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Rétrospective 2012 : Les 25 meilleurs films de l'année (20-11)

Par Panorama - cinéma



WE NEED TO TALK ABOUT KEVIN
Lynne Ramsay  |  Royaume-Uni  |  2011

La pire des tragédies continue souvent de faire des victimes longtemps après qu’elle se soit produite. Dans le paysage d’une Amérique de plus en plus meurtrie par les tueries les plus inconcevables - nous aurons d’ailleurs assisté à la plus horrible de ces manifestations de violence à la fin de l’année 2012 -, nous nous empressons toujours de partir à la recherche des facteurs ayant pu inspirer un individu à perpétrer pareille barbarie. Évidemment, ce sont vers les parents que se tournent le plus rapidement nos regards accusateurs. Comme c’est le cas dans ce drame terrifiant que nous livre Lynne Ramsay, tournant autour d’une mère cherchant tant bien que mal à retrouver une vie normale suite aux actes impardonnables qu’aura commis son fils. We Need to Talk About Kevin, c’est l’histoire de l’amour inconditionnel qu’aura porté une mère à une progéniture avec laquelle le courant n’aura étrangement jamais passé. Un drame familial d’une rare brutalité prenant pourtant racine au coeur d’un univers d’une grande beauté plastique, renforcé par les images ultra léchées de Seamus McGarvey, mais dominé par une constante oppression psychologique qui hante l’esprit au point de le dépouiller de toute réaction tangible. Le tout porté par la performance d’une Tilda Swinton toujours au sommet de son art et le jeu aussi effrayant que nuancé du jeune Ezra Miller.

Texte : Jean-François Vandeuren




TOMBOY
Céline Sciamma  |  France  |  2011

De la contraction de Tom pour Thomas et de boy, le nom Tomboy désigne une fillette au comportement, aux goûts ou à l'allure d'un garçon. Dans la langue de Molière, il s'agit d'un garçon manqué; manqué, voire raté, car son sexe ne définit pas sa personne. Et c'est là tout le génie de Sciamma qui, d'un simple mot de vocabulaire, dénonce la sécheresse d'esprit avec laquelle nous éduquons nos enfants. Filmé justement à hauteur d'enfant, cette hauteur d'où le monde nous paraît si grand et l'avenir si loin, Tomboy ne raconte rien, il découvre. Cette découverte, dont seul l'instant présent peut saisir la violence des sentiments, la puissance du malaise, est celle des relations humaines; car ce qui définit l'homme est l'homme. Cela, Sciamma le montre avec une simplicité déconcertante en dévoilant à mesure qu'ils se tissent l'inexplicable manège amoureux autant que l'incommodant rapport de force qui, déjà, distingue les sexes. On retrouve dans Tomboy la pudeur jouvencelle de son premier film, La naissance des pieuvres, celle-là même qui la place au rang de ces rares cinéastes à s'être approchés avec autant de justesse du berceau de l'intimité, non de celle que l'on a, mais de celle que l'on est.

Texte : Élodie François




CARNAGE
Roman Polanski  |  Allemagne  |  2011

À eux quatre, Jodie Foster, Kate Winslet, Christoph Waltz et John C. Reilly ramènent le vétéran Polanski aux premières heures de sa gloire, celles du Couteau dans l'eau, de Repulsion, de Cul-de-sac et de Rosemary's Baby, où un lieu contigu servait d'arène à des personnages aux prises avec de profonds troubles de personnalité. Chassé-croisé dans un chic appartement new-yorkais (évidemment récréé en Europe pour les besoins de la cause), Carnage demeure l'adaptation la plus précise que l'on aurait pu imaginer de la pièce de Yasmina Reza alors qu'en temps réel, Polanski s'amuse à suivre dans les moindres gestes de leurs petites folies des protagonistes singulièrement attachants et contrastés. Là où d'autres se seraient enlisés dans le théâtre filmé, l'auteur polonais retrouve le goût de la mise en scène où il l'avait laissé dans The Ghost Writer et le restitue à ses ambitions les plus humbles, les plus insidieuses. Tous au bord de la crise de nerfs, ces personnages n'existant qu'à l'intérieur de ces quatre murs forment un portrait lucide d'une société carburant au stress et à l'hypocrisie de ses rapports falsifiés. Quarante ans après les possessions démoniaques, le nouveau Mal, nous dit Polanski, se cache à présent dans les téléphones cellulaires, les condominiums insonorisés et leurs enfants-rois jamais châtiés.

