WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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RIDM 2016 : Jour 9

Par Panorama - cinéma



LE CONCOURS

Claire Simon  |  France  |  2016  |  119 minutes  |  Présentations spéciales
 
Disons-le d’emblée, on sort de ce film avec une intenable et persistante migraine. L’entreprise était pourtant louable : filmer le long processus d’entrée à la Fémis (Fondation européenne des métiers de l’image et du son). D’un côté, nous voyons des centaines de jeunes étudiants faire leur inscription, subir leur examen sur table, vivre diverses mises en situation liées au métier qu’ils veulent pratiquer, passer leur entrevue finale, apprendre leur acceptation (ou leur refus) ; de l’autre, nous assistons aux interminables et tempétueuses délibérations des membres du jury. Tout le processus est filmé à l’aide d’une caméra à l’épaule agitée, avec la lumière et le son ambiants, cadrant ses sujets de façon approximative et rendu dans un montage tout aussi chaotique. Curieux quand on sait que l’action se déroule entre les murs d’une des plus importantes écoles de cinéma. Toutes considérations faites, plutôt qu’à un film sur la Fémis, nous assistons à un documentaire sur la « société française » et ses nombreux travers : élitiste, verbeuse, ampoulée, pompeuse, amphigourique, prétentieuse, procédurière, chicaneuse, irritable, désordonnée, condescendante, confuse, infatuée, bordélique. Les étudiants peinent, bûchent, planchent, tremblent. Ils sont appelés par leur numéro. Ils doivent se vendre sans se vanter. Montrer qu’ils regorgent de connaissances et le faire avec bagout, panache et faconde. Prouver à ces intimidants membres qu’ils sont les meilleurs. Partir la tête haute même s’ils ont merdé. Et le spectacle offert, en coulisses, quand ils ont quitté la scène, et où l’on décide de leur précieux avenir, est atterrant : on parle beaucoup pour rien, on s’écoute à peine, on se coupe la parole, on y avance, tantôt des opinions franchement subjectives, tantôt des arguments grossièrement objectifs, mais toujours en essayant de comprendre, au fil même de la discussion, les critères en regard desquels il faut trancher. En effet, empêtrés dans les rouages bureaucratiques dont ils semblent n’avoir qu’une vague connaissance, les membres comptabilisent leurs points, chipotent sur les résultats, les mettent subitement de côté, réitèrent leurs impressions, puis, à force de rhétorique tendancieuse, cherchent à s’entendre sur la façon juste et équitable de procéder, mettent leur grille sur la glace, reviennent aux chiffres qui seront au final comparés avec les impressions données au troisième tour, sans tenir compte des notes du deuxième mais peut-être avec les réponses du premier. La Fémis ressemble à n’importe quelle autre boîte française, exactement à l’image de cette inoubliable « Maison des fous » si justement dépeinte par Goscinny et Uderzo. On imagine qu’il en est de même pour devenir commissaire au Centre George-Pompidou, employé chez Renault ou balayeur à la Ville de Paris. Plutôt que de lever le voile sur une école, Le concours nous offre la radiographie d’un cancer. (Jean-Marc Limoges)




THE DREAMED ONES

Ruth Beckermann  |  Autriche  |  2016  |  89 minutes  |  Hors limites
 
Ingeborg Bachmann rencontre Paul Celan à Vienne en 1948, alors qu’elle n’est qu’étudiante de philosophie et lui déjà poète reconnu. Elle a 21 ans et lui 27. Jusqu’à leurs dernières lettres, écrites à la fin des années 60 avant que Celan ne soit retrouvé mort dans la Seine et que Bachmann ne succombe à l’incendie démarré par une cigarette mal éteinte dans son appartement, les deux entretiendront une correspondance marquée par la distance, une affection et un respect mutuels, traversant les débuts d’une poétesse et écrivaine de la détresse sublimée et les hauts de la carrière de Celan, qu’on connaît heureusement à la hauteur de son talent. Justement, ce que The Dreamed Ones donne le mieux à voir, c’est la force intégrale de ces textes, lus par deux comédiens qui leur ressemblent vaguement et qui rendent l’émotion de leur écriture sans pour autant la jouer, la « performer ». Habitant tous les deux un espace qui verse dans l’onirisme par son épure, les deux comédiens croisent l’éloquence des lettres avec leur propre relation qui évolue au fil de la récitation, dans un dispositif ingénieux, qui sait revenir vers la réalité du studio et qui met judicieusement le doigt sur les thèmes communs qui traversent l’écriture des deux auteurs et celle de Bachmann en particulier. Par ce style qui sait détacher du corps ses organes qui ressentent et qui réfléchissent pour mieux travailler les sentiments dans la tempête de leur naissance, la prose de Bachmann crée constamment des doubles miroitants pour ses interlocuteurs imaginaires et réels, des constructions de l’esprit qui reviendraient en fantôme à la surface de la vie. The Dreamed Ones, à l’image de ces textes, nous montre alors Bachmann rêver d’une relation qui n’aura jamais vraiment lieu avec Celan, tout comme les comédiens devant nous sont en train de rêver leur propre relation qui n’a pas lieu devant la caméra de Ruth Beckermann mais qui se passe tout de même, quelque part au-dessus de leur tête et du film, d’abord par la seule force de ces lettres dites, ensuite par cette proximité physique qui va grandissant. Si, pour paraphraser Bachmann, la vie est plus belle lorsqu’on est au bord de perdre la tête, le film de Beckermann tente justement de retrouver cet esprit en quête de limites et de seuils à ne pas franchir, en laissant à l’écriture et à une mise en scène attentionnée, complètement focalisée sur les visages et leurs grimaces subtiles, le soin de nous montrer jusqu’où cette relation est allée, au point de clore le film sur la « dernière » lettre de Bachmann à Celan, cachée dans Malina, son ultime et seul roman complété, écrit dans le deuil de son amant épistolaire. (Mathieu Li-Goyette)
 
