WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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Festival du nouveau cinéma 2017 : Jour 10

Par Panorama - cinéma



DETECTIVE BUREAU 2-3 – GO TO HELL BASTARDS! 

Seijun Suzuki  |  Japon  |  1963  |  89 minutes  |  Histoire(s) du cinéma

L’inventivité de la mise en scène de Seijun Suzuki trouve ses marques dans sa construction de l’espace. Un espace clos, parsemé d’entrées et de sorties, avec souvent pour tricher des vitres, des dispositifs, des trous qui assurent que tout le monde sache bien qu’une surprise n’attend jamais l’autre, qu’un ennemi pourrait savoir ou ne pas savoir. Alors on doute, on parcourt les coins de l’espace, on s’y cache, on rampe, en attendant les éclats de violence qui viennent changer la donne, débarrasser quelques personnages du plancher avant un énième rappel, sur une autre scène, progressant ainsi jusqu’à ce que Joe Shishido soit le seul debout.
 
Dans Detective Bureau 2-3, cette dynamique est renforcée par la position d’infiltré que Tajima (Shishido) doit jouer pour les membres d’un gang qui l’engagent. Détective privé à son compte, il intègre les rangs de cette association structurée sur un schéma familial. Les mafieux sont ici des enfants gâtés qui répondent tous à une seule figure patriarcale, leur oncle, et veulent lui prouver leur valeur pendant que celui-ci entretient une femme encore vierge (c’est lui qui est impotent), princesse dans une cloche de verre que Tajima finira par secourir (en tuant le père – où comment Œdipe découvrit qu’il jouait dans la pièce hard-boiled des finissants). Les enfantillages sont le lieu commun d’un film anarchique, par exemple dans cette scène de petit bougon, lorsque Tajima refuse en gamin d’aller rencontrer son vrai père qu’il n’aurait pas vu depuis des années (il s’emmitoufle dans ses couvertures, se couche le ventre contre le matelas, la tête enfouie dans l’oreiller). Comique, certes, la scène révèle toutefois un film noir qui a parfaitement compris ce qu’on attendait de lui et cette conscience, Suzuki ne nous l’inflige pas pour le seul plaisir du genre.
 
Comme c’est souvent le cas chez lui, les thèmes de ses films naissent à travers ces rapports au groupe que peut avoir le personnage principal. Ici, les références à l’enfance et aux bandes, qu’il soit question de ses adjuvants détectives ou des autres gangs de rue, sont à la hauteur des scènes d’action, constituées de pétarades ambitieuses et comiques, rappelant les jeux de ruelle de flics et de bandits. La présence appuyée de l’influence américaine d’après-guerre, tant dans le choix des thèmes musicaux que dans les fêtes et la représentation de la religion catholique (c’est probablement le seul film de yakuza qui soit aussi un film de Noël), rythme une œuvre où le réalisme a cédé à l’américanisation de la culture, que Suzuki interprète comme une infantilisation de la violence. Il la reporte sur les gangsters, les militaires et la police, plaçant tous les sbires de ces organisations en agents culturels retournés à une forme d’état primitif. Le comportement outrancier des personnages, que Suzuki impose essentiellement à travers des réactions démesurées (son film est structuré par des contrechamps qui ouvrent des scènes et par des personnages aux réponses imprévisibles), lui sert à déboussoler son récit suffisamment pour l’aligner sur le film noir, grand dédale dont il ne sort pas et qui n’a jamais paru, plus que dans Detective Bureau 2-3, comme une autre prison américaine, c’est-à-dire comme une structure d’aliénation, la cause même de la schizophrénie des personnages et la source pulp qui les « force » à se comporter en personnages de cinéma. (Mathieu Li-Goyette)
 



GATE OF FLESH
Seijun Suzuki  |  Japon  |  1964  |  90 minutes  |  Histoire(s) du cinéma

Immanquable Joe Shishido face à un groupe de prostituées dont la solidarité est maintenue par une règle d’or leur empêchant de livrer gratuitement leur corps à autrui. Cet individu solitaire, militaire errant, vadrouillant dans les ruines d’un Japon tout juste conquis, est une bête violente, un ours suant, qui déstabilise ce qui ne tenait déjà qu’à quelques promesses et des espoirs de résurrection.
 
Tout le monde attend la mort dans Gate of Flesh, l’un des films les plus sombres qu’ait tourné Seijun Suzuki en plus d’être l’une des représentations les plus percutantes du sort des femmes dans le Japon d’après-guerre. À l’instar des Femmes de la nuit de Mizoguchi ou de L’enterrement du soleil d’Oshima, La Barrière de chair, dit son titre français, fait l’économie des corps et des plaisirs dans un monde où le corps est la dernière possession envisageable et où les plaisirs n’existent que moyennant son salaire. Dans ces décors encombrés, ces ruines labyrinthiques où se meut une galerie de personnages aux robes colorées, la barrière de chair est celle qui empêche les personnages d’oser livrer à l’amour ce qu’il leur reste en ressource, mettant en scène la vente d’un corps comme l’ultime seuil de survivance d’une condition sans espoir. Savoir à qui on peut vendre son corps, savoir à qui on peut le « donner », savoir ce que cette tarification génère chez les autres femmes qui comptent sur elle pour survivre au lendemain, le film de Suzuki reproduit une forme d’enfer des plaisirs, dont les Yakuzas autant que les forces de l’Occupation américaine sont les serviteurs. Rapidement, ces puissances fondamentalement semblables parviendront à désolidariser les femmes du groupe, les menant jusqu’au lynchage de Maya (Yumiko Nogawa), la nouvelle qui vient de perdre son frère et qui a eu le malheur de tomber amoureuse de la brute incarnée par Shishido.
 