Texte : Mathieu Li-Goyette




NORWEGIAN WOOD
Anh Hung Tran  |  Japon  |  2010

Anh Hung Tran, après de fulgurantes années 90, avait été plus ou moins absent des années 2000, pris dans un projet de polar mettant en vedette Harvey Keitel qui n'a jamais abouti et un film noir hongkongais plutôt moyen avec Josh Hartnett. Pourtant fort d'une première trilogie sur le Viêtnam, le Français d'adoption dut lutter pour en arriver à Norwegian Wood, magnifique adaptation comme il s'en fait peu d'un roman japonais de Haruki Murakami. Mêlant les motifs littéraires du ressouvenir de Proust et les leitmotivs de la chanson des Beatles comme s'il repoussait les limites de l'aliénation répétitive de Vertigo, Hung est parvenu à établir un réseau de relations cycliques tout à fait remarquable où tous frôlent le précipice de la déprime. Reliant des personnages qui semblaient flotter dans les paysages éclairés par Ping Bin Lee (l'homme à la caméra de Wong Kar Wai et de Hou Hsiao-hsien) et bordés par des compositions originales de Jonny Greenwood (guitariste de Radiohead), Hung est redevenu le symphoniste qu'il était jadis avec cette ode aux ruines de l'amour et du temps qui les efface.

Texte : Mathieu Li-Goyette




DE ROUILLE ET D'OS
Jacques Audiard  |  France  |  2012

De rouille et d'os est comme une pièce de musique parfaitement composée, qui s'éclate parfois dans la lourdeur et l'allégresse avant de se faire toute petite et fragile jusqu'à la lueur de l'entendement. C'est aussi un théâtre d'ombres et de lumières où se jouent des drames mineurs dont nous doutons souvent de la finalité. C'est brut, râpeux, physique; certes... C'est aussi sensuel, délicat, enivrant... Et parfois tout ça à la fois. C'est un film de gens fatigués, qui encaissent les coups et ne se fissurent jamais, mais ressentent les douleurs jusque dans la moelle de leurs os usés et rouillés. C'est aussi la réussite d'un réalisateur virtuose, qui sait se consacrer entièrement à son travail de chef d'orchestre, mais aussi laisser à ses solistes la place qui leur convient dans des univers musicaux souvent chargés à l'influence de sa plume. Sa réalisation est à son image : une force tranquille, tantôt brutale, tantôt gracieuse, mais toujours juste, parfaitement juste.

Texte : Guillaume Fournier




REBELLE
Kim Nguyen  |  Québec  |  2012

Ayant déjà fait du fantastique son arme de choix pour traiter et décortiquer le réel à l’écran, Kim Nguyen aura pris tout le monde par surprise cette année en livrant assurément son oeuvre la plus aboutie à ce jour sur le plan de la forme, mais également sa plus pertinente et significative au niveau du discours. Il fallait du cran pour aborder un phénomène aussi délicat que celui des enfants soldats du point de vue d’une jeune fille (Rachel Mwanza, stupéfiante) qui verra ses parents se faire assassiner sous ses yeux avant de devenir la sorcière personnelle du leader du clan lui ayant dérobé ses années d’innocence. Gracié de la superbe direction photo de Nicolas Bolduc, Nguyen sera parvenu à intégrer tout en douceur une parcelle de magie au coeur d’un univers aussi brutal qu’envoûtant, fantaisie qui, dépendamment des publics, pourra d'ailleurs aussi bien relever de l’imaginaire que de la réalité. C’est en fusionnant de mieux en mieux les perspectives, en se servant du conte pour nous immiscer dans une réalité des plus troublantes, que Nguyen poursuit son ascension parmi les cinéastes québécois les plus importants de sa génération.

Texte : Jean-François Vandeuren




TABU
Miguel Gomes  |  Portugal  |  2012

Lettre d’amour en deux temps, Tabu du réalisateur portugais Miguel Gomes fut simplement l’une des plus belles découvertes de l’année. Délice (délire?) visuel tourné en 4:3, alternant entre somptueux 35mm noir et blanc et 16mm nostalgique et granuleux, il s’en dégage un romantisme et un réalisme magique irrésistible, d’autant plus impressionnant qu’il s’imbrique parfaitement à des émotions et des thèmes complexes tels que le poids de la vieillesse, le fonctionnement de la mémoire, la passion sans retenue et la mélancolie face à une vie bien remplie. Se rattachant avec aise à un contexte historique fascinant qui parvient à demeurer un arrière-plan plutôt qu’un propos, Tabu explore les vestiges du colonialisme portugais en tant que phénomène identitaire plus que politique, dans le présent comme dans le passé. Raconté simplement, presque tout en narration dans sa deuxième heure, Tabu est fascinant pour sa mise en scène, son originalité et son exotisme, mais demeure d’abord et avant tout une romance extrêmement épurée et envoûtante. Il y a longtemps qu’un cinéaste n’avait réussi à charmer autant de par la simple manière qu’il nous raconte ses histoires.

