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Kick-Ass (2010)
Matthew Vaughn

N'en faire qu'à sa tête

Par Jean-François Vandeuren
La question de l’adaptation au cinéma représentera visiblement toujours un cas problème. Une impasse dont nous aurons pu constamment observer les effets au cours de la dernière décennie alors qu’un nombre effarant de bandes dessinées se seront finalement frayées un chemin jusqu’au grand écran. Si nous parlons pourtant de la rencontre entre deux médiums extrêmement visuels, il faut dire que les auteurs peuvent prendre en soi beaucoup plus de liberté sur une planche à dessin que derrière la caméra, et ce, pas simplement d’un point de vue créatif, mais aussi dans la façon de raconter leurs histoires. Cela explique en partie pourquoi les cases de la bande dessinée ont été aussi souvent dépouillées de leur substance, voire de leur densité, pour se transformer en productions beaucoup plus orientées vers l’esthétique et l’action, mais aussi beaucoup plus désireuses de se conformer à une certaine réalité. Le bédéiste écossais Mark Millar s’était déjà fait jouer le tour par Timur Bekmambetov et son équipe, qui avaient complètement ignoré le contexte original très proche de la mythologie des super-héros de son Wanted pour offrir un film d’action plus générique répétant continuellement les mêmes stratagèmes. Et les standards d’éthique et de moral du cinéma américain n’annonçaient rien qui vaille pour cette relecture de sa cynique et ultra-violente série Kick-Ass. Mais à la surprise générale, nous avons finalement affaire ici à un travail de scénarisation absolument colossal de la part de Matthew Vaughn (Layer Cake) et de son acolyte Jane Goldman, qui auront su garder l’essentiel de leur source d’inspiration tout en s’assurant de faire fonctionner celle-ci à l’intérieur d’un contexte cinématographique destiné à un large public. Même que pour une rare fois, nous pouvons véritablement parler d’un exercice dépassant d’une bonne tête le matériel qu’il aura fait passer du papier à la pellicule.
 
L’immense génie et le caractère explosif du présent divertissement découlent en soi directement du je-m’en-foutisme absolu dont auront su - et surtout pu - faire preuve Vaughn et Goldman durant l’élaboration de leur second scénario commun, mais aussi d’une série de décisions extrêmement judicieuses prises au coeur même du processus d’adaptation. Il y a ainsi plusieurs différences notables entre la version filmée et imprimée du parcours complètement déjanté de Dave Lizewski (Aaron Johnson) qui, un jour, décida de s’acheter une tenue de plongée et d’en faire un costume de super-héros. « Kick-Ass » serait son pseudonyme. À l’instar des (anti)héros du Watchmen d’Alan Moore, l’adolescent sera bien déterminé à parcourir la ville pour y faire régner l’ordre et la justice, même s’il ne possède aucune réelle aptitude pour arriver à de telles fins. Les deux scénaristes se sont également permis de remanier quelque peu l’essence de l’ensemble des personnages du récit, diminuant fortement l’aura de pathétisme qui les enveloppait dans la bande dessinée en plus de leur réserver à tous un moment de gloire bien mérité. Ce sera particulièrement le cas du duo beaucoup plus compétent formé de Big Daddy (Nicolas Cage, hilarant) et de la jeune Hit-Girl (Chloë Grace Moretz, grande vedette du présent long-métrage), à qui Vaughn et Goldman confieront une réelle quête de vengeance contre l’organisation criminelle dirigée par Frank D’Amico (Mark Strong, tout aussi efficace) - à qui aimerait bien succéder son fils de dix-sept ans (Christopher Mintz-Plasse, savoureux). L’un des meilleurs coups des scénaristes aura d’ailleurs été de s’attarder autant à l’histoire de cette bande de mafieux qu’à celle de leurs prétendus justiciers, chose que ne faisait aucunement Millar à l’origine. Un concept qui permettra aux cinéastes d’alléger le ton du récit en jouant abondamment la carte de l’ironie dramatique, et ce, sans jamais trahir l’esprit résolument plus sombre et sadique des écrits de l’artiste écossais.
 