Sur cette base non loin du film noir, dotée d’un penchant érotique fortement travaillé par l’éclairage et la mise en scène de Suzuki, La Barrière de chair relève davantage de la tragédie humaine que des films de canons fumants que le maître de la Nikkatsu réalise durant les mêmes années. La formidable énergie de Suzuki se retrouve pour une fois canalisée non pas dans les séquences d’action, mais dans la narration des ébats amoureux, des vies passées des personnages qui refont surface, dans la représentation d’idylles qui parviennent, à l’intérieur d’un même plan, à évoquer à la fois la brutalité de la pauvreté et celle de l’amour. En cela La Barrière de chair est un film périlleux, qui manque à quelques instants de basculer dans une exploitation rétrograde des corps, mais puisque Suzuki est plus poète que sadique, les excès de sa mise en scène finissent par transcender le caractère de ses sujets et à les élever avec lui. (Mathieu Li-Goyette)




THELMA

Joachim Trier  |  Norvège/France/Danemark/Suède  |  2017  |  116 minutes  |  Les incontournables

Surprenant, le dernier film de Joachim Trier, sorte de Carrie humaniste qui ne sait malheureusement pas porter ses promesses jusqu’au bout. La trame est très semblable, à la différence que là où De Palma soulignait la cruauté des adolescents qui tourmentaient la pauvre Carrie, Trier s’attarde surtout sur le mal-être de sa Thelma (Eili Harbo) qui ne sait trop comment approcher les autres. Il y a bien quelque chose d’étrange chez Thelma (son père hésite à la tuer dans la première scène, elle est prise de convulsions épileptiques sans raison apparente), mais l’aspect surnaturel est gardé en sourdine alors que Thelma apprend peu à peu à créer des liens avec les autres, avec Anja (Kaya Wilkins) en particulier. Cette première heure, très belle, dresse un portrait des plus sensibles de cette amitié qui se transforme en amour naissant, difficile à accepter pour Thelma qui a été élevée dans la plus stricte chrétienté. Là aussi on sent la parenté avec Carrie, mais encore une fois, Trier, que l’on sait kierkegaardien depuis son premier film (La Reprise, titre d’un ouvrage du philosophe danois), traite la foi avec le plus grand respect, son film cherchant sans doute à se rapprocher d’un mysticisme rappelant le cinéma de Dreyer ou de Tarkovski : c’est surtout l’adhésion rigoureuse à la religion telle qu’elle a été institutionnalisée qui empêtre Thelma, et c’est en se délestant de cette mauvaise éducation qu’elle pourra dompter ses dons qui tiennent du miracle (ou de la malédiction).
 
Mais le doute habite Thelma, le film, autant que son personnage, comme si Trier hésitait à épouser la dimension fantastique de son récit, ce qui aboutit sur de longs passages ennuyeux de tests scientifiques tentant de comprendre la condition de Thelma. La question de la foi s’épuise en même temps, et Trier finit par accepter le devenir surhumain de son héroïne pour sa finale, comme par regret, en se croyant obligé de détruire tout ce qu’il avait construit jusqu’à ce point, incapable de réunir le tout de façon satisfaisante ; une chute d’autant plus brutale que le film nous avait portés bien haut auparavant. (Sylvain Lavallée)




L'ABC DU FNC

JOUR 1
(Ava, Napalm, Samui Song)

JOUR 2
(La caméra de Claire, Claire l'hiver)

JOUR 3
(Black Hollow Cage, Les Fantômes d'Ismaël,
Loveless)

JOUR 4
(The Day After, Félicité, The Last of Us)

JOUR 5
(KFC, Mass for Shut-Ins, Sexy Durga, Unrest)

JOUR 6
(Bangkok Nights, Honeygiver Among the Dogs,
Marion, La Zone)

JOUR 7
(Le ciel étoilé au-dessus de ma tête,
Les prédatrices, Summer Lights)

JOUR 8
(All you Can Eat Buddha, The Florida Project,
Histoire que notre cinéma (ne) racontait (pas)

JOUR 9
(9 Doigts, Jeannette : l'enfance de Jeanne d'Arc,
Loving Vincent, Phase IV, Planet ∞)

LES GARÇONS SAUVAGES

JOUR 10
(Detective Bureau 2-3 – Go to Hell Bastards!,
Gate of Flesh, Thelma)

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Article publié le 18 octobre 2017.
 

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