 

 
SWAGGER
Olivier Babinet  |  2016  |  France  |  83 minutes  |  Présentations spéciales
 
Une caméra flotte au-dessus d’une banlieue parisienne, la nuit, conférant une certaine poésie aux miteux HLM qu’elle englobe tendrement, et pénètre avec discrétion, dans la chambre d’un jeune noir, appliqué à coudre ses vêtements. De douces voix d’enfants se déposent sporadiquement sur les claviers, célestes et cristallins qui hantent la bande-son, afin de confier leur quotidien, dans une ambiance calme et paisible qui sera vite déchirée par les sirènes de police et les cris de terreur que l’on entendra au loin. Coupe. Intérieur. Jour. Nous sommes au collège Claude-Debussy, situé à Aulnay-sous-Bois, en banlieue parisienne. Des élèves de toute origine déclinent, dans des accents variés, leurs abracadabrants noms à l’écran, singulièrement cadrés dans des pièces aux diagonales dynamiques, baignées d’une lumière franche, enjouées d’éclatantes couleurs. Oubliez les bleds glauques et grisâtres, les milieux violents et malfamés, les jeunes sans vocabulaire et sans espoir. Loin du misérabilisme auquel on nous habitue, Swagger vous réconciliera avec la vie en vous présentant sa galerie de sympathiques fanfarons. Ils viennent du Bénin, de la Côte d’Ivoire, du Sénégal, de l’Inde… Leurs parents (quand ils en ont) — et qui sont poliment exclus du reportage — sont illettrés ou allophones. Et ces jeunes ne veulent surtout pas leur ressembler. Ils sont arrivés en France en bas âge et ils avouent candidement — pour notre plus grande stupéfaction — n’avoir peu ou prou jamais rencontré de Français « de souche ». Ils confient tour à tour, calmement, paisiblement, souriant même, leurs rêves et leurs passions. Ils veulent devenir architecte, chirurgien, styliste, musicien. Ils sont timides, timorés, discrets, espiègles, superbes, studieux, sérieux, consciencieux, attachants. Ils vous tiennent des discours intelligents et étonnamment mûris sur l’école, l’avenir, la guerre, le racisme, la religion, la famille, la drogue, l’amour, l’apparat, les produits de consommation, propos qui auraient de quoi rendre honteuse la gent politique (… si seulement elle les écoutait). Et puisque nous sommes toujours les étrangers de quelqu’un, ils parleront aussi contre les Roms, « paresseux et voleurs », même s’ils « ne faut pas généraliser ». Le montage réussit à créer une unité fusionnelle entre tous ces élèves, raccordant aux propos de celui qui s’ouvre, seul dans son lieu, les visages amusés, songeurs ou tristounets de ses condisciples, pourtant ailleurs, donnant ainsi l’impression que chaque confession est écoutée dans le silence le plus respectueux. Au-delà de leurs origines, de leurs religions, de leurs couleurs, de leurs accents, les jeunes de cette nouvelle génération demeurent néanmoins unis. Devant l’image de ce jeune indien vêtu d’un costard occidental piochant fougueusement sur son drum dans une église catholique complètement vide, on pourra esquisser un sourire en pensant au terrible et angoissant « choc des cultures » qu’on s’évertue à nous agiter. (Jean-Marc Limoges)


PRÉSENTATION
OUVERTURE : FUOCCOAMARE : PAR-DELÀ LAMPEDUSA
JOUR 1
(David Lynch: The Art of Life, Ta'ang)

JOUR 2
(Angry Inuk, Hier à Nyassan, Kate Plays Christine, Il Solengo)

JOUR 3
(Aim for the Roses, Fuocoammare : par-delà Lampedusa,
Dark Night, S.E.N.S., We Can't Make the Same Mistake Twice)
JOUR 4
(The Botanist, Brothers in the Night,
Manuel de libération, Territoire perdu)

JOUR 5
(Austerlitz, Combat au bout de la nuit, He Who Eats Children
Quebec My Country Mon Pays, Les tourmentes)

JOUR 6
(Brothers in the Night, Gatekeeper, The Great Theater,
Long Story Short, Speaking is Difficult, Uzu,)

JOUR 7
(A Train Arrives at the Station, Andrew Keegan déménage,
Animals Under Aneasthesia, Dialogue(s), Gulistan, terre de roses,
Isabella Morra, Manuel de libération, Non-contractual)

JOUR 8
(Calabria, Le goût d'un pays)

JOUR 9
(Le concours, The Dreamed Ones, Swagger)

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Article publié le 21 novembre 2016.
 

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