WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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Fantasia 2023 : Partie 1

Par Sylvain Lavallée et Olivier Thibodeau

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prod. Yellow Veil Pictures

BLACKOUT
Larry Fessenden  |  États-Unis  |  2023  |  103 minutes  |  Sélection 2023

Pour quelqu’un connaissant Larry Fessenden de réputation seulement, il est difficile de trouver dans Blackout des traces d’un auteur à la voix unique dans le cinéma d’horreur américain. Sans être exactement mauvais (plaçons-le dans le rang des «corrects, surtout ennuyants»), ce dernier film ressemble toutefois par moments à une œuvre amateure, notamment dans les longues scènes explicatives des premières minutes, platement mises en scène et sans tension dramatique. Relecture contemporaine de la figure du loup-garou (après Depraved [2019] qui retravaillait Frankenstein), le récit de Blackout inscrit l’horreur sous fond d’inquiétudes environnementales, alors que Charley, le protagoniste lycanthrope (Alex Hurt), un peintre en deuil de son père, se dresse contre un promoteur immobilier corrompu et sans scrupules (Marshall Bell). Cette intrigue politique occupe cette première partie monocorde, pour ensuite disparaitre au point de laisser certaines scènes foncièrement inutiles, dont l’une nous graciant au moins de la présence lumineuse de Barbara Crampton.

Le principal problème tient ici à un scénario ambitieux qui lance des idées sans trouver de cohérence: à un moment, la lycanthropie apparait comme une sorte d’allégorie du suicide et de l’alcoolisme, ce qui permet d’étoffer un peu le protagoniste et de relever la teneur tragique de ce genre de récit, mais cela n’arrive jamais à se marier avec le portrait d’une petite ville forestière dans l’État de New York, ni avec le racisme souligné (la population est prompte à accuser un Mexicain des meurtres commis), ni avec la veine écologique. Il y a pourtant là un concept fructueux, planter un loup-garou dans un contexte typiquement américain, présenté avec un certain souci de réalisme à hauteur de cols bleus, mais le tout demeure trop brouillon et approximatif, jusque dans un mélange de ton maladroit, où il n’est pas toujours évident de cerner si l’humour est volontaire ou non, s’il y a bel et bien un mélange de ton ou plutôt une uniformité ratée. De même pour le design du monstre, qui vise lui aussi un minimalisme prosaïque, mais qui apparait surtout pauvre et sans imagination.

Reste quelques séquences d’horreur assez bien foutues, avec un gore vaguement satisfaisant, et des petits éclats esthétiques venant ponctuer la monotonie de la mise en scène: une séquence animée, une image frappante du loup-garou tenant une femme nue ensanglantée sous un clair de lune, cette dernière étant d’ailleurs la manifestation la plus réussie du projet de Blackout, le plan offrant un mariage parfait entre le banal et l’expressionisme. Peut-être est-ce là tout ce qui reste de l’auteur important que fut Fessenden il y a vingt ans  mais pour la majorité du film, il n’y a que le banal. (Sylvain Lavallée)

Prochaine projection : 27 juillet à 11h30 (Salle J.A. DeSève)

 


prod. Fiery Film Company Ltd

MAMI WATA
C.J. « Fiery » Obasi   |  Royaume-Uni/France/Nigéria  |  2023  |  107 minutes  |  Camera Lucida

On a beaucoup encensé la direction photo de Mami Wata — au FESPACO et à Sundance notamment — et on voit tout de suite pourquoi. Le noir et blanc hyper contrasté de l’œuvre lui confère non seulement une incomparable beauté pittoresque, mais lui injecte une rare puissance narrative et politique. J’avais déjà abordé la question du « problème» que pose l’éclairage des peaux noires au cinéma dans un article dédié à Bradford Young, mais le plus récent film du réalisateur nigérian C.J. « Fiery» Obasi réitère le fait qu’il ne s’agit là que d’une question de volonté, tirant sa splendeur et son ambiance mystique des potentialités esthétiques de ces peaux. L’œil est d’abord frappé par les contrastes sublimes entre le noir des visages et le blanc des maquillages et des parures — dont la complexité et l’authenticité renvoient Black Panther (Ryan Coogler, 2018) au fantasme d’exotisme bon marché qu’il constitue réellement. Or, c’est surtout le caractère dramatique de leurs interactions avec la lumière qui étonne, alors que les clairs-obscurs sur les moues des personnages soulignent la nature crépusculaire d’un récit folklorique où la tradition perd des plumes face à une modernité violente d’inspiration colonialiste, et que les reflets fantomatiques sur les corps nocturnes lui insufflent un mysticisme insaisissable, idéal pour suggérer la présence élusive de la divinité titulaire.

