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Rétrospective 2014 : Les meilleurs films de l'année (20-11)

Par Panorama - cinéma



CAVALO DINHEIRO
Pedro Costa  |  Portugal  |  2014

Dans un hôpital constitué de corridors interminables, de souterrains lugubres et de salles désertes, les personnages de Pedro Costa se croisent, se rencontrent, ils chuchotent. Ils parlent de la mort et de l'oubli à travers ces innombrables couloirs qui semblent ne se dresser devant eux que pour les condamner à l’errance. On retrouve Ventura, ouvrier cap-verdien immigré au Portugal, qui souffre des conséquences d'une vie de travail et de violence. Le film est marqué par le rythme du tremblement de sa main droite, effet secondaire de ses médicaments, et témoignage de la condition immigrante et ouvrière, de l'individu blessé, humilié, mais aussi invisible. Dans ces corridors, personne ne semble là pour témoigner de son existence. Comment Costa peut-il filmer cette souffrance que nulle âme ne semble remarquer? Le réalisateur portugais continue de proposer un cinéma qui résiste à toute structure narrative traditionnelle, préférant une mise en images à la hauteur de ses personnages, sensibles et singuliers. À mi-chemin de cette décennie cinématographique, Cavalo Dinheiro s'impose comme l'une des œuvres les plus audacieuses et engagées de notre époque.

Texte : Guillaume Dupuis




LA VÉNUS À LA FOURRURE
Roman Polanski  |  France  |  2013

Quintessence de l’oeuvre presque toujours pertinente et jubilatoire de Polanski, cet énième huis clos psychanalytique réunit de façon jouissive ses plus truculentes lubies en plus d’approfondir par le cinéma la pièce déjà touffue de David Ives. L’humour décapant du réalisateur et son sens aiguisé de la tragédie s’entrelacent ainsi avec la même aisance que le destin de ses protagonistes, créatures allégoriques et intemporelles dont les tribulations fascinent du début à la fin. Ses amours des mythes et des femmes s’en trouvent également enchevêtrées puisqu’elles s’incarnent toutes deux dans la sublime Emmanuelle Seigner, comparse de longue date à qui il rend aujourd’hui le plus déférent hommage, métamorphose divine qui restitue sa juste place à l’écran en plus de nous faire oublier avec plaisir l’ennuyeuse «femme de la classe moyenne». Le film constitue en outre un treillis foisonnant de savantes mises en abyme, permutation constante de la réalité et du fantasme qui dévoile avec génie la nature profonde des jeux de pouvoir amoureux auxquels se livrent le metteur en scène et son actrice. Mu par des performances inoubliables des deux vedettes, ce vaillant effort de représentation, binaire, mais puissant, frise d’ailleurs allègrement les sommets de l’Olympe.

Texte : Olivier Thibodeau




CITIZENFOUR
Laura Poitras  |  Allemagne  |  2014

Les révélations d’Edward Snowden ne sont plus, aujourd’hui, des révélations, ce dont Laura Poitras est parfaitement consciente : Citizenfour ne cherche pas à rappeler, pour ceux qui auraient déjà oublié, ces informations divulguées l’an dernier, mais plutôt à faire ressentir par les moyens du cinéma l’ampleur de cet État de surveillance dévoilé par Snowden, ainsi que l’atmosphère de paranoïa qui en découle. Un tel projet risquait de condamner le spectateur à l’inertie tant la démesure de ce Big Brother trop réel semble asphyxier toutes possibilités d’action individuelle, mais les allures de thriller qu’empruntent Citizenfour, fort efficaces au demeurant, servent surtout à mieux faire ressortir la portée du geste de Snowden et, par ricochet, celui de la cinéaste et des journalistes impliqués, puisqu’eux aussi risquent tout en osant relayer la parole de leur informateur. Tout le mérite de ce film salutaire consiste ainsi à montrer par l’exemple comment cette liberté de parole demeure le plus important geste de résistance qui soit, d’autant plus que c’est précisément celui qui est en voie de devenir le plus périlleux – ce que l’actualité continue d’ailleurs de nous prouver que trop bien.

