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Festival Fantasia 2020 : Le pronostic

Par Olivier Thibodeau


 

Fantasia est à nos portes ! Aux portes de nos domiciles respectifs ceci dit, dans un format presque 100% virtuel (exception faite du montage annuel de DJ XL5, présenté au Musée ce dimanche) où les échos de la foule en liesse ne seront plus que des souvenirs évanescents. C’est un signe du temps, ce temps de paranoïa sécuritaire enhardie par la prolifération du coronavirus. Le Festival du film sur l’art et Vues d’Afrique l’avaient déjà fait en mars et en avril, le Festival du Nouveau Cinéma le fera plus tard en octobre : les festivals de films désertent désormais les salles physiques et envahissent nos écrans personnels, question de limiter la propagation virale, mais aussi, paradoxalement, de maximiser l'espace de visionnage (amputé physiquement du trois-quarts par les règles de santé publique). C’est un signe du temps : le sacrifice (obligé) du caractère événementiel que revêtent les grand-messes cinéphiles au profit d’un mode de consommation purement individuel emblématisé par les poncifs de la GAFAM, pour qui la COVID-19 est devenue une sorte d’alliée inespérée.

Le cinéma des Lumière, pensé comme événement public, devient alors celui d’Edison et de son Kinetoscope, accomplissant par la bande la prophétie de Pierre Falardeau, qui en 1979, déclarait déjà que la maison banlieusarde était devenue « le centre de l’Univers ». Il s’agit certes d’une mauvaise nouvelle pour les spectateurs du festival, habitués à l’appréciation exhibitionniste des films et aux miaulements de masse, mais pour les programmateurs également qui, six mois durant, ont sillonné le monde à la recherche de perles rien que pour voir leur sélection amputée pour des considérations à sens unique. Leur travail cette année n’en est pas moins inspirant puisqu’ils nous proposent, outre quelques choix parfois paresseux réunis sous la bannière « Classiques de Fantasia », un programme généralement attrayant, parfaitement ad hoc pour répondre aux demandes des amateurs de genre Montréalais (et Canadiens, car pour la première fois le festival sera accessible d’un océan à l’autre).

Deux types de « projections » seront proposées durant le festival : les films live, disponibles seulement à un auditoire limité lors de plages horaires spécifiques (le nombre de « places » offertes correspondant grosso modo aux nombres de places contenues dans les salles physiques de l'université Concordia) et les films sur demande, disponibles à tous les spectateurs durant toute la durée du festival. Les accès de visionnage seront fournis à un prix fixe de 8$, sans rabais de volume. Et pour pallier l’absence physique des festivaliers, agglutinés en file devant l’édifice Hall ou devant l’entrée de la bibliothèque Webster, ceux-ci sont invités à se rendre sur le nouveau serveur Discord du festival pour discuter et réseauter avec l’équipe, mais aussi avec les autres cinéphiles avides de recommandations.

En plus des films, le festival propose également une série de panels, de discussions et d’événements spéciaux tenus sur Zoom et proposés gratuitement au public mondial, incluant une classe de maître dirigée par le légendaire réalisateur d’horreur américain John Carpenter, sacré cette année du prix de carrière honorifique. Le reste de l’offre est tout aussi intéressante, abordant une série hallucinante de sujets variés et intringuants (afrofuturisme, survie du journalisme imprimé, puissance politique du cinéma d’horreur, regard des femmes sur la sexualité à l’écran, restauration de bandes sonores, cinéma et pandémie…). La liste est sans fin, et semble vouloir plaire à tous les goûts, surtout au vu de la liste interminable d’intervenants célèbres réunis pour l’occasion : Carpenter, bien sûr, mais aussi Simon Barrett, Mike Flanagan, Harry Manfredini, Catherine Brunet, Jarett Mann, Mattie Do, Jennifer Lynch et Elza Kephart (pour la présentation de Films Fatales sur Le cinéma de genre en tant que commentaire politique), John McNaughton et William Lustig (pour les célébrations de la fête de Gary Sherman), ainsi que Barbara Crampton, Jeffrey Combs, Brian Yuzna, Carolyn Purdy-Gordon et Bruce Abbott pour « l’hommage du Miskatonic » à Stuart Gordon. Même les stars du monde académique se sont alignées pour nous éclairer : Peter Rist, Donato Totaro, Kier-La Janisse, Mikel Koven, Carolyn Mauricette… Ne manquez surtout pas d’aller consulter l’offre.

