WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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Fantasia 2012 : Le blogue du festival (1/2)

Par Panorama - cinéma
INDEX

Alter Egos  //  Jordan Galland (2012)
Despite the Gods  //  Penny Vozniak (2012)
Eddie: The Sleepwalking Cannibal
  //  Boris Rodriguez (2012)
Funeral Kings
  //  Kevin et Matthew McManus (2012)
Game of Werewolves 
 //  Juan Martínez Moreno (2012)
Henge  //  Hajime Ohata  (2011)
L'Hypothèse du Mokélé-Mbembé  //  Marie Voignier (2011)
The King of Pigs
  //  Yeon Sang-ho (2011)
Let's-Make-The-Teacher-Have-A-Miscarriage-Club  //  Eisuke Naito (2012)  
The Mechanical Bride  //  Allison de Fren (2012)
Mondomanila
  //  Khavn De La Cruz (2012)

My Amityville Horror //  Eric Walter (2012)
Nakedness Which Wants To Die Too Much  //  Hidenobu Abera (2012)
The Warped Forest  //  Shunichiro Miki (2011)
We Are Legion: The Story of the Hacktivists  //  Brian Knappenberger (2012)

>> Festival Fantasia 2012



2012.08.05
DESPITE THE GODS (2012)

Penny Vozniak  |  Australie  |  85 minutes
 
Peu de temps après la postproduction de Surveillance, Jennifer Lynch, fille prodigue de David, se fait offrir un contrat de réalisation en Inde avec le nec plus ultra de l'industrie bollywoodienne. Une documentariste australienne la suit. Espérant réaliser un bon making-of, c’est un film dont elle accouche – meilleure que son sujet, Hisss, raboté au montage et désavoué par Lynch –, un film d’une rare perspicacité qui utilise le plateau comme plaque tournante de deux puissances divines en action : la manière hollywoodienne et la manière bollywoodienne. Confrontation historique, Despite the Gods entrera dans l’Histoire comme étant le témoignage lucide d’une incommunicabilité culturelle, voire d'une incompatibilité à la fois touchante et tragique, car de ces efforts, rien de grand sinon une étude anthropologique en est ressorti.
 
Cette impression d’assister au voyage de cobayes américains est renforcée par l’inclusion de la fille de Lynch au cœur des mésaventures du tournage. Non seulement professionnelle, Lynch est mère et c’est en sa qualité de parent qu’elle revêt une apparence plus chaleureuse, plus vulnérable et sensible aux accidents de la production. Ceux-ci allant d’une figurante perdant connaissance alors qu’aucun soignant n’est sur le plateau jusqu’à un chef cascadeur donnant des ordres de mise en scène reflètent la hâte de tourner de l’industrie indienne, ses impératifs de productivité supplantant nécessairement leur créativité potentielle; le choc culturel est un choc industriel, un choc humain où la rigidité occidentale devra apprendre à s’assouplir. Femme entourée d’hommes, Lynch trouvera visiblement une alliée en l’actrice Mallika Sherawat, vedette féministe et dégourdie d’un cinéma qui instrumentalise encore ses premiers rôles féminins.
 
« En dépit des Dieux », le tournage mainte fois béni par des religieux et placé sous le regard bienveillant des divinités hindoues échoue et se butte à une incompréhension des mœurs de part et d’autre. Film sur ce face-à-face, le premier documentaire de Vozniak est aussi une œuvre magnifique sur la force des femmes, sur leur capacité surhumaine à se faire mère et chef de bande tout à la fois, car si Lynch n’est, au final, pas complètement amère de son expérience, c’est bien parce qu’en aucun moment sa dignité ne lui a échappé et que face à l’adversité misogyne, elle a toujours su rétorquer par le désir de filmer et la conviction de ses idées. Dans la ligue des Lost in La Mancha, des Hearts of Darkness et Burden of Dreams, Despite the Gods plonge dans une intimité inattendue tout à fait justifiée et drôlement absurde. (Mathieu Li-Goyette)
   
Diffusion : 4 août à 17h20 (salle J.A. De Sève) et 6 août à 15h25 (salle J.A. De Sève)

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2012.08.02
L'HYPOTHÈSE DU MOKÉLÉ-MBEMBÉ (2011)
Marie Voignier  |  France  |  78 minutes
 
