WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
L’équipe Infolettre   |

Berlinale + WdK 2024 : Partie 10

Par Alexandre Fontaine Rousseau, Sylvain Lavallée, Mathieu Li-Goyette, Laurence Perron et Olivier Thibodeau

1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 9 | 10 Palmarès


prod. sixpackfilm


prod. Primeira Idade


prod. Clara Winter / Miiel Ferráez / Megan Marsh

PISTOLERAS
Natalia del Mar Kašik  |  Autriche  |  2023  |  2 minutes

+

NOCTURNE FOR A FOREST
Catarina Vasconcelos  |  Portugal  |  2023  |  16 minutes

+

WIKIRIDERS
Clara Winter, Miiel Ferráez et Megan Marsh  |  Mexique / Allemagne  |  2024  |  60 minutes

Programme « Hard, Fast and Beautiful »  |  Woche der Kritik

Le programme « Hard, Fast and Beautiful », dont l’intitulé réfère au film éponyme d’Ida Lupino, s’intéresse aux transgressions des genres cinématographiques, le western en particulier, et aux cinéastes rebelles qui font un pied de nez au cinéma narratif. Le premier titre de la sélection est une autre merveille de l’astucieuse Natalia del Mar Kašik, dont le Horse Girl avait été présenté dans le programme « Imitation of Life ». Parodie féministe du western, celle-ci mise également sur la perversion de nos horizons d’attente, alors que les plans traditionnels de chapeaux Stetson, de regards d’acier et de doigts empressés sont suivis de plans de hanches dénudées dans des jambières de cuir. Là, où se trouvait autrefois le pistolet, il n’y a que de la chair. C’est plus amusant que le métal meurtrier, la chair. Mais ce n’est pas la seule transgression qu’effectuera ici la réalisatrice, qui par d’habiles jeux de miroirs crée une sorte de duel solitaire entre l’héroïne et son double. Or, ces artifices scopiques ne s’arrêtent pas là, nous forçant sans cesse à interroger ce qui s’offre à notre regard dans une perspective de déconstruction qui s’étend à toute l’histoire du cinéma.

Le court métrage de Catarina Vasconcelos, que j’avais déjà commenté lors de ma couverture des RIDM, s’attaque pour sa part au film de procès, qu’il rend dans une symphonie de feuilles parlantes, questionnant la peintre Josefa de Óbidos quant aux fonctions de sa toile de 1664, The Holy Family, œuvre qualifiée de pornographique, réservée à l’usage des moines carmélites d’un monastère dont le pape Grégoire XV aurait interdit l’entrée aux femmes. Il s’agit surtout ici d’une manière de réhabiliter le regard des femmes sur les chasses gardées masculines et, en cela, l’œuvre constitue une autre métaphore parfaite pour décrire le programme, qui réunit les perspectives uniques de quatre femmes sur des genres machos.

Wikiriders est quelque chose d’entièrement différent. Ce n’est ni l’habile renversement conceptuel de Pistoleras, ni l’élégante méditation révisionniste de Nocturne for a Forest. C’est la façon de faire du cinéma « politiquement » en 2024, dans une sorte de bouillie postmoderne, une Nouvelle vague de slackers qui auraient troqué les grands penseurs gauchistes pour les pages Wikipédia. C’est un western où l’on « shoote » des pigeons d’argile avec sa caméra, où c’est l’objectif qui devient le canon fumant d’une jeunesse désabusée, avide d’épancher à l’écran ses réflexions confuses à propos des racines du colonialisme américain.

Mettant en vedette les trois cinéastes Winter (une Allemande), Ferráez (un Mexicain) et Marsh (une Britannique), dont les voix sont doublées ostensiblement à la manière du western spaghetti, le film se déploie comme un road movie documentaire à la découverte des traces du colonialisme laissées dans les paysages étatsuniens appartenant autrefois au Mexique, et à l’influence persistante des actions menées par la famille de propriétaires terriens Flussmartin. On visite le Museum of Law Enforcement, la ville de Waco, les bars, les piscines de motel et les ponts d’où l’on lance des tortillas en discutant sur un ton monotone au gré d’une trame narrative bordélique, tissée d’une douzaine de chapitres vaguement thématiques.