 


:: Special Actors (Shin'ichirô Ueda, 2019) [Lamp/Shochiku]


LES FILMS

Parmi les gros titres à l’affiche cette année, notons d’abord le film d’ouverture, The Reckoning (2020), nouveau-né du Britannique Neil Marshall qui, on l’espère, saura se faire pardonner l’abyssal Hellboy (2019) de l’an passé, mais surtout le nouveau Johnnie To, qui amalgame avec Chasing Dream (2019) ses lubies pour le cinéma d’action et la comédie romantique. John Hyams, responsable de la résurrection récente de la franchise Universal Soldier (1992-2012), récidive également avec le thriller de traque forestière Alone (2020), et les amateurs de Troma sont servis avec le nouveau Lloyd Kaufman, grosse farce scatologique intitulée #ShakespeareShitstorm (2020), qui ressemble à un Sharknado (2013) avec des baleines diarrhéiques. Stéphan Beaudoin, réalisateur du Rang du lion (2016) présente finalement son drame d’art martiaux Yankee (2020) que la rédaction attend avec impatience. Le Jumbo (2020) de Zoé Wittock est recommandé quant à lui pour la justesse de son récit initiatique, couplé avec le caractère fantasmagorique de ses scènes de sexe inter-espèce. La grosse production allemande s’invite également sur nos écrans avec Free Country (2019), adaptation post-réunification du Marshland (2014) d’Alberto Rodriguez et Sleep (2020), thriller psychologique aux allures d’un bon Cure for Wellness (2016). La petite production allemande est aussi au rendez-vous avec Time of Moulting (2020), découverte majeure du IFFR 2020, qui s’inscrit parfaitement avec les autres petites productions innovatrices de la section Camera Lucida, notamment avec l’horreur et la science-fiction prolétariennes de Sanzaru (2020) et de Lapsis (2020) respectivement. Côté documentaire, c’est Morgana (2019) qui retient notre attention, décrit par l’activiste écosexologue Annie Sprinkle comme l’un des documentaires les plus inspirants qu’elle ait jamais vu, mais surtout You Can’t Kill David Arquette (2020), pressenti comme un document au potentiel romantique de la trempe de King of Kong (2007), Last Days Here (2011) ou Mistaken for Strangers (2013).

Le festival cette année propose une sélection internationale variée, en provenance de nombreux pays généralement sous-représentés dans l’arène cinéphilique mondiale : l’Afrique du Sud (avec Fried Barry [2017], délire de science-fiction psychédélique aux allures culte), la Belgique (avec le mystétieux Hunted [2020], Patrick [2019], un film de nudistes socio-réaliste à la de Felix van Groeningen, et Yummy [2019], gros blockbuster de zombies gore), l’Estonie (avec le séduisant film d’animation anti-PC The Old Man Movie [2019] et la science-fiction dystopique de Undergods [2020]), la Grèce (avec la chatoyante comédie fantastique Cosmic Candy [2019]), l’Inde (avec Kriya [2019], coproduit par Andy Starke de In Fabric [2018]), le Mexique (avec Perdida [2020] du réalisateur de We Are What We Are [2010]), les Pays-Bas (avec le film de vengeance anti-trolls The Columnist [2019]) et la Pologne (avec Marygoround [2020], dont l’excentricité polychrome participe au tour d’horizon déjanté qui caractérise l’Europe fantasienne). Il fait la part belle également au film d’horreur canadien émergent, avec pas moins de huit premières mondiales : 2011, Anything for Jackson, Bleed With Me, Come True (d’Anthony Scott Burns, auteur du soporifique Our House [2018]), The Curse of Audrey Earnshaw, For the Sake of Vicious, Slaxx (de Elza Kephart), et The Oak Room (qui propose un intrigant récit gigogne, gracieuseté de la décevante compagnie de production Black Fawn Films, génitrice de Neverlost [2010], Antisocial [2013], et The Drownsman [2014]). Les Fantastiques Week-ends du Cinéma québécois présenteront, quant à eux, leur chapelet habituel de courts-métrages d’ici (réunis dans quatre programmes), ainsi que six longs-métrages, incluant le documentaire hommage aux fans d’Evil Dead (1981), Hail to the Deadites (2020).