Texte : Ariel Esteban Cayer




LA MISE À L'AVEUGLE
Simon Galiero  |  Québec  |  2012

Nuages sur la ville ne possédait peut-être pas la clarté de ses idées, mais on y pressentait tout de même l'essentiel : le désir de penser le monde, de le critiquer, mais aussi de l'aimer, malgré ses défauts. Si La mise à l'aveugle n'est pas un film parfait, plusieurs des tics qui donnaient à l'oeuvre précédente de Simon Galiero un caractère trop manifestement cérébral s'y sont estompés. Ici, les personnages ne semblent plus à la merci d'idées et de concepts qui prennent plutôt forme dans les liens, les relations, le monde qu'ils habitent. Le résultat final est un ensemble organique où individus et systèmes s'entrechoquent - un univers où les hommes et les femmes, victimes de mécaniques sociales et économiques, se débattent contre ces pressions qu'exercent le monde sur eux ou s'effondrent. Tout n'est pas toujours au point, au niveau notamment de l'exécution que l'on sent parfois pressée par le temps et les moyens, mais La mise à l'aveugle possède néanmoins la plus noble des qualités : c'est un film avec lequel on veut discuter, échanger et auquel, surtout, on a envie de penser et repenser.

Texte : Alexandre Fontaine Rousseau




INTO THE ABYSS
Werner Herzog  |  Allemagne  |  2011

Il n'y a que trop peu de documents comme Into the Abyss, oeuvre à la fois incroyablement noire et lumineuse sur les derniers jours d'un condamné à mort américain. En entrevue, l'homme d'aujourd'hui n'est plus l'adolescent qu'il était lorsqu'il a commis son horrible crime. Outre des plans de la ligne verte et du chemin de croix qui mènera l'intervenant à la mort, le regard de Herzog fouine aussi dans les images d'archives de la police de son comté... À revoir les atrocités perpétrées ce soir-là sur une famille innocente parce qu'une troupe de gamins enviait la plus belle voiture du coin, le spectateur se retrouve dans l'impasse du jugement et l'impossibilité d'antagoniser complètement l'individu qu'il a devant lui. L'auteur raconte brutalement la mort sans jamais la montrer, demeurant dans l'attente de celle-ci et dans le protocole administratif venant réguler machinalement la procédure. Rétribution, vengeance collective, justice enfin rendue, le sort du jeune homme est d'autant plus touchant qu'il est a double tranchant tandis que le dispositif de mort à retardement de Grizzly Man prend ici des allures de conte moral. Et lorsque Herzog fait dans la morale, qui donc penserait s'en sortir indemne?

Texte : Mathieu Li-Goyette




THE DARK KNIGHT RISES
Christopher Nolan  |  États-Unis  |  2012

The Dark Knight Rises était assurément la production américaine la plus attendue de l’année. Et lorsque les attentes s’avèrent aussi démesurées ne viennent trop souvent que les déceptions. Il faut dire que Christopher Nolan aura vu très grand pour le dernier chapitre de sa trilogie du Chevalier noir, nous livrant peut-être l’oeuvre la plus emblématique de ce mouvement de contestation qui aura marqué l’année 2012, à défaut d’être nécessairement la meilleure. Le résultat n’en demeure pas moins monumental, Nolan et ses acolytes compensant pleinement pour chaque incohérence narrative par les élans on ne peut plus symboliques d’un discours livré avec autant de verve que de discernement. Sept ans après qu’il ait réussi à intéresser de nouveau la masse à Bruce Wayne et son alter ego, le cinéaste britannique aura su boucler la boucle en demeurant toujours fidèle à une vision artistique extrêmement précise. Onze ans après le onze septembre, le peuple américain aura été confronté à plus de défis qu’il ne pouvait relever. Mais la nuit étant toujours plus sombre juste avant l’aube, le temps était venu à présent pour Gotham - et l’Amérique - de se lever, et de finalement se donner la chance de repartir à neuf.

Texte : Jean-François Vandeuren
 
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Article publié le 4 janvier 2013.
 

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