Au cœur de la jungle congolaise, l'explorateur Michel Ballot poursuit sa quête du Mokélé-Mbembé avec comme seuls guides les Pygmées des rivières qu'il croise. À chaque village, il sort un cahier vert où sont griffonnés de nombreux dessins de cette créature mythologique mi-dinosaure, mi-rhinocéros. Voignier le suit dans tous ses délires, va même jusqu'à l'épauler, car la beauté de son documentaire ne renforce finalement que la mystique des lieux et la forte impression de crédibilité qu'ont les explications du cryptozoologue. Abordant les peuples du coin pour leur extraire de l'information, ces derniers réagissent en lui donnant tout ce qu'il veut, en le guidant aux confins de la jungle dans son rêve insensé d'être le premier homme à prendre sur le vif cette créature dont les premières apparitions dateraient du 18e siècle.
 
Après Hinterland (2009), la cinéaste réitère son désir de trouver des situations d'une richesse telle qu'elles témoignent des besoins anthropologiques de l'être humain à créer du mythe et d'instituer l'espace qui l'entoure dans la croyance et la superstition. Abordant les rumeurs de diable de la jungle et d'une tribu qui aurait attrapé et mangé un Mokélé-Mbembé au tournant des années 60, l'explorateur tombe dans le piège de la foi et s'y perd – ne voulant pas interagir avec son sujet, Voignier observe Ballot s'égarer à la recherche d'images qu'il ne découvrira vraisemblablement jamais; cette même retenue nous permettra plus tard d'interpréter son film comme la critique d'un sentiment de supériorité de la culture occidentale. Rappelant les conclusions qu'avait tiré Nicolas Renaud dans son excellent La bête du lac quant au besoin des communautés à s'organiser autour de légendes, L'hypothèse du Mokélé-Mbembé montre son intervenant s'empêtrer dans un certain colonialisme généreux. 
 
Les interventions de l'explorateur, bien qu'honnêtes, n'échappent pas à cette dure réalité qui voit nécessairement dans l'Afrique la terre des origines, le seul endroit où un dinosaure aurait pu survivre. Territoire à découvrir, Ballot l'arpente en pseudo-scientifique nostalgique d'une époque qu'il n'a jamais connue : les Africains portent aujourd'hui des vêtements de marque et là où il s'attend à être accueillis par des masques cérémoniels et des rituels voués à la créature, il n'est qu'un Blanc de plus, un égaré qui, ailleurs, viendrait interroger des locaux sur le monstre du Loch Ness ou le Big Foot, comme si l'Afrique contenait en elle une part de magie paradisiaque, sorte d'oasis d'inconnus pour le vacancier-colon en manque de dépaysement. Voignier capte cette relation avec les Congolais, ses moments émouvants comme ses erreurs plus grossières et boucle un deuxième long-métrage sublime dont les images poétiques et la maturité éthique l'élève bien au-dessus du sujet qu'elle a daigné filmer. (Mathieu Li-Goyette)

Diffusion: 28 juillet à 14h50 (salle J.A. de Sève)

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2012.07.31
THE KING OF PIGS (2011)
Yeon Sang-ho  |  Corée du Sud  |  97 minutes

En d’autres circonstances, nous aurions pu penser que les animations saccadées de The King of Pigs ne sont représentatives que du manque de budget dont a souffert le cinéaste Yeon Sang-ho pour réaliser son film. Mais au fur et à mesure que se découvre son récit, la certitude que l’esthétique qu’il a préconisée – effet de hasard ou pas, c’est un autre débat - se trouve en parfaite symbiose avec les thématiques du film, ne nous lâche plus. Où il est question du poids du passé et de la douleur du ressouvenir, il apparaît finalement cohérent de découvrir des images acharnées, lentes à s’articuler les unes aux autres et souvent brusquées par des mouvements de caméra virtuels imposés par une force externe qui souhaite montrer au spectateur ce que les personnages préfèreraient garder pour eux... 
 