La mise en scène du film déborde d’une imagination punk qui cadre bien avec le caractère râpeux des images, exhibant moult fioritures criardes (surtitres encombrants ou séquences animées hystériques), de sorte que l’imaginaire traumatique de la souillure capitaliste côtoie sans cesse le ridicule (l’analyse d’émoji, par exemple, ou l’hommage simultané à David Bowie et Alan Rickman, morts en 2016, et incarnés ici par un monstrueux portrait hybride). Certaines idées, d’apparence saugrenue, comme celle de consulter la page Wikipédia de la famille Flussmartin et de retracer l’historique des modifications jusqu’à l’un de ses plus récents descendants, s’avèrent pourtant étrangement pertinentes — après tout, les traces ne sont pas que physiques aujourd’hui, elles sont numériques également. Et si la posture désinvolte des trois cinéastes agace parfois, évoquant le cliché de l’intellectuel oisif et nombriliste, celle-ci n’est pas immune aux critiques formulées par le trio. D’ailleurs, le propos politique n’est jamais aussi intéressant ici que l’acte de déconstruction politique de la narration historique, emblématisée par la réappropriation d’un genre traditionnellement ancré dans les mythes colonialistes. « The process is the critique », dira même l’une des autrices, à l’occasion d’un de leurs nombreux apartés, dont il fallait bien retenir au moins une perle de sagesse. (Olivier Thibodeau)

 


prod. Productions l’Unite Centrale

COMME LE FEU
Philippe Lesage | Québec / France | 2024 | 161 minutes | Generation

Le nouveau film de Philippe Lesage démontre une maîtrise certaine de la mise en scène et de la photographie (celle de Balthazar Lab, un nom à retenir), présentant un drame de chalet à huit personnages (et bientôt dix) avec un sens chorégraphique du dialogue et de la camaraderie qui impressionne tant le cinéaste réussit à mêler la froideur et la nostalgie, la vexation et la réconciliation. Ses scènes de souper notamment — les meilleures du film — forment une série de classes de maître en matière d’écriture du malaise et du conflit, travaillant à partir de passés lourds mais joyeusement dépliés, parvenant même à rendre crédible cette histoire de cinéaste français oscarisé installé dans le Grand Nord québécois (filmé avec un talent rarement vu pour le faire).

Perdu dans un endroit auquel on n’accède qu’en hydravion, Blake (génial Arieh Worthalter) en impose à tout le monde. En sorte d’homme des bois parfaitement adapté, son côté franchouillard rend plausible sa posture forcée de Rambo boréal, sachant appeler l’orignal et affronter les rapides, toujours prêt à décocher une flèche précise de son arc silencieux. Face à lui, un vieil ami bobo qu’il n’a pas revu depuis trois ans, son ancien scénariste, Albert (aussi génial Paul Ahmarani), venu lui rendre visite avec ses deux enfants Aliocha (Aurélia Arandi-Longpré) et Max (Antoine Marchand-Gagnon), lui-même accompagné de son meilleur copain Jeff (Noah Parker), fan fini de la filmographie du réalisateur. Ce dernier lui rendra bien la pareille, lui prêtant le scénario annoté de son film le plus célèbre, le prenant sous son aile pendant le séjour, jusqu’à lui coller le sobriquet de « Spielberg » lorsqu’il l’interpelle. Autour d’eux des personnages plus ou moins invisibles car vivants dans l’ombre du cinéaste, comme la monteuse Millie (Sophie Desmarais en mode force tranquille), puis éventuellement deux amis français émanant du cinéma eux aussi, joués par Laurent Lucas et Irène Jacob (rien de moins). Ça fait beaucoup de monde à table comme on dit, mais puisque le film a le culot de durer 2 heures 40 minutes et d’aborder des sujets compliqués, on pouvait imaginer, au moins lors des deux premiers tiers, que tout était justifié et que Philippe Lesage était en train de nous livrer le vrai grand film attendu.

