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Rétrospective Jeux vidéo 2015 : 7-1

Par Louis Filiatrault


HER STORY

Sam Barlow  |  Royaume-Uni  |  PC, Mac
 
L'intérêt commence à même le titre. Qui est « elle », cette charismatique femme s'adressant au muet et perpétuel hors-champ, dans ce défilé désordonné de clips d'une autre époque ? Et bien sûr, quelle est son histoire ? Dressant le parallèle entre le moteur de recherche et la mémoire fragmentaire, Her Story de Sam Barlow s'enveloppe de mystère et invite à la quête de sens au milieu d'un fouillis apparent. L'interface économe, parfaitement évocatrice des sensations du lointain 1994, complémente le jeu et l'écriture, cultivant l'ambigüité par l'obsédante précision de leurs pistes et suggestions. À peine un jeu selon certains formalistes et tout ce qu'il y a de plus interactif selon d'autres lectures, le grand succès surprise de 2015 cache en son cœur un conte macabre aux ramifications insoupçonnées, ouvrant au passage la porte à une riche réflexion sur la vérité de l'image filmique et la formation de l'identité.
 
Site officiel  |  Disponible sur Steam
 


 
BLOODBORNE
From Software  |  Japon  |  PS4
 
Au tout premier regard, Bloodborne de From Software semble hériter toute sa substance du jeu d'action classique tel que défini à l'époque 8 bit. Ménagerie de créatures coriaces, tests d'habileté ardus en environnements traîtres ; tout y est, mais rien de bien plus ne semble s'y terrer. La récompense du joueur moindrement déterminé sera le dévoilement d'un exercice autrement plus rigoureux, à savoir une véritable anthologie des esthétiques d'horreur modernes, du gothique au cosmique, doublée d'une actualisation des angoisses continues de cette même tradition. Plus que la série Dark Souls, dont il tire ses fondations mécaniques, Bloodborne brosse un monde fantastique ultra défini, aux thèmes religieux non seulement identifiables mais en forte résonance avec l'histoire humaine, plus particulièrement en ce qui a trait aux scissions et abus de pouvoir entraînés par les soifs de contrôle du peuple et de réconfort face à la mortalité. Féroce et infiniment nuancée, l'action violente de Bloodborne fut sans égale en 2015, mais c'est sa fiction passionnante qui nous le gardera en mémoire.
 
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ELSE HEART.BREAK()
Erik Svedäng  |  Suède  |  PC, Mac
 
Une convocation peu alléchante. Une ville d'accueil nouvelle pour le jeune protagoniste et une absence de direction étonnamment totale. Et puis le temps informe devient routine, une rencontre en amène une autre toujours plus significative, jusqu'à ce que se révèle l'as dans le chapeau: un langage de programmation complet et entièrement fonctionnel, présenté au joueur dans toute son inscrutable complexité. Le voile éclate alors que les propriétés du moindre objet se font modifiables, l'interface laborieuse devenant seconde nature au même titre que les commandes et variables courantes. Porté par une conception visuelle mêlant polygones rétro et pixels bien en vue – gracieuseté de l'illustrateur d'Hotline Miamielse Heart.Break() d'Erik Svedäng érige un édifice aussi dense que taciturne pour y loger un récit familier mais remarquablement souple d'espionnage, d'attachements sincères et de révolte moyennement définie. Fruit de plusieurs années de travail, peu de jeux cette année auront aussi bien compensé l'effort requis pour en atteindre la moelle.
 
Site officiel  |  Disponible sur Steam
 


 
EVERYBODY'S GONE TO THE RAPTURE
The Chinese Room  |  Royaume-Uni  | PS4
 
La fin du monde n'est plus un sujet neuf, tout comme les modes d'interaction axés sur la survie et l'exploration d'un monde dévasté ne surprennent plus personne. Mais qu'en est-il de la fin de la communauté et du surplace de ce qui était, abordés sur un ton de calme parfait ? Quelle que soit la nature précise du mal shyamalanesque ayant mis fin à son univers, Everybody's Gone to the Rapture s'intéresse particulièrement à l'effritement des liens, aux gestes désespérés devant l'inéluctable et à la tristesse des tensions encore irrésolues au moment de clore la parenthèse. L'exploration libre active des saynètes animées en silhouette, inspirées du théâtre radiophonique, donnant une forme particulièrement vibrante à l'idée de mémoire des lieux. Presque inventeurs du « simulateur de marche » avec Dear Esther, The Chinese Room ont su accorder musique déchirante, acteurs d'exception et design d'espace particulièrement impressionnant pour cette récidive d'une force colossale.
 
