de son château, dans un monde éthéré et rarement visité. L’image est soignée, léchée, lascive. On est séduit autant par les sujets qu’elle filme que par la façon dont elle les filme. Et l’ensemble, par sa perfection trop criante, est en soi un statement : personne ne prendra ce monde si exagérément féérique au sérieux (pas même le libidineux en moi). La réalisatrice pousse si loin tous les codes du conte de fées, qu’on finit par en rire… avec elle. Derrière le glacis de cet impeccable tableau, se devinent les craquelures du monde qu’elle critique : celui des phallocrates qui ont, pendant des siècles, dicté aux femmes une façon de se tenir, de se mouvoir et de penser (si tant est que…). Et d’ailleurs, la « Duchesse » (Milla Jovovich) l’établit : ces demoiselles sont placées en pension parce qu’elles ont désobéi aux règles. On doit en faire, derechef, de bonnes petites filles.

On aurait pu s’en tenir là. Le « coup d’essai » était un « coup de maître ». Toute la charge politique était contenue dans cette esthétique trop sérieuse pour qu’on la prenne au sérieux. Mais le problème surgit dès que Waddington finit par se prendre elle-même au sérieux. Et que plus personne ne rit. Tout le comique s’évapore dès que les personnages établissent leur plan d’évasion et que s’enchaînent péripéties, revirements, révélations, résolutions et sanction. Dès le mitan du film, à partir du moment où Uma (Emma Roberts) verbalise ce que nous savions déjà — « Notre famille nous a envoyées ici non pas pour que nous acceptions qui nous sommes, mais pour devenir qui elle veut que nous devenions » (je cite de mémoire ; mes synapses ont disjoncté) —, le somptueux portrait se transforme en récit convenu, formaté, éprouvé. Pourquoi la cinéaste a-t-elle fini par s’encarcaner dans cette structure qu’elle avait si bien commencé à dénoncer ? Il ne fallait pas que ce conte de fée joyeusement dysphorique (re)devînt tristement si classique. (Jean-Marc Limoges)

 


photo : Fuji Creative Corporation

THE WONDERLAND
Keiichi Hara  |  Japon  |  2019  |  115 minutes  |  Axis

Mis à part pour ses belles couleurs, il est difficile de retrouver dans The Wonderland le réalisateur de Colourful (2010) ou de Miss Hokusai (2015). Keiichi Hara se contente ici d’un univers qui lui ressemble, où le travail de l’esthétique sert d’allégorie au récit et où la matière animée s’avère, par amalgame avec les sujets de la nature, l’enjeu de la quête (l’eau vient à manquer dans un monde parallèle au nôtre et les couleurs s’y fanent). L’idée, belle en principe, tombe toutefois à plat dans cette reprise peu inventive du roman de Lewis Caroll ; le design mignon des chats comme des moutons ne parvient pas à faire oublier la pauvreté de l’exercice maniéré de Hara. Piochant sans gêne chez Miyazaki (l’héroïne au pendentif, réincarnation d’une déesse), mais aussi chez Hideaki Anno (les ennemis au cœur doux, aux commandes d’un char d’assaut qui évoque la série Nadia), The Wonderland surfe sur des emprunts superficiels qu’il redistribue au cœur d’une mythologie qui peine à exister en dehors de ses références aux autres.

La raison de cet échec tient à cette écriture franchement arriérée, qui conserve la fonctionnalité de ses références (un pendentif guide l’héroïne vers son prince charmant) sans s’intéresser à leur sens (on ne lui laisse jamais le choix et le collier la tire contre son gré), créant des situations risibles ou les thèmes se sabotent au fur et à mesure de leur arrivée dans l’image. Aussitôt vu, on réalise pareillement que ce film aux allures écoféministes est bien le premier à présenter une héroïne aussi inutile (sinon à enlacer le prince afin de le réconforter face au poids de la couronne) rouler dans une drôle d’invention « écolo », le char au charbon, nous gavant les yeux d’un immense avant-plan de fumée noire recouvrant le paysage. Sans la moindre trace d’ironie, c’est dans cet écroulement complet de sa cohérence esthétique passée que Hara signe avec The Wonderland une production vainement commerciale, un hommage pathétique et contradictoire qui nous fait regretter ses productions plus minimalistes, quand la beauté de sa mise en scène ne lui avait pas déjà fait perdre la tête. (Mathieu Li-Goyette)

JOURS 1-2
(The Art of Self-Defense, Sadako, Sons of Denmark, Swallow)

JOURS 3-4
(Almost a Miracle, Away, Come to Daddy, Critters Attack!, Vivarium)

JOURS 5-6 
(The Gangster, the Cop and the Devil, L'inquiétante absence,
Look What's Happened to Rosemary's Baby, 
Mystery of the Night, Paradise Hills, The Wonderland)

JOURS 7-9 
(G Affairs, Idol, Knives and Skin,
Letters to Paul Morrissey, We Are Little Zombies)

JOURS 10-11
(The Incredible Shrinking Wknd,
Jesus Shows You the Way to the Highway,
Ode to Nothing, The Prey, Ride Your Wave)

 JOURS 12-13
(Alien Crystal Palace, Cencoroll Connect, Door Lock It Comes)

 JOURS 14-16
(Black Magic for White Boys, Bliss, Jessica Forever,
Koko-Di Koko-Da, The Legend of the Stardust Brothers,
Miss and Mrs. Cops)

JOURS 17-18
(Culture Shock, The Island of Cats,
Lake Michigan Monster, Night God, Les particules)

JOURS 19-20
(And Your Bird Can Sing, Depraved,
Freaks, Mon œil, Ready or Not,
Why Don't You Just Die!)

JOURS 21-22
(Dare to Stop Us, A Good Woman is Hard to Find,
House of Hummingbird, The Lodge,
Steampunk Connection, Promare)

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Article publié le 17 juillet 2019.
 

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