Comme c’est souvent le cas chez lui, une sorte de perversion sexuelle se glisse dans le récit pour le faire dérailler vers un passage forcé à l’âge adulte, les trois adolescents/jeunes adultes se déployant dans un triangle de convoitise tendu autour d’Aliocha, dont le jeune Jeff s’amourache et pour qui le vieux Blake s’excite. Sans divulgâcher l’intrigue, disons que la pauvre protagoniste est réduite à l’état de proie, briguée par un jeune qui s’y prend mal (Parker est excellent à rendre la maladresse de son personnage) mais aussi par l’artiste alpha (Worthalter est à glacer le sang dans sa placidité imprévisible). Le problème est alors moins dans le dispositif du film que dans sa mécanique scénaristique et surtout sa conclusion, coupant absolument toute l’agentivité du personnage féminin face à un récit qui la domine afin de l’asservir à une volonté narrative qu’on sent toute puissante. Qui plus est, la rivalité violente qui s’installe entre le personnage-cinéaste et son protégé finit par redoubler narrativement les abus subis par la protagoniste : plutôt que d’être une victime, une femme ne pouvant plus trouver un espace de répit dans un lieu isolé, la compétitivité des deux mâles transforme dangereusement l’ensemble en histoire de jalousie masculine, éclipsant au passage son récit d’abus de pouvoir. Pour être clair, il n’est pas question ici de reprocher au film son manque d’exemplarité en matière de gestion des relations abusives et misogynes (faire des films sur des monstres d’humanité demeure un projet important), mais plutôt de déplorer que ses virages radicaux et son onirisme catapulté ne puissent aboutir à autre chose qu’au proverbial « sauf une fois au chalet » qui nous est servi maladroitement comme résolution durant le dernier acte.

Car les films qui se détournent du chemin tracé sont à défendre — une conclusion où « justice » aurait été rendue, comme face au suicide martyrisant des Démons (2015), n’aurait peut-être pas mené vers une meilleure issue —, mais encore faut-il que leurs détours puissent dégager des perspectives intéressantes, fussent-elles cinématographiques, discursives ou symboliques, jouant sur nos attentes ou sur la formule dans laquelle ils s’inscrivent. Or Comme le feu ne déconstruit rien sinon ses propres réussites, ne sachant guère comment ni quand se terminer, au risque d’induire de la sympathie inutile pour un personnage charismatique mais ordurier, tout en démontrant un manque d’engagement narratif qui n’est pas plus subversif qu’il est étonnant, non seulement au regard du cinéma de Lesage, mais de tous les discours qui permettent encore à l’art d’excuser les abus. (Mathieu Li-Goyette)

 


prod. Indyca

IL CASSETTO SEGRETO
Costanza Quatriglio  |  Italie / Suisse  |  2024  |  132 minutes  |  Forum

Giuseppe, le père de la cinéaste Costanza Quatriglio, était journaliste. À sa mort, sa fille décide d’ouvrir le « tiroir secret » en l’honneur duquel est baptisé ce documentaire : photographies, films amateurs, reportages, livres achetés au fil des voyages, notes éparses. Explorant les archives foisonnantes laissées en guise d’héritage par cet infatigable globe-trotter, la réalisatrice italienne se plonge dans une histoire familiale qui est en même temps celle d’un certain vingtième siècle. Elle découvre son père à Berlin, en 1963, ou faisant le trajet de Moscou à Budapest avec des airs d’espion. Elle le retrouve sur le plateau de La Terra Trema de Luchino Visconti en 1948, puis à Gibellina tout juste après le séisme ayant détruit la ville en 1968. Éventuellement, elle surgit à son tour parmi ces souvenirs. Mais, malgré tout, le mystère subsiste : qui était vraiment cet homme dont elle tente de dresser le portrait et qui a consacré son existence à parcourir le monde pour l’embrasser pleinement ?