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ROCKET LEAGUE
Psyonix  |  États-Unis  |  PC, PS4
 
Toutes les expériences d'écriture et les projets de design novateurs ne pourront faire oublier que le jeu vidéo peut aussi, à l'occasion, se contenter d'être un jeu, un concours d'habileté défini par ses règles... bref, une partie de plaisir. Collision explosive et assurément inattendue entre soccer et voitures téléguidées, Rocket League accomplit à ce titre un numéro d'équilibriste extraordinaire, à la fois divertissement immédiat et nouveau sport virtuel d'une profondeur insondable, produit fini techniquement haut de gamme et pourtant d'une simplicité enfantine. Arborant tout le charme du Nintendo classique sans le poids accumulé des marques et des attentes, le phénomène des indépendants Psyonix est un véritable classique en devenir, électrisant de seconde en seconde, dont les élites compétitives ont à peine commencé à déployer leurs ailes.

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THE BEGINNER'S GUIDE
Davey Wreden  |  États-Unis  |  PC, Mac, Linux
 
Sur la forme, The Beginner's Guide se déroule comme la visite soigneusement rythmée des profondeurs d'un esprit créatif, allouant des moments d'arrêt mais toujours à la merci d'un narrateur déterminé à rester aux commandes. Le concept se serait prêté à des formats plus exploratoires, mais enfiler aussi limpidement les escales à peine interactives était peut-être la seule manière de contenir avec succès une matière aussi débordante. Commentant lui-même l'odyssée dans un geste de rare transparence, Davey Wreden formule une invitation à la modestie, interroge la notion même d'interprétation, exposant les pièges de l'appropriation par l'analyse. Quelle qu'en soit la part fictive ou inspirée du réel, le vécu anxieux et la difficulté du geste artistique sont dépeints avec grande sensibilité, Wreden se montrant au fait du poids des attentes mais aussi des modalités particulières de l'expression vidéoludique. Tendre, tranchant, amèrement comique et ultimement déroutant, le tout en moins de deux heures, The Beginner's Guide est un nouvel énoncé mature et d'une formidable lucidité par un jeune auteur ayant déjà marqué son époque.

Site officiel Disponible sur Steam
 


 
SUNSET
Tale of Tales  |  Belgique  |  PC, Mac
 
Tale of Tales ont tout donné pour Sunset. Après le Petit Chaperon Rouge, Salomé d'Oscar Wilde et Duras dans l'espace, le couple d'artistes et leurs équipiers ont poursuivi leur propension aux prémisses jamais vues dans leur espace choisi. Le penchant pour le ton radical et les choix d'interface insolites est bien palpable, mais discrètement compromis pour offrir une expérience fluide et fonctionnelle, même polie, au diapason des tendances du jeu indépendant. Ils sont aussi, plus que jamais, branchés sur le réel vécu de leur sujet autant que sur le monde des idées abstraites: nous voici à l'aube d'une guerre civile en 1973, dans une contrée du Sud toujours fictive mais rendue crédible par une accumulation de détails auxquels se consacre le jeu entier.
 
Sunset ouvre une fenêtre directe sur l'exil, la négritude et la féminité, trois données sociales rarement représentées (et certainement jamais combinées) dans la discipline. Il nous fait marcher dans les souliers d'une jeune femme exposée au berceau du luxe et de l'insouciance, consciente du paradoxe entre son appartenance à la cause du peuple et le réconfort, même l'affection, qu'elle éprouve à y revenir de semaine en semaine. Il aborde sans détours les notions de privilège et de responsabilité civile, explore les points de contact – et leur occasionnelle parcimonie – entre esthétique et politique. Il couvre tout ce terrain par la répétition d'un rituel calme aux variations anodines, foncièrement monotone mais fourmillant de détails précis dans leur écriture et subtils dans leur intégration. La marge de manœuvre dans la personnalisation du récit demeure limitée et donne lieu à certaines répliques détonantes, mais les accrocs occasionnels ne diminuent en rien l'ampleur thématique du jeu indépendant le plus politiquement chargé depuis Papers, Please.
 
Tale of Tales ont donc tout donné pour Sunset. Une campagne de sociofinancement, un marketing proactif et une réception favorable n'auront pas suffi à les sauver de la faillite. Ils ne sont pas disparus pour autant, leur projet de cathédrales en réalité virtuelle étant sur la bonne voie, mais leur pratique sous l'étiquette et au sein des espaces commerciaux du jeu vidéo est désormais chose du passé. Prévoyons encore dix ans avant que cette industrie, même dans ses retranchements les plus créatifs, commence à rejoindre la cheville de tout ce qu'ils auront tenté.
 
Site officiel  |  Disponible sur Steam
 
Présentation  |  15-8  |  7-1

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Article publié le 25 janvier 2016.
 

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