L’efficacité de la mise en scène dans Mami Wata tient avant tout à la qualité de la technique, alors qu’Obasi et son équipe tendent à maximiser le pouvoir d’évocation de la photographie, mais du montage également — la scène du meurtre de Mama Efe possède une facture distinctement eisensteinienne malgré sa grande tristesse. Le réalisateur parvient ainsi à créer un monde en parfait (dés)équilibre entre le réalisme social et le cinéma fantastique, lequel reflète splendidement l’état d’une certaine Afrique occidentale, écartelée entre les mythes traditionnels et le désir de modernité issu du colonialisme. Il existe en effet ici moult frictions révélatrices entre les incarnations protéiformes de l’avant et de l’après, ne serait-ce que dans l’utilisation du pidgin ouest-africain, inspiré par l’anglais, d’où semble provenir le nom de la déesse centrale (mammy water). L’intersection problématique des cultures européennes et africaines rappelle parfois certaines abominations postcoloniales, comme le mythe confus du légendaire Mokélé-mbembé (que Marie Voignier avait abordé dans son fantastique Hypothèse du Mokélé-Mbembé [2011]), mais elle est surtout pleinement revendiquée par la production, dont elle abreuve son métarécit allégorique. Remise en question par ses propres filles, Zinwe et Prisca, la pratique des offrandes exigées aux pauvres villageois par Mama Efe, «l’intermédiaire » locale, fait donc l’objet d’une ire justifiée, qui s’épanche malheureusement dans une fureur meurtrière au contact d’un homme mystérieux venu de l’océan avec son crucifix autour du cou, et qui promet aux villageois des routes et des hôpitaux, mais les soumet finalement par les armes. Malgré sa simplicité, le récit déploie ainsi une analyse critique de toute l’histoire africaine, qui forcera même les Occidentaux à reconnaître que le dogme du progrès est encore et toujours le pire des maux, grâce, notamment, au plus satisfaisant deux ex machina depuis longtemps... (Olivier Thibodeau)

 


prod. Shane Bannon / Celina Bernstein

THE PERFECT PLACE TO CRY
Shane Bannon  |  États-Unis  |  2022  |  7 minutes  |  Sélection 2023

Après la décevante expérience de Blackout (2023), je tenais néanmoins à célébrer l’amusant court métrage de Shane Bannon qui servait jeudi soir d’amuse-bouche au film de Fessenden, une œuvre qui m’a finalement plu davantage, ne serait-ce que pour son efficacité et sa concision. «Voilà un film que j’ai écrit en quinze minutes», déclare d’abord Bannon à la foule. Je déteste généralement ce genre d’affirmations, qui semblent appeler à la louange d’une manière presque désespérée. Force est pourtant de constater que The Perfect Place to Cry repose bel et bien sur un scénario de quinze minutes. C’est la mise en scène qui importe ici, la maîtrise exemplaire du suspense et la capacité du cinéaste à jouer constamment avec l’horizon d’attente du public.

Une jeune femme en peine d’amour vient pleurer un soir dans sa bagnole dans un recoin sombre à l’orée de la forêt. Déjà fragilisée par ses problèmes émotionnels, elle aperçoit bientôt la lueur d’une torche parmi les arbres. La terreur s’immisce dès lors, grâce à cet apparent mauvais présage, source économe d’un sentiment de peur amplifié par le bruit familier, mais implacable du moteur qui emplit l’habitacle. Il s’agit néanmoins d’un moins mauvais présage que l’apparition soudaine d’un jeune homme ensanglanté, qui s’approche du véhicule de manière menaçante. Qui est-il et que veut-il? À sa suite apparaît bientôt un autre homme, plus âgé, dont les intentions à l’égard du premier sont très claires, mais dont notre esprit enfiévré doit inférer celles qu’il réserve à la protagoniste… Tourné presque intégralement à l’intérieur de la voiture, le film mise sur le pouvoir d’évocation macabre d’un ballet nocturne inusité, sur quelques jeux de lumière astucieux, mais surtout sur le maintien, malgré l’humour qui imprègne l’ensemble, d’une pesanteur constante, issue du concert d’un montage précis, d’une angoissante langueur silencieuse — seul le moteur ponctue la bande sonore — et d’une performance flegmatique et déroutante du sévère Kevin Owyang. Hourra pour la première perle inattendue de mon festival cette année! (Olivier Thibodeau)

