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Les années 10 : La réalité virtuelle

Par Claire-Amélie Martinant



S’il est une technologie, un support audacieux qui a fait son entrée dans le grand bain du cinéma en cette dernière décennie, c’est bien la réalité virtuelle.

Initiatrice de narrations inédites — l’âge d’or du story telling — la réalité virtuelle s’offre toute entière, tel un nouveau terrain de jeu dont les explorations et les avancements sont déjà l’apanage d’un bon nombre d’artistes, réalisateurs.rices, techniciens.nes et compagnies de production spécialisées. C’est tout un microcosme qui s’est construit et tourne autour comme des mouches sur la viande qui tâtonnent, s’essaient, s’exposent et s’évertuent toujours à aller plus loin.
 
Cette aptitude créatrice inépuisable se déploie en un nombre indiscernable d’avenues à emprunter. La réalité virtuelle a cela de spécial qu’elle se caractérise par un élan, un potentiel exponentiel que nous voyons à peine émerger. En redéfinissant les codes de l’expression, en bonifiant les capacités sensorielles du sujet, autrement dit en manipulant nos sens, elle réussit indéniablement à créer l’état immersif. Celui-ci éclot d’abord par la combinaison magique de la vue et de l’ouïe, liées comme deux aimants, l’indispensable paire par laquelle notre monde disparaît pour en laisser poindre un autre. Le toucher y a été annexé en recourant à l’haptique, la « science du toucher » qui permet à notre corps d’explorer le contact de ses propres mains avec des objets. S’y est joint l’odorat, par l’incorporation au casque d’un conduit diffusant de l’air aromatisé ou parfumé. Quant au goût, je n’ai pas encore eu l’occasion de le tester ! Les études réalisées démontrent que celui-ci change en fonction de l’environnement dans lequel se trouve le sujet. Or, quels en seront les prochains aboutissements ?
 
L’ancêtre des casques se nomme Sensorama ; il ressemblait par sa forme à un photomaton et par son allure à une machine de fête foraine. On s’y asseyait sur une chaise en plastique et on enfilait la tête dans une demi-chambre noire pour fixer un écran planté devant soi et agiter des manettes qui se trouvaient sous les mains. Ainsi y étaient projetés des courts métrages qui requéraient le concours des sens du sujet. Aujourd’hui, les aspects physiques et ergonomiques ont bien changé. À leurs balbutiements, les films de la réalité virtuelle revêtaient tous