Comme à l’habitude, c’est pourtant le cinéma asiatique qui est à l’honneur, avec un très vaste choix de films japonais, notamment le somptueux opus cinéphilique Labyrinth of Cinema (2019) de Nobuhiko Ôbayashi, réalisateur du cultissime House (1977), mais aussi l’irrésistible Special Actors (2019) de Shinichirô Ueda (présenté ce soir seulement). Nos auteurs s’intéresseront également au film de bordel contemporain Life: Untitled (2019) de Kana Yamada, au travelogue québécois Sayo (2020), au plan-séquence martial de Crazy Samurai Musashi (2020) (77 minutes de combat ininterrompu pour un acteur surmené, Tak Sakaguchi), mais aussi aux pépites d’inspiration littéraire pourvues par les muses de No Longer Human (2019) et Tezuka’s Barbara (2019). La sélection japonaise s’étend aussi cette année à une poignée de « classiques » présentés au festival durant la dernière décennie, des films de costumade extravagants surtout (ex : Fly Me to Saitama [2019], Milocrorze [2011] et Hentai Kamen [2013]), parmi lesquels se glisse heureusement le charmant drame fantastique Air Doll (2009) du grand Kore-eda.

Le reste de la sélection asiatique inclut une série de thrillers coréens triés sur le volet (dont Bring Me Home (2019), qui a fait salle comble à Rotterdam plus tôt cette année), mais aussi l’excentrique comédie de sport My Punch-Drunk Boxer (2019) (sélectionné en février pour la Semaine de la Critique berlinoise). La section hongkongaise, éloignée des considérations sociopolitiques actuelles de l’ex-colonie britannique, mise quant à elle sur le divertissement pur, avec du cinéma d’action survitaminé qui inclut du nouveau et du vieux Johnnie To (Chasing Dream et le classique de 1998, A Hero Never Dies), mais aussi le « classique » de 2005 SPL: Kill Zone de Wilson Yip et le médiocre A Witness Out of the Blue (2019) de Fung Chih-Chiang. C’est Baby: The Secret Diary of a Mom to Be (2019) qui complète l’ensemble, s’inscrivant en parallèle des autres comédies romantiques asiatiques présentes au programme, plus notoirement le ballet hypocondriaque de I WeirDo (2020) et le musical japonais Wotakoi: Love is Hard for Otaku (2020) basé sur le manga éponyme.

La section Fantasia Rétro se penche finalement sur le cinéma d'horreur brésilien, et particulièrement le travail de José Mojica Marins, dont le At Midnight, I'll Take Your Soul (1964), The End of Man (1971) et The Strange World of Coffin Joe (1968) seront présentés sur demande, et auquel le réalisateur d'horreur brésilien Dennison Ramalho, collaborateur sur le scénario de Embodiment of Evil (2008), offrira un hommage lors d'une conférence virtuelle intitulée L'apprentissage du Mal (tenue le 2 septembre). The Day of the Beast (1995) d'Alex De la Iglesia, Laurin (1989) de Robert Sigl, No Way Home (1996) de Buddy Giovinazzo et Sting of Death (1966) de William Grefé parfont l'ensemble qui, on l'espère, ne nous inspirera pas trop de nostalgie pour le cinéma de genre de l'époque pré-streaming... 

Bon festival !

INTRO

PARTIE 1
(Feels Good Man, Lapsis, My Punch-Drunk Boxer, The Reckoning, Special Actors)

PARTIE 2
(Morgana, No Longer Human, PVT Chat, Slaxx, Sting of Death, A Witness Out of the Blue)

PARTIE 3
(The Five Rules of Success, Labyrinth of Cinema, The Mortuary Collection,
Patrick, Time of Moulting, Yankee)

PARTIE 4
(Alone, Bleed With Me, Hunted, Survival Skills, Unearth, You Cannot Kill David Arquette)

PARTIE 5
(2011, Chasing Dream, Climate of the Hunter, Cosmic Candy,
Jumbo, Shakespeare's Shitstorm)

Laurin

PARTIE 6
(Crazy Samurai Musashi, Genius Loci, The Old Man Movie,
The Prophet and the Space Aliens, Woman of the Photographs)

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Article publié le 19 août 2020.
 

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