C’est qu’il est question de violence, d’intimidation, d’humiliation et d’impuissance, dans ce très surprenant mélodrame d’animation sud-coréen. De secrets, aussi… Lorsque nous les retrouvons, Jong-suk et Kyung-min sont des adultes à la dérive, qui se rencontrent pour faire le point sur les abus dont ils ont été victimes à l’école élémentaire. L’un est « écrivain fantôme » (ghost writer), l’autre, le président d’une compagnie sur le déclin, d’une compagnie en faillite, d’une « compagnie fantôme »... À travers leurs réminiscences, les deux hommes se souviennent de leur ami Chul qui, seul contre tous, s’était opposé au système hiérarchique de leur école afin de les protéger de leurs agresseurs. En s’élevant ainsi, ce dernier avait surtout tenté de s’extirper de la classe sociale dans laquelle ils (ses camarades mais le système aussi, plus largement) le tenaient prisonnier en raison de la pauvreté extrême de sa famille. Le monde étant naturellement injuste, il était condamné à l’échec.
 
Cette conclusion, il y en était venu par lui-même au bout d’un récit initiatique hors-norme, qui l’avait vu flirter un temps avec la folie et la déraison. Si le monde est injuste, avait-il compris, toutes les attitudes ne se valent pas lorsqu’il est question d’essayer de l’améliorer. Se transformer en monstre, devenir le bourreau d’autres bourreaux ou combattre le feu par le feu, sont autant d’attitudes qui contribuent ultimement à nourrir la logique des inégalités et du déséquilibre, pas à transformer de façon complète et fondamentale le système. Mais malgré son illumination, son destin n’en était pas moins resté tragique…
 
Quinze ans plus tard, Jong-suk et Kyung-min se retrouvent dans l’espoir de briser la malédiction qui plane sur eux depuis le moment où, pour sauver leur propre peau, ils ont choisi de sacrifier leur ami Chul à la masse des « chiens ». Arrivés au bout de leurs souffrances, ils comprennent maintenant qu’ils doivent offrir à sa mémoire (à son fantôme) un nouveau sacrifice pour racheter leur faute et retrouver, enfin, leur paix intérieure. Rédemption bienvenue pour ces deux hommes qui, au fond, avaient été les toutes premières victimes de cette sordide affaire… (Guillaume Fournier)

Diffusion : 26 juillet à 19h30 (Théâtre Hall Concordia)

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2012.07.28
THE MECHANICAL BRIDE (2012)

Allison de Fren  |  États-Unis  |  76 minutes
 
C’est en prenant soin de remettre en contexte l’importance de l’automate dans la culture populaire qu’Allison de Fren entame son documentaire troublant sur les déclinaisons les plus séduisantes de la poupée en latex. Des recoins perdus du Texas jusqu’à la Tokyo cosmopolite, la cinéaste passe au crible cette industrie en plein développement et les gens qui la font vivre. S’attachant d’abord à une photographe qui se spécialise dans la prise de portraits amoureux entre des individus et leurs femmes-objets, de Fren remonte la filature jusqu’aux consommateurs et à leurs habitudes de vie allant du grotesque (le vieux Texan appelant la sienne « my niece ») au bizarrement touchant (le hipster voyant dans sa poupée japonaise un idéal qu’il ne pourrait jamais avoir), The Mechanical Bride revient sur cette fascination ancestrale de l’homme à vouloir créer, à jouer les Frankenstein et à bâtir pour mieux contrôler; on nous l'explique dans une deuxième moitié beaucoup plus axée sur les rouages de la vente et de la fabrication ainsi que sur la place de ces objets sexuels dans notre culture moderne.  

Car ce qui se cache en dessous de ces portraits des plus particuliers, c’est une vulnérabilité profonde, une humanité en proie au désir de posséder autrui comme si les rapports d’égal à égal ne suffisaient plus. Dans ce désir de façonner son vis-à-vis repose aussi une volonté de puissance terrifiante où l’on déciderait de l’apparence, de la vie et de la mort de cette personne créée pour nous : une poupée retournée trois fois pour réparation – un adolescent frustré la mutile et la viole – en témoigne. « Mieux vaut que ces fous s’exercent sur des poupées que sur des êtres humains », disent les industriels du domaine. Si nous ne nous engagerons pas dans la voie du jugement des acheteurs de ces objets hautement détaillés, il nous faudrait quand même revenir sur l’importance que devra prendre très tôt la réflexion sur l’automate, sur la déontologie de sa création et de son utilisation, car plus les années passent et plus ils sont réalistes, plus ils parlent et plus ils nous font l’amour…  