Cherchant à redonner vie à ces fragments, à ces souvenirs posés en strates les uns sur les autres, Quatriglio s’adonne à une forme d’archéologie intime forcément émouvante. Il cassetto segreto est, bien entendu, un beau film. On ne saurait douter de la sincérité de la cinéaste ou de l’universelle résonance du sujet qu’elle choisit ici d’aborder. On aurait cependant apprécié un peu plus de rigueur, sur le plan formel. D’abord intrigante, la structure préconisée par la cinéaste manque malheureusement de cohérence. Cette intuition de débuter le récit par l’épilogue et de le clore sur un prologue, par exemple, n’ajoute finalement pas grand-chose à l’ensemble. Il y a des idées, comme ça, qui se perdent dans un montage que l’on sent éparpillé, inutilement étiré par-delà la marque des deux heures. Comme si Costanza Quatriglio, trop investie personnellement dans le projet, n’osait rien couper de peur de manquer de respect envers son père. Son film possède, en ce sens, les défauts de sa plus grande qualité : il est fondamentalement humain, au point d’en être parfois imparfait. (Alexandre Fontaine Rousseau)

 


prod. Mischief Films / Medea Film Factory

HENRY FONDA FOR PRESIDENT
Alexander Horwath | Autriche / Allemagne | 2024 | 184 minutes | Forum

Dans un épisode de la télésérie Maude, la protagoniste éponyme organise une campagne présidentielle en présentant comme candidat Henry Fonda. Le cinéma l’a mis en scène comme le meilleur des Américains, l’homme du peuple simple et humble, empli de doutes mais toujours vertueux. Il ferait un excellent président  d’ailleurs, n’a-t-il pas déjà joué Young Mr. Lincoln (1939) chez John Ford ? Alexander Horwath construit son film autour de cette idée, pour brosser un portrait de l’acteur et en même temps l’utiliser comme prétexte pour parler des États-Unis, d’hier à aujourd’hui. À Fonda et aux idéaux américains qu’il représente, une utopie qui ne peut exister qu’à Hollywood, le cinéaste oppose Ronald Reagan, un piètre acteur dit-on, et une triste alternative à la présidence. Trois heures d’extraits de films et d’entrevues en voix off, avec en parallèle des images de l’Amérique contemporaine (Tombstone devenu un spectacle pour touristes, les habitations des travailleur·se·s de Grapes of Wrath [1940], la maison d’enfance de l’acteur, etc.), on peut dire que Henry Fonda For President ne manque pas d’ambition.

Mais cela ne joue pas en sa faveur, tant le film est empli de digressions qui ne semblent pas toujours pertinentes, à commencer par le travail généalogique remontant jusqu’au 17ème siècle pour parler de l’immigration des ancêtres de Fonda et sa part minime d’héritage mohawk (sur laquelle on insiste un peu trop). Surtout, après une introduction émouvante où le documentariste nous confie comment, enfant, il a rencontré la star pour la première fois, l’étude devient assez froide, certes affectueuse, mais un peu trop théorique. Cette distance est aussi tout européenne, le documentariste tenant à marquer son statut d’étranger par rapport à son sujet, notamment par sa narration, dictée en allemand pour commenter les œuvres en anglais : si cela participe à la rhétorique, en même temps la fascination qu’exerce un tel acteur s’en voit amenuisée. En outre, la vision des États-Unis ne dépasse guère les clichés habituels sur les artifices du rêve américain et les analyses d’extraits sont parfois brillantes, mais plus souvent superficielles. Elles sont surtout décevantes de la part d’un ancien critique de cinéma, qui fut le directeur de la Viennale dans les années 1990 et qui dirige présentement la Cinémathèque autrichienne (on reconnaît toutefois dans un tel projet, son premier film, un beau travail de préservation et de réflexion sur le passé).

Enfin, il faut dire que pour moi qui vient des star studies, et qui considère que cela va de soi qu’une star hollywoodienne est un auteur qui représente l’Amérique dans son sens le plus noble, il y a une part de Henry Fonda For President qui apparaît trop frileuse, trop peu investie dans la spécificité des performances, dans ce qui lie un rôle à l’autre, mais qui, à un·e autre spectateur·rice, apparaitra peut-être plus audacieuse et originale. Et même si le portrait de Fonda manque un peu de substance, Horwath exploite bien la tension entre la modestie de l’acteur, qui ne se reconnaît nullement dans ses personnages, qui refuse, dans la réalité comme dans Maude, de représenter tous·tes les Américain·e·s, pour éclairer les interprétations par la vie personnelle sans bêtement les confondre. Le film nous offre ainsi le plaisir de traverser la meilleure période du cinéma hollywoodien en compagnie d’une de ses plus grandes stars (et des cinéastes avec qui elle a collaboré), de revoir des scènes chéries et d’en découvrir d’autres qui attirent notre curiosité. Et même si le propos aurait gagné à être à la fois plus développé et plus concis, nous ressortons de la projection avec l’envie de nous (re)plonger dans la filmographie de Fonda, et avec un amour renouvelé envers lui. (Sylvain Lavallée) 