Prochaine projection : 27 juillet à 11h30 (Salle J.A. DeSève)

 


prod. Toei Company

THE RETURN OF THE STREET FIGHTER (SATSUJIN KEN 2)
Shigehiro Ozawa |  Japon  |  1974  |  88 minutes  |  Genre du pays

Dans Return of the Street Fighter, intitulé Autant en emporte mon nunchaku en France, même s’il ne contient qu’une brève démonstration de cette arme emblématique des Tortues Ninja, Sonny Chiba reprend avec tout son flair insolent le rôle de l’impitoyable tueur à gages Takuma «Terry» Tsurugi. Il réitère pour ce faire toutes ses mimiques à la Bruce Lee, mais dans une œuvre distinctement plus « adulte » que celles du petit dragon, remplie de violence gore et de «sensualité» — on aperçoit même un bout de sein à la mi-parcours lorsqu’une meurtrière partage la couche du héros pour mieux le tuer. Les spectateurs de Fantasia auront droit cette année à une rare version non-censurée de 88 minutes, avec des traumas encore plus sanguinolents, et, en bonus, la présence en salle de Claude Gagnon (Claude Gannyon au générique), producteur, réalisateur et scénariste québécois qui joue ici le rôle du méchant principal, Don Costello, un mafieux au drôle d’accent et aux traits on ne peut moins italiens. On note d’ailleurs que tous les gaijin (étrangers) du film se ressemblent, qu’ils soient européens ou arabes, de sorte que l’idée de réalisme culturel demeure toujours tout aussi insignifiante à l’écran que celle du réalisme médical ou newtonien.

Le film d’Ozawa ne fait pas dans la subtilité, mais c’est justement dans sa grossièreté que réside son charme anachronique, dans le pouvoir de Tsurugi de transpercer les cordes vocales des informateurs à coups de poing et de poignarder les hommes de main avec le canon de son pistolet lorsqu’il n’a plus de balles, bref dans l’expression explosive d’une masculinité hypertrophiée jusqu’à la caricature, mais faillible néanmoins. Or, l’expression de cette puissance est intrinsèquement liée ici au désir fiévreux, presque puéril des cinéastes d’en mettre plein la vue au public, de transcender les ressources limitées de la production pour concrétiser intégralement la vision déjantée d’un scénario qui aurait pu, de prime abord, sembler trop ambitieux pour ses moyens. Le montage du film est particulièrement ingénieux en ce sens, plus encore que les prouesses impétueuses de sa charismatique vedette, puisque c’est lui qui permet au héros de sauter à moto par-dessus la barrière du poste de police, de briser des murs à coups de pied, de faire des wall jumps et de piétiner ses adversaires. C’est un catalyseur technique de l’énergie débordante des interprètes et l’indispensable ciment pour certaines des séquences d’action les plus époustouflantes qu’il m’ait été donné de voir — la scène initiale d’assaut sur le commissariat donne tout de suite le ton. Le montage constitue également une façon de récupérer certaines images moches, mal cadrées ou mal éclairées — la confrontation finale dans l’édifice industriel ressemble parfois à un grand théâtre d’ombres — pour les intégrer dans un tout constamment excitant… pour peu qu’on veuille y croire. Return of the Street Fighter constitue en somme l’essence du cinéma d’exploitation des années 70, où le plaisir de créer se conjugue au plaisir de voir, et de s’abandonner au spectacle, sans concession au bon goût ou au raffinement cinématographique. (Olivier Thibodeau)

Prochaine projection : 24 juillet à 18h30 (Cinémathèque québécoise)

 


prod. BA Entertainment / Big Punch Pictures / Hong Film

THE ROUNDUP: NO WAY OUT
Lee Sang-yong  |  Corée du Sud  |  2023  |  105 minutes  |  Sélection 2023