Et voilà ce qui demeure l’aspect le plus terrifiant du documentaire de de Fren, cette propension à nous satisfaire d’une création complexe et complètement artificielle (les fans de cette chaire se nomment eux-mêmes des technosexuels). « Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques? », demandait Philp K. Dick. La question qu’il fallait d’abord poser, c’était bien : « Pourquoi les humains rêvent-t’ils de moutons électriques? » Mechanical Bride se penche sur la question avec une certaine exhaustivité scientifique qui pardonnera certainement sa forme télévisuelle : à défaut d’avoir su trouver une esthétique pour son sujet, de Fren s’est laissée emporter par celui-ci en restant étonnamment neutre et coupable d’une certaine objectivité face à ce monde de robots qu’il nous reste à découvrir. C’est peut-être qu’elle aussi, en dépit de son enquête, ne sait encore quoi penser de ce futur des plus incertains… (Mathieu Li-Goyette)

Diffusion : 26 juillet à 17h25 (salle J.A. de Sève) et 29 juillet à 13h05 (salle J.A. de Sève)


2012.07.28
ALTER EGOS (2012)

Jordan Galland  |  États-Unis  |  80 minutes  

Le film de super héros est, pour le moins qu'on puisse dire, un genre à la mode ces jours-ci. Responsable d'un certain renouvellement de la forme et du discours hollywoodien des dernières années, quelques alternatives plus indépendantes et plus couillues ont su jouer sur les codes établis par leurs éléphantesques cousins. Scott Pilgrim v.s. The WorldKick-Ass et Super se voulaient le flambeau d'une contre-culture super héroïque et ont échoué au box-office en amassant néanmoins au passage des critiques assez positives...  

Ce que le Alter Egos de Jordan Galland ne recevra malheureusement pas. Piètre tentative de s'inscrire dans ce courant en usant d'un humour irrévérencieux et d'une démythification de l'univers des hommes masqués, le film ne parvient pas à se trouver un discours qui lui serait propre sinon cette anecdote de l'homme de glace Fridge se faisant tromper par son alter ego nerd et gêné. Réflexion, si elle en est une, sur les troubles de personnalité qui affectent ces personnages, la prémisse de Galland a de quoi charmer, mais s'étire dans un long-métrage qui aurait dû être un court, une oeuvre qui aurait bénéficié d'un acolyte au scénario, d'un comique partageant le code génétique de Kevin Smith ou de Joss Whedon qui, en dépit des budgets les plus dérisoires, font rire lesgeeks beau temps mauvais temps. Une petite étincelle manque à sa plume, une petite trouvaille de plus par-ci, par-là qui veut tout dire lorsqu'on joue les manipulateurs de culture populaire.  

Mais Alter Egos réussit au moins quelques petites choses à commencer par la direction de ses comédiens qui insufflent beaucoup de crédibilité à un univers factice (mis à part le piètre Kris Lemche, Brooke Nevin et Joey Kern se démarquent en C-Thru et idylle d'une journée). Venu du théâtre, Galland nous démontre son véritable talent en restreignant l'espace des 80 minutes de son film autour d'une poignée de chambres de motel. Genre de Dangerous Liaisonsavec des collants multicolores et des pouvoirs impressionnants, Alter Egos transforme les impératifs de son faible budget en jeu de chassé-croisé gravitant au tour d'un seul et même lieu. Les portes s'ouvrent et se ferment, les protagonistes jouent à Scooby-Doo tandis que C-Thru l'adjuvant, lui, voit à travers les murs et défit cette théâtralité réfléchie. Une belle idée, mais qui ne suffit en rien à élever Alter Egos au-delà de la série B mal exécutée et relativement oubliable. Visiblement, Kevin Smith a acheté les droits de distribution du film. Espérons maintenant qu'il donne quelques leçons à Jordan Galland, un cinéaste dont la technique est déjà suffisante, mais dont l'écriture, elle, ne l'est pas encore. (Mathieu Li-Goyette)  

Diffusion : 24 juillet à 19h35 (Théâtre Hall Concordia)


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Article publié le 18 juillet 2012.
 

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