Bien qu’il pose une interrogation tout à fait légitime, à savoir pourquoi personne ne s’est encore risqué à jouer les justiciers masqués dans la vraie vie (quoique poser la question, c’est déjà y répondre), Matthew Vaughn ne fait fort heureusement jamais l’erreur de plonger son opus dans un contexte strictement réaliste. Si l’univers de Kick-Ass se révèle assurément crue, vulgaire et parfois même impardonnable, le cinéaste britannique aura tout de même mis les bouchées doubles pour permettre à ses protagonistes de vivre pleinement leurs fantasmes, orchestrant des séquences d’action absolument renversantes où la démesure est à l’honneur et la violence s’y avère pour le moins extrême, en plus d’être bien souvent instiguée par des mineurs. Mais le coeur de Kick-Ass demeure la façon particulièrement pertinente dont il traite de la naissance d’un phénomène populaire à l’ère des médias sociaux tout en s'appropriant un nombre exorbitant d’éléments déjà très présents dans l’imaginaire collectif nord-américain, voire mondial. On pense à cette scène de fusillade délirante tournée à la première personne, aux lignes de dialogues sorties tout droit de Scarface, à cet adieu calqué sur la finale de Return of the Jedi et, bien évidemment, à cet hommage on ne peut plus senti à Kill Bill lors d’une finale époustouflante au cours de laquelle le réalisateur se sera même permis d’imiter Tarantino en allant piger dans le registre du compositeur Ennio Morricone. Le travail au niveau sonore s’avère d’ailleurs impeccable, la musique jouant un rôle primordial quant à la grande efficacité de l’ensemble grâce à un choix de pièces toujours appropriées, empruntées à des artistes aussi variés que The Prodigy, The Dickies, Elvis Presley et Mozart. Il s’agit également d’un domaine où Kick-Ass prouve une fois de plus toute sa perspicacité, utilisant toujours ses citations avec une intention bien définie, tel ce recours à une pièce de Rossini utilisée jadis par un certain Kubrick dans A Clockwork Orange qui viendra appuyer ici un tout autre contexte d’ultra-violence.
 
Il ne fait aucun doute que Kick-Ass sera perçu par plusieurs comme l’une des productions les plus amorales, répréhensibles et irresponsables à avoir eu droit à une distribution en salles d’aussi grande envergure, et avec raisons. Mais plutôt que de s’enfouir la tête dans le sable, Vaughn et Goldman auront plutôt décidé d’assumer pleinement la responsabilité de leurs actes et d’aller jusqu’au bout de leurs idées, faisant suffisamment confiance à leur public pour ne pas commencer à lui faire la morale sur les notions de bien et de mal. Le duo mettra d’ailleurs un terme à ses différentes pistes narratives avec une facilité déconcertante, mais néanmoins de mise, qui ne sera pas sans faire écho à l’ambiguïté de ces récits de justice personnelle de plus en plus populaires auprès du grand public. Les deux auteurs joueront d’autant plus de finesse en achevant le parcours de l’alter ego de Dave Lizewski exactement là où ce dernier avait trouvé son inspiration au départ. Le spectateur sortira assurément de la salle la tête entre les deux mains, remettant fortement en question la valeur éthique d’un tel effort tout en ne pouvant nier l’immense valeur de ce divertissement complètement absurde et invraisemblable, mais développé avec la plus grande intelligence. Au niveau esthétique, le Britannique et son équipe proposent encore là un travail renversant, que ce soit par l’originalité et la fluidité des séquences d’action, par l’immense qualité d’un montage venant conférer au film son énergie contagieuse, ou encore par la direction photo précise et particulièrement colorée de Ben Davis. Il s’agissait, certes, d’un pari audacieux, mais un que le duo aura su remporter haut la main, élevant son oeuvre au-delà du simple plaisir coupable pour en faire l’un des spectacles cinématographiques les plus jouissifs et satisfaisants de mémoire récente. Pour les bonnes et les mauvaises raisons, nous devons bien reconnaître que l’opus de Matthew Vaughn porte fichtrement bien son nom.
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Critique publiée le 17 avril 2010.