 



prod. Stenar Projects

RESONANCE SPIRAL
Filipa César, Marinho de Pina  |  Portugal / Guinée-Bissau / Allemagne  |  2024  |  92 minutes  |  Forum

Résonance Spiral documente la construction d’une médiathèque par les Balantes de Malafo, en Guinée-Bissau. Anciennement colonisé par le Portugal jusqu’en 1974 (année où il acquiert son indépendance par la lutte), le pays ne possède toujours pas de lieu institutionnel où conserver et faire circuler l’histoire de sa libération. Lorsque chacun·e se met à l’œuvre pour mesurer les distances, tailler les pierres et empiler les briques, de Pina et César sont là pour filmer (respectivement depuis 2011 et 2017), et iels seront présent·e·s une fois la construction terminée pour assister aux activités culturelles qui y prennent place (2023). Au centre du travail de médiation opéré par le lieu se trouve la question des rapports de genre et de leur colonialité. Les discours (dont un long enregistrement d’Amílcar Cabral) sont certes parfois teintés d’une forme d’idéalisation essentialisée, mais le propos tenu par les deux réalisateur·ice·s dans l’intermission (à la photographie magnifique et fangeuse) qui sectionne en deux le documentaire ne manque jamais de prendre ces paroles comme elles viennent tout en les relayant par de nouvelles réflexions.

Ponctuellement, un cercle sépia troue l’image filmée par les deux documentaristes. Comme un œil magique, il laisse entrevoir des enregistrements d’archive. S’ils semblent d’abord sans apparente connexion avec le présent figurant derrière, on remarque vite l’omniprésence des mains au travail ; ainsi que cette longue séquence où la caméra tourne sur elle-même pour filmer le cercle de chanteureus·e·s qui applaudissent en rythme, et sur laquelle on surimpose l’archive filmique d’une femme récoltant les grains dans la rizière. Alors que ces cercles concentriques (celui formé par le groupe et celui de l’image centrale) créent une spirale, on voit apparaître simultanément une continuité formelle et une démarcation entre les usages, les potentialités : ces mains battent en chœur pour honorer celles des ancêtres, qui plongeaient dans l’eau boueuse sous l’œil du contremaître. Elles sont une revanche et une célébration. La spirale de résonance émerge — c’est celle de l’écho provoqué par les voix, mais aussi entre les pratiques du geste (asservi ou libéré).

Dans Resonance Spiral, on crée donc un film comme on bâtit la médiathèque ; avec les mains, collectivement, sans jamais faire l’impasse sur l’historicité des savoir-faire mis à contribution. Avec sa végétation dense et sa pensée intriquée, le documentaire témoigne de ce que Dénètem Touam Bona appelle la sagesse des lianes, cette plante qui en créole « désigne ce qui permet de faire cercle, de faire corps ensemble, mais aussi d’encercler les dominants par une fine trame de conjurations continuelles. » (Laurence Perron)

 


prod. Pantera Film

THE INVISIBLE ZOO
Romuald Karmakar  |  Allemagne  |  2024  |  178 minutes  |  Forum

La différence entre le documentaire d’observation et le reportage semble tenir dans la confiance que le premier démontre envers son public, la certitude qu’il fait face à un auditoire doté d’intelligence et de discernement. À l’inverse, le format télévisuel où l’on alterne entre des prises de vue « naturalistes » et des « têtes parlantes » semble plus surannée que jamais, et particulièrement incapable d’explorer les zones d’ombre du réel et de l’éthique. Dans The Invisible Zoo, qui porte sur notre rapport contradictoire à la préservation de la faune, on sollicite moins l’audience à prendre parti dans le débat entourant les zoos qu’à simplement assister au fonctionnement de l’un d’eux. En l’occurrence celui de Zurich, plus grande attraction touristique de la Suisse et l’une des plus importantes institutions en son genre au monde.