The Roundup: No Way Out est un film de dinosaures, qui revendique avec un humour douteux son machisme anachronique à la Dirty Harry (Don Siegel, 1971). C’est pour cela qu’on assiste à ce genre de choses, me direz-vous: pour voir Don Lee faire avancer son enquête à coups de tapes sur la gueule — le critique du Polygon cité dans le programme va même jusqu’à dire : « Any excuse to watch Ma Dong-seok punching fools is a good one.» Any excuse, en effet, comme ce récit hyper banal de course à la mallette remplie de drogue impliquant la police coréenne, la mafia japonaise et un ripoux (Lee Joon-hyuk) à la solde de celle-ci, le type d’histoire qui tient de la peinture à numéros, constituant ultimement une simple excuse pour faire bouger des corps dans l’espace. Et c’est bien là l’unique raison d’être du film: faire bouger des corps dans l’espace. Évidemment, me direz-vous: le corps de Don Lee vers la gueule des méchants ! Le problème, c’est que le fantasme de puissance phallique qu’incarne ici la grosse dynamo du cinéma d’action sud-coréen (sacralisée par sa performance dans Train to Busan en 2016) n’est pas garant des meilleures scènes d’action. On se surprend même à penser que c’est dans son absence que se déroulent les seuls vrais ballets martiaux dignes de ce nom, de rares séquences où la mise en scène n’est pas complètement asservie à ce fantasme de puissance. Quand notre héros frappe, ce n’est en effet toujours que pour démontrer sa force irrésistible. Les sbires sont projetés loin vers l’avant, leurs corps glissant sur les tables ou brisant toutes sortes de cloisons. C’est amusant, de la façon guignolesque des hommes forts de cirque, mais sans la précision, voire la grâce chorégraphique des meilleurs exemples du genre. On préfèrera ainsi les scènes où le méchant Ricky (Munetaka Aoki) dépèce méthodiquement ses adversaires avec son katana au duel final où Don le garde à distance en lui fracassant des planches sur la tête et en cassant sa lame comme un gorille… 

Qu’à cela ne tienne, le dynamisme extrême de l’ensemble parvient assez bien à conjurer l’ennui que nous inspire le scénario, et il est dur pour nous d’exiger bien plus. Il est surtout très difficile de critiquer le film pour ce qu’il est étant donné qu’il revendique son identité de manière parfaitement limpide. Même le caractère expéditif des séquences d’action, où l’on ne fait souvent qu’abouter une série de knockouts, devient l’objet d’une raillerie en cours de récit, lorsqu’un policier arrivé tard sur la scène constate avec dépit que la bataille « est déjà terminée ». « Il faut utiliser sa tête », affirme plus tard le boursouflé protagoniste lorsqu’il se bute à un coffre-fort barré; après avoir tenté vainement de déchiffrer la combinaison, il finit par en arracher la porte. Pourquoi? Parce que la violence produit les résultats les plus rapides… et les plus efficaces. Parce que la force brute est le Saint-Graal de Lee Sang-yong. D’où l’allègre apologie de la brutalité policière qui imprègne son film, et qui se décline dans une variété de gags discutables (incluant une scène où le héros dit « v’là ton avocat » au ripoux en brandissant son poing). S’agit-il là d’un commentaire méta sur le cadre machiste du cinéma d’action? Force est d’admettre que oui, même s’il ne fallait pas la tête à Papineau pour y penser… (Olivier Thibodeau)

 


PARTIE 1
Blackout, Mami Wata, The Perfect Place to Cry,
The Return of the Street Fighter, The Roundup: No Way Out

 

PARTIE 2
(Divinity, Raging Grace,
Sympathy for the Devil, Vincent doit mourir)

 

PARTIE 3
(Booger, The Fantastic Golem Affairs,
In My Mother's Skin, Insomniacs After School,
The Primevals, Ride On, Take Care of My Cat)

PARTIE 4
(The Becomers, East End Hustle, Femme,
The First Slam Dunk, Hippo, Lovely, Dark, and Deep)

PARTIE 5
(Hundreds of Beavers, Irlande cahier bleu,
River, With Love and a Major Organ)

Home Invasion

PARTIE 6
(Devils, A Disturbance in the Force, New Normal,
People Who Talk to Plushies Are Kind, T Blockers)

PARTIE 7
(Ferat Vampire, The God of Cookery
Late Night With the Devil,
She who Must Burn, Sweet Substitute)

Shin Kamen Rider

PARTIE 8
(Les fantastiques week-ends du cinéma québécois : Comédies,
Mad Fate, The Night Owl, Richelieu)

PARTIE 9
(Killing Romance, Piaffe, Skin Deep,
Ramayana: The Legend of Prince Rama,
Sometimes I Think About Dying, Suitable Flesh)

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Article publié le 20 juillet 2023.
 

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