Texte : Sylvain Lavallée




JEUNE & JOLIE
François Ozon  |  France  |  2013

Jeune et jolie, c'est le cinéma français à son meilleur. Une sincérité sentimentale à l'épreuve des rancœurs critiques, une interprétation qui allie l'aisance à la fébrilité, une caméra-stylo précise, articulée, rédigeant en lettres attachées un poème sur le grand drame, au fond, que peut être celui d'être jeune et jolie. Alors que le magnifique Ida, avec toute sa retenue monastique, était le portrait érotomane d'une femme au corps couvert, Jeune et jolie parvient à traiter d'érotisme par le biais d'un regard foncièrement féminin, entièrement subjectivé, axé sur le corps et le pouvoir discrétionnaire d'une escorte qui, partie chercher l'amour, s'est découverte une insatiable volonté de puissance. Jeune et jolie met en scène une économie charnelle en pleine débâcle : les valeurs monétaires, morales et affectives attribuées au corps s'entremêlent à des pulsions incontrôlables, à des jeux de discrétion et de charme où la passion n'est plus et où, pire encore, elle n'a plus de valeur d'échange. L'argent c'est le sexe, le sexe c'est l'argent et au sein de cette désacralisation en règle qui n'a rien d'une vision libertine – bien au contraire ! –, Marine Vacht s'avère une interprète surdouée, suffisamment sensible pour qu'on puisse croire, sans jamais en douter, qu'en dessous de sa dépossession se terre une inconsolable solitude.

Texte : Mathieu Li-Goyette




THE TALE OF THE PRINCESS KAGUYA
Isao Takahata  |  Japon  |  2013

Alors que chaque plan pourrait illustrer un livre, ou même s’accrocher au musée, The Tale of the Princess Kaguya figure parmi les plus intègres propositions esthétiques des studios Ghibli. Huit années séparent l’écriture de la sortie en salle, mais c’est à une ambition vieille d’un demi-siècle qu’Isao Takahata donne naissance, projet aussi miraculeusement lumineux que la princesse qu’il anime, petit bonheur que trouve un coupeur de bambou au creux d’une tige. Sur un canevas multicolore, brossé d’aquarelles et de pastels, l’interprétation du conte japonais traditionnel s’offre comme un rêve, dont le souvenir prégnant porte les caractéristiques d’un aplat, contenant son lot de trous de conscience, d’ellipses et de ratés si joliment réussis.  Car ici c’est le trait, à la racine du dessin animé, qui guide la floraison des cerisiers. De scène en scène, la direction de l’animation d’Osamu Tanabe  respecte les  esquisses de Takahata, jusqu’à leur restituer une hyper-expressivité propre au médium de la bande dessinée. Dans ce qui devient une case cinématographique, la détresse tragique de la princesse s’enchevêtre avec le fusain, conférant un moment d’abstraction d’une rare intensité et léguant un plaidoyer amoureux pour l’art de l’animation. Isao Takahata compose ici une véritable ode à la rage de vivre. 

Texte : Olivier Lamothe




IDA
Pawel Pawlikowski  |  Pologne  |  2013

Ida, c’est le lotus qui pousse dans la fange, symbole impérissable de beauté parmi les paysages surdéterminés et foncièrement laids de la Pologne d’après-guerre. Ida, c’est un joyau de composition photographique sur fond de bâtiments délabrés cent fois visités et de routes de campagne anonymes. Mais surtout, Ida est Agata Trzebuchowska, révélation mystique d’une splendeur voilée qui nous révèle ses secrets au compte-goutte, rivalisant ainsi d’érotisme avec toutes les starlettes scintillantes d’Hollywood. On voudrait encenser la simplicité désarmante du film, son économie narrative ou la qualité universelle de son récit, mais ce serait manquer de respect à son héroïne éponyme. Fascinante idole de beauté pure, elle constitue la pièce maîtresse de la mise en scène. Non seulement est-ce que ses contraignants atours monastiques nous forcent-ils constamment à deviner son jeune corps ferme, mais toute la photographie noir et blanc lui semble entièrement dévote. Plutôt que son corps, cette dernière s’efforce de nous faire deviner sa splendide rousseur dont la révélation tardive et éthérée force la plus déférente admiration. Mieux encore, elle accentue le caractère sublime de prunelles infinies où s’évanouit miraculeusement toute la rigidité du dogme religieux, vaincu par l’exquise beauté de l’incarnation terrestre.

Texte : Olivier Thibodeau




GONE GIRL
David Fincher  |  États-Unis  |  2014

À bien des égards, Gone Girl s’impose comme la continuation logique de The Girl with the Dragon Tattoo alors qu’il est de nouveau question d’apparences trompeuses ainsi que de manipulation des faits, de l’information et de l’individu en soi. Gone Girl s’évertue toutefois à dénouer les fils de son récit dès la fin du premier acte, nous obligeant dès lors à reconsidérer nos positions et à nous méfier des images qui défilent sous nos yeux. Le monde dans lequel nous immisce David Fincher en est un où il est particulièrement facile de perdre tous repères. Une image vaut mille mots, certes, mais il est si facile d’en altérer le sens et la vérité. Plus cynique que jamais, Fincher nous demande à quel point nous connaissons ces gens qui nous entourent, à quel point nous sommes capables de voir au-delà des apparences, de penser par nous-mêmes et de tirer nos propres conclusions. Au cœur d’une société dominée par l’image, il est facile de croire que nous possédons un portrait d’ensemble d’une situation donnée. Mais il en est souvent tout autrement.

