THE TOXIC AVENGER
Michael Herz et Samuel Weil (Lloyd Kaufman) | États-Unis | 1984 | 82 minutes
The Toxic Avenger vient de passer le cap des 40 ans, comme The Terminator (1984), et il ne s’agit pas moins d’un emblème incontournable de la culture américaine. L’envers de la machine lisse et lustrée de James Cameron, le héros populaire tout pourri que les marginaux (du cinéma et de la vie) peuvent s’approprier. J’avais été impressionné par les deux films quand j’étais jeune, mais pour des raisons opposées : pour la rigueur mathématique de l’un et pour la créativité chaotique de l’autre, quoique Terminator possédait encore à l’époque une facture artisanale qui le distinguait de la merveille technologique qu’est Terminator 2: Judgment Day (1991). The Toxic Avenger, c’est le film de misfit fait par des misfits, avec deux piasses et un désir de surenchère quand même, un désir pornographique de faire plaisir. C’est surtout le summum de la recette Troma, dont le film harmonise tous les ingrédients de façon miraculeuse.
S'appropriant le conte classique du nerd qui se transforme en justicier sous l’effet d’éléments radioactifs, The Toxic Avenger le fait d’une façon ironique et irrévérencieuse qui contraste joyeusement avec la normalité de la genèse héroïque traditionnelle. L’humour potache du studio s’avère toujours direct et punché, s’inscrivant dans une critique ludique de la culture du gym, de la corruption politique et du laisser-faire capitaliste, adoptant une légèreté cabotine qui adoucit les éléments plus troublants du récit, et modère même ses excès voyeuristes. Le recours au slapstick exprime à la fois parfaitement la balourdise du héros et l’agonie de sa transformation, tandis que l’interprétation caricaturale des personnages secondaires livre son lot de figures mémorables : les malfrats psychotiques Frank, Leroy, Rico, Knuckles, Nipples et Cigar Face, Bozo et sa bande de jocks sadiques qui s’excitent à l’idée d’écraser des enfants en voiture, le ventripotent maire Belgoody et son chef de police nazi, qui se présentent à nous comme autant de candidats idéaux pour l’extermination. La bande sonore surchargée et entraînante dynamise quant à elle l’enchaînement déjà très fluide des scènes, et particulièrement des chorégraphies d’action plutôt inspirées, au même titre qu’un montage nerveux qui multiplie les raccords comiques hilarants et articule de belle façon les séquences gore.
L’intelligence cinéphilique des auteurs transparaît en outre dans moult réappropriations de genres historiques, à commencer par le documentaire propagandiste façon newsreel que suggère la voix off de l’intro, qui nous parle des déchets radioactifs comme d’une « conséquence inéluctable du progrès » initié par le génie new-yorkais. Le film joue aussi avec les codes du slasher, particulièrement dans les séquences dédiées à la traque de Wanda et Julie dans le centre de conditionnement physique. Il s’attaque surtout aux racines conservatrices du récit de justicier popularisé par la série Death Wish (1974), assortissant la ménagerie classique de vendeurs de drogue, de pimps et d’agresseurs des bas-quartiers d’une élite criminelle placée dans les hautes sphères de la société. La corruption du monde n’est toujours que le résultat des actions et des discours bourgeois, semblent nous dire Kaufman et compagnie, qui, à travers leur propre parabole de nettoyage urbain, mais surtout leurs attaques constantes contre le bon goût, s’y opposent de la façon héroïque des utopistes. (Olivier Thibodeau)
THE TOXIC AVENGER PART II
Lloyd Kaufman et Michael Herz | États-Unis | 1989 | 95 minutes
Par-delà la violence et la vulgarité, l'ingrédient secret de la formule Toxic Avenger demeure la bienveillance. Le grand cœur de notre héros nucléaire est à l'image de l'idéalisme sincère se cachant derrière l'ironie dégoulinante et le cynisme feint de son créateur Lloyd Kaufman. Bien qu'il soit prisonnier d'une carapace hideuse, il n'en demeure pas moins que cet organe battant vaillamment, envers et contre tout, est ce qui propulse véritablement la franchise vers l'avant. Cette suite au long métrage de 1984 débute ainsi dans une sorte d'utopie contemporaine, comme si la petite banlieue tranquille de Tromaville au New Jersey échappait désormais aux horreurs du capitalisme grâce aux bons soins de son vigilant ravageur ; et on sent poindre, derrière la blague, quelque chose qui relève de l'aspiration pour son auteur. Bien entendu, le mauvais goût et le mal font rapidement irruption dans le portrait. Mais on sent bien que si les méchants abattent une grand-mère de sang-froid avant de faire sauter un centre pour personnes aveugles, c'est que Kaufman se dit au plus profond de lui-même que c'est la chose la plus terrible qu'ils pourraient faire.
The Toxic Avenger Part II est évidemment trop long, trop ceci, trop cela. Même Kaufman s'est fréquemment moqué du film et de sa suite directe The Last Temptation of Toxie, allant jusqu'à débuter le quatrième film de la série en s'excusant pour les deux précédents. On se doute bien que l'affirmation relève, au moins dans une certaine mesure, de la boutade. Après tout, l'autocritique est une pratique marxiste à laquelle le cinéaste s'est toujours allègrement adonné. Mais, malgré leurs défauts, les deux films ne sont pas dépourvus d'un charme étrangement bon enfant qui leur est propre. Plus que jamais, la mise en scène de Kaufman et de son comparse Michael Herz évoque en effet le dessin animé tourné en prise de vue réelle ; elle possède une qualité particulièrement « boing boing », une élasticité dans la plastique et une souplesse dans la logique qui rend même ses errances les moins pertinentes à tout le moins sympathiques. Il se dégage une esthétique unique de cet amalgame joyeusement chaotique de comic book et de cinéma de série B, tourné avec un flair certain pour le grand déploiement à bon marché.
Une authentique inventivité formelle émerge éventuellement de cette économie de bouts de chandelles, de cette volonté presque caricaturale de générer du spectacle à bas prix. La poursuite finale, à cet égard, s'avère un bel exemple de cette prédilection pour le tumulte aussi ludique qu'énergique. The Toxic Avenger Part II est un immense cartoon satirique s'insurgeant contre tout, tout, tout ce qui ne va pas dans le monde à grand coup de pouet pouet, de prout prout et de pow pow — à commencer par les corporations qui pillent, polluent et profitent sans aucune considération pour l'environnement et les communautés qu'elles vampirisent. Pour la subtilité, on repassera. Mais la finesse de la méthode Troma se trouve ailleurs, la dérision passant ici par une apparente contradiction. Tout, dans la logique de production de Kaufman, évoque le rendement optimal et le retour sur investissement. Mais son discours politique, aux antipodes de cet esprit d'entreprise bassement mercantile, écorche le système dont il tire profit et le retourne contre lui-même avec un sens de la gouaillerie (parfois) plus brillant et subversif qu'il n'y paraît. (Alexandre Fontaine Rousseau)
THE TOXIC AVENGER III: THE LAST TEMPTATION OF TOXIE
Michael Herz et Lloyd Kaufman | États-Unis | 1989 | 104 minutes
Paradoxalement, ce troisième chapitre démontre à la fois la paresse de Kaufman et compagnie et leur dévouement à la tâche, leur zèle et leur apathie, leur amour et leur opportunisme. La durée rébarbative de l’œuvre semble déjà tout dire, suggérant une production plus dense, plus étoffée qui en fait piétine et accuse moult problèmes de rythme — a contrario du premier chapitre, qui semblait couler de source. Comble du péché, le film se vautre surtout dans les redites, recyclant maladroitement les gags et multipliant les séquences de flashbacks à la Rocky IV (1985), allant même jusqu’à reprendre intégralement certains plans du film précédent, voire des séquences complètes, que l’on intègre au récit comme si de rien n’était. Même la voix off explicative, qui dans l’original Toxic Avenger revêtait une savante fonction méta, évoque ici une forme de fainéantise, servant de maigre ciment entre certaines scènes particulièrement disparates, particulièrement épisodiques, qui relatent la vie domestique du protagoniste et de sa copine Claire, qui désormais ne semble plus avoir que des sous-vêtements dans sa garde-robe…
Dur de ne pas regretter ces nombreuses indolences quand on constate la pertinence de la satire politique, mais surtout la passion débordante consentie à la plastique du film. Dur de comprendre le laisser-aller scénaristique quand on entend des lignes délicieuses du genre « The plot was thickening, and I was going to be the corn starch » ; dur d’accepter la mollesse de la narration quand on note la munificence des séquences gore, où des bandes de malfrats psychotiques subissent des punitions poétiques sous l’action des équipements d’un club vidéo dont ils tentent par la force de réduire l’inventaire — dans un clin d’œil évident à la mainmise des majors sur le marché de la distribution — et où le président d’Apocalypse Inc., l’organisation maléfique du deuxième chapitre, se transforme littéralement en Satan.
Le bien-fondé de l’œuvre repose d’ailleurs beaucoup sur la métaphore du PDG comme entité démoniaque, du capitalisme comme nouvelle Église, comme fascisme contemporain. D’où la valeur intrinsèque des images de dévastation et d’asservissement de la population locale aux visées destructives d’Apocalypse ; d’où le caractère opportun du pacte faustien que conclut notre héros, qui, en acceptant de travailler à la solde de la compagnie, se transforme presque immédiatement en yuppie vêtu d’un polo Lacoste qui lit The Art of the Deal (1987), insouciant du sort des vieilles dames qu’il aide à faire évincer de leurs logements. « Pick on Donald Trump », ordonnera plus tard un garçon frustré, insatisfait du volte-face de Toxie, qui pourrait tout aussi bien s’adresser aux environnementalistes et aux justiciers gauchistes d’aujourd’hui. « Had I known then what I know now about the excesses of capitalism and the power elites, I would never have joined Apocalypse Incorporated », finit par conclure le protagoniste, adoptant plus clairement que jamais une posture messianique auprès de la population concertée de Tromaville, avide de combattre la corruption des élites. « We’re tired of you, Mr. Chairman », diront en choeur les gens sur le parvis d’une église profanée, « we’re tired of your filthy lawyers and accountants, and we’re fed up with your perverted investment bankers ». Prouvant qu’au moins le cœur de Kaufman reste toujours à la bonne place… (Olivier Thibodeau)
CITIZEN TOXIE: THE TOXIC AVENGER IV
Lloyd Kaufman | États-Unis | 2000 | 109 minutes
Aujourd'hui, cela peut paraître improbable. Mais, au début des années 1990, Troma s'est infiltré durant un bref instant dans la culture mainstream. Toxie a eu droit à sa propre ligne de jouets, en plus d'une bande dessinée publiée par Marvel Comics. Un dessin animé intitulé Toxic Crusaders, diffusé à la télévision, a par la suite été adapté sous forme de jeu vidéo ; et, pendant tout ce temps, l'univers cinématographique Troma se déployait à l'écran par l'entremise de suites au Class of Nuke 'Em High de 1986 et de nouvelles créations telles que Sgt. Kabukiman N.Y.P.D. (1990). La maison de production avait désormais sa mythologie et ses mascottes, contaminant l'imaginaire d'une jeunesse exposée par MTV au grunge et au punk. La culture populaire était dans sa phase alternative et Troma, pour sa part, dans sa période impériale ; les tablettes des clubs vidéo étaient prêtes à accueillir des détritus tels que Redneck Zombies (1987) ou Surf Nazis Must Die (1987) et Lloyd Kaufman semblait s'être donné pour mission de leur en fournir le plus possible.
Citizen Toxie est la conséquence logique de cette période de domination des marécages de la série B, l'apothéose nauséabonde de cette croisade contre le bon goût amorcée une quinzaine d'années plus tôt avec le premier Toxic Avenger (1984). Son titre faussement pompeux en annonce les couleurs, bien que la notion d'ambition soit ici à prendre avec un grain de sel. Une grosse production, à l'échelle de Troma, représente un budget d'environ un demi-million de dollars ; et rien n'empêchera jamais Kaufman de couper les coins ronds, dès que l'opportunité se présente à lui. Mais le prologue, narré par Stan Lee en personne, ne laisse planer aucun doute quant au fait que si Troma est le MCU des gens qui sniffent de la colle en écoutant les Ramones, The Toxic Avenger IV est leur Avengers: Endgame. Il s'agit bien de ce vers quoi tout converge, avec en prime une histoire abracadabrante de multivers donnant à Toxie un double maléfique nommé Noxie. Même Lemmy de Mötorhead est là, livrant ses répliques d'un air médusé qui ajoute à l'ambiance chaotique de l'ensemble.
Surtout, Citizen Toxie cherche à ramener la franchise dans une direction plus abrasive, après le virage quasi-« familial » effectué de manière inattendue par les deux volets précédents. Porté par ce style d'humour décapant typique de la fin des années 1990, digne d'un épisode de South Park particulièrement corrosif, le film arbore fièrement une esthétique ordurière maculée de merde et de sang. Il joue la carte du miroir déformant, tendu vers une Amérique hypocrite dont Kaufman ne s'est jamais gêné pour critiquer les dérives fascistes. Certes, la satire n'est pas toujours tout à fait au point. À force de vouloir choquer à tout prix, le film dépasse souvent les bornes et rate par le fait même sa cible. Rien de tout cela, pour être honnête, n'a particulièrement bien vieilli. Rien, si ce n'est ce dégoût viscéral pour une société débile et corrompue sur laquelle il s'agit ici de vomir avec force. La vulgarité, chez Kaufman, est surtout une manière de rejeter l'ordre établi — une affaire de morale, dont l'objectif sous-jacent est de s'expulser soi-même de la dictature de la respectabilité. Pour le meilleur comme pour le pire, au point de ne plus faire la distinction entre les deux. (Alexandre Fontaine Rousseau)
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