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Immunité collective : Proximité indésirable

Par David Fortin



Si toute idée même indirecte de confinement ou de virus épidémique dans les films dernièrement visionnés peut frapper ces temps-ci, quelques œuvres m’ont plus surpris que d’autres dans cet exercice involontaire dont un, en particulier, Hospitalité de Kōji Fukada. Surpris d’abord je l’ai été par son ludisme et son humour corrosif qui en font un excellent divertissement dont l’intelligence joue sur les conventions sociales. Ensuite par tous les liens indirects que j’y faisais avec la situation de confinement. Suivant quelques semaines de visionnages plus lourdes, passage obligé pour moi qui voulais confronter mes angoisses, le film est venu m’offrir ce soulagement particulier qui tire les bonnes ficelles au bon moment, tout en faisant écho de différentes manières à la situation actuelle et à ses répercussions en tous genres. Voilà le genre de film impossible à regarder de la même manière maintenant (en sera-t-il autrement un jour ?), même si tout pouvait faire croire à la parfaite échappatoire.

La vie d’un imprimeur qui vit avec sa femme et son enfant se trouve chamboulée par l’arrivée d’une connaissance lointaine qui s’installe lentement dans leur lieu de travail, leur maison et leur vie. Suivant l’approche du Teorema de Pasolini, l’étranger nouvellement installé va graduellement servir de révélateur à cette famille en les confrontant de différentes façons, nous faisant découvrir leurs facettes les mieux cachées. Dans le genre, Fukuda réussit haut la main cette déconstruction du nid familial et de l’idée de communauté qu’il s’est créée avec son entourage. Or tout au long du visionnement, je ne pouvais m’empêcher de voir (ou de créer) des liens avec les situations que la COVID-19 nous a apportées. D’emblée l’hospitalité titulaire vient rappeler que l’hospitalité n’est justement plus quelque chose de possible présentement. Puis le film fait écho au confinement par le lieu unique dans lequel il se déroule : la maison familiale qui sert aussi de lieu de travail puisque les presses se trouvent au rez-de-chaussée. Comme miroir de la situation quotidienne pour beaucoup de gens qui passent l’essentiel de leur temps à l’intérieur de leur demeure pour y vivre et y travailler, c’est frappant. On y découvre assez vite aussi une milice de quartier rigoureusement organisée par les voisins de rue qui surveillent tous crimes environnants, ce qui se résume à dénoncer les habitations de fortunes que quelques sans-abri ont installées aux abords du quartier et surtout à se surveiller entre eux, soulignant au passage leurs craintes face à la montée du tourisme qui ramènerait trop d’étrangers dans leurs rues.

Fukada n’hésite pas à pointer du doigt une certaine xénophobie toute japonaise, mais dans mon visionnement confiné ces scènes me rappelaient plutôt le racisme anti-asiatique qui se fait sentir depuis le début de la COVID-19, et plus largement les dénonciations de rassemblements et de dérogations aux règles de confinement que certains voisins n’ont pas de scrupules à s’infliger entre eux. Dans un pays où l’hospitalité est un art (Omotenashi), voire une obligation et où il y est presque impossible de dire non, le cinéaste pousse le cliché traditionnel à son extrême. La maison devient éventuellement un Airbnb improvisé qui accueille cent fois trop de gens pour son espace et fait basculer le film dans une absurdité jouissive. On s’y entasse, on y est coincé, on y baise entre nous et on y fait la fête. Bref, tout ce que le confinement nous empêche de faire présentement.

Le film réussi brillamment à produire de l’humour à partir de situations inconfortables, voire anxiogènes. En incorporant ce personnage intrusif, qui fait lui-même écho au virus en infiltrant le corps familial, le confrontant et transformant sa perception du monde, Fukuda s’amuse à pervertir lentement le film domestique japonais jusqu’à l’absurdité en plaçant des petites bombes dans la bienséance et l’harmonie familiale nippone (ce que le confinement provoque aussi à bien des familles ici où le lieu familial devient lieu de violence domestique). Proposant une sorte de huis clos dans ce lieu de confinement qu’est la maison familiale, y incorporant lentement ses nouveaux personnages autant que ses nouvelles tensions, Hospitalité est devenu pour moi l’expérience de visionnement par excellence de ce confinement, celle qui m’aura aidé à trouver des manières d’en rire. C’est peut-être justement cet équilibre entre le rappel au présent et la distraction de celui-ci qui aura fait en sorte que le film aura marqué plus particulièrement mon esprit que les films plus évidemment cathartiques, ces films qui portaient déjà sur des confinements et des pandémies.

 

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Article publié le 25 mai 2020.
 

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