On nous demande de regarder et en regardant de comprendre l’ensemble des interventions et des décisions qu’implique la bonne maintenance d’un zoo. La préparation des repas, les soins portés aux animaux, l’encadrement de leur captivité dans une scénographie artificielle assurée par une équipe dévouée, les opérations que capte Romuald Karmakar se produisent pile au moment où l’infrastructure est complètement rénovée après des décennies d’usure, ce qui permet entre autres de voir de quoi sont faits les faux baobabs et de saisir comment les architectes paysagistes travaillent à reproduire des habitats naturels. À observer patiemment l’ensemble des efforts mis en œuvre pour veiller au bien-être des animaux et du public, on réalise que le propos d’Invisible Zoo porte sur la mise en scène de la nature à travers tout ce qui permet à notre machinisme institutionnel de traduire en « expérience » les tenants et aboutissants de la biodiversité — expérience qui n’empêche guère d’avoir l’impression d’assister durant près de trois heures à une succession simple d’adorables portraits de koalas et de gorilles, une occasion tout aussi raisonnable de méditer devant ces images et de les percevoir comme un moment de sensibilisation zoologique valable en soi.

Mais c’est dans son auscultation méthodologique que le film brille, en particulier dans une longue séquence où un zèbre est abattu parce qu’il est le dernier représentant de son troupeau, sorte de cul-de-sac de sa « préservation », avant d’être dépecé, redistribué (« le Département de l’éducation voudrait un bout de peau », dit un employé) et finalement livré en pâture dans l’enclos des lions sous le regard curieux mais horrifié d’une bande d’enfants. « Le cercle de la vie », dit un écriteau non loin de la grande vitrine, nous rappelant à quel point la conscientisation environnementale passe par une politique du visible (à savoir que nous peinons à nous soucier de ce qui reste loin de notre regard) et dans quelle mesure cette éducation demeure une forme d’exploitation du vivant qui apparaît ici, à force d’observation, sous sa forme la plus paradoxale et insolvable. (Mathieu Li-Goyette)




Small Things Like These

PARTIE 1
(All the Long Nights, Crossing
Cuckoo, Reas, Turn in the Wound)

PARTIE 2
(The Adamant Girl, Baldiga 
– Unlocked Hearts,
The Box Man, The Cats of Gokogu Shrine,
Pendant ce temps sur Terre)

The Fable

PARTIE 3
(Une famille, A Different Man,
Nicht Nichts ohne Dich,
Mother, Who Will Weave Now?,
An Evening Song (For Three Voices),
Sleep With Your Eyes Open)

PARTIE 4
(Hors du temps, Intercepted,
Averroès & Rosa Parks,
Above the Dust, Dark Spring)

PARTIE 5
(L'Empire, Love Lies Bleeding,
Architecton, Chime, A Traveler’s Needs)

PARTIE 6
(No Other Land, DIRECT ACTION, Abiding Nowhere,
Slow Shift, Camping du lac, Horse Girl, Tobby)

PARTIE 7
(I'm Not Everything I Want to Be,
I Would Like to Rage, Dicks: The Musical,
The Devil's Bath, Spaceman,
Black Tea)

PARTIE 8
(Made in England, The Germans and Their Men,
Jesus - Der Film, Engel aus Eisen,
Kiehlosen's Daughters)

PARTIE 9
(Warnes, Hidden City, Matt and Mara,
The Visitor, Rétrospective Maria Lassnig,
Pepe, Between the Temples)

PARTIE 10
(Pistoleras, Nocturne for a Forest, Wikiriders
Comme le feu, Il cassetto segretto,
Henry Fonda for President, Résonance spirale,
The Invisible Zoo)

Palmarès

Envoyer par courriel  envoyer par courriel  imprimer cette critique  imprimer 
Article publié le 27 février 2024.
 

Festivals


>> retour à l'index