Texte : Jean-François Vandeuren




TRANSATLANTIQUE
Félix Dufour-Laperrière  |  Québec  |  2014

Loin de la houle des collectivités terrestres, Transatlantique tangue au rythme de «l’éternitude». Bien-être dans la civilisation. Depuis ses débuts comme cinéaste, Félix Dufour-Laperrière travaille la matière, au sens propre comme au figuré. Cette fois-ci, à bord d’un cargo, il la laisse fleurir à même les contingences du voyage, recueillant la vie des matelots parmi le pétrissage des flots marins. Déléguant son et image à Gabriel et Nicolas, frères du réalisateur, le trio s’engage en symbiose dans une observation en noir et blanc, où formes et contrastes dévoilent ou suggèrent l’organisation de la vie sociale. Dans une photographie regorgeant de noirs profonds, découpés de contre-jours ou d’éclairages portuaires, par exemple, le vaisseau vrombissant passe pour un simulacre face à l’immensité implacable de l’océan. Véritable ciment esthétique de cet essai documentaire, la recherche d’un langage visuel par l’abstraction formelle provoque une étrangement gracieuse impression de finitude. Lorsque le spectateur se fait avaler par le ressac des vagues en négatif, ne sachant plus trop s’il les contemples d’en dessous ou d’au-dessus, il ne peut qu’être mu par les forces en présence et accepter de se contempler perdre prise. Puis, jamais les berges du Saint-Laurent n’auront semblé plus apaisantes pour l’âme québécoise.    

Texte : Olivier Lamothe




BOYHOOD
Richard Linklater  |  États-Unis  |  2014

Dans une des conversations éthérées de Waking Life, un homme présente l’idée que même si les acteurs jouent des rôles, même s’ils « font semblant », ce qui se passe entre eux n’en demeure pas moins vrai et c’est ce vrai que le cinéma enregistre; dans Before Sunrise, Céline disait que s’il y a un Dieu, il n’existe pas en chacun de nous, mais dans l’interstice entre les êtres; dans Boyhood, un prêtre livre un sermon sur la foi, rappelant que celle-ci concerne l’invisible : si Jésus était devant nous, la foi ne serait pas nécessaire. Dans la conjonction entre ces trois scènes se trouve le projet du cinéma de Richard Linklater : rendre sensible ce Dieu invisible qui se terre dans ce qui nous relie les uns aux autres, la foi envers le cinéma permettant de renouveler la foi envers le monde, de redécouvrir la magie au sein du quotidien (comme cette fantastique baleine décrite par Mason Sr à son fils). En rajoutant avec Boyhood la dimension du souvenir (ah, ce dernier plan, dépliant l’infini du temps au creux d’un canyon aussi vertigineux que l’édifice immense du souvenir qui en émerge!), Linklater réalise un film-somme des plus émouvants, ode au cinéma et au monde, ce qui devrait toujours aller de pair.

Texte : Sylvain Lavallée




HER
Spike Jonze  |  États-Unis  |  2013

Naviguant en solo, sans le scénario de l'ami Kaufmann ou l'adaptation de l’œuvre d'un tiers, Spike Jonze signe avec Her une œuvre d'une rare douceur sur l'amour et les relations humaines. Il y saisit les enjeux des rapports sociaux à l'heure des nouvelles technologies avec suffisamment de prescience pour élaborer un récit de science-fiction d'anticipation sans le charlatanisme si souvent associé au genre, les utilisant plutôt comme le reflet technocratique de la condition humaine. C'est qu'il exagère un quotidien composé de SMS et de réseaux sociaux, un quotidien d'homme-machine troublé lorsqu'une intelligence artificielle incarnée par une comédienne invisible (Scarlett Johansson) rend parfaitement la pareille à son comédien visible, mais gêné (Joaquin Phoenix). En dépossédant le couple de tout rapport physique, en inscrivant leur relation dans le registre du verbe – et rien d'autre – l'exercice d'écriture de Jonze élabore par là même une réflexion sur la nature de l'affection humaine, de la connaissance de Soi et de la méfiance ressentie envers autrui. Un grand programme moral, mais aussi philosophique et franchement romantique qui, n'en doutons plus, est une réussite sur toute la ligne.

Texte : Mathieu Li-Goyette
 
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Article publié le 13 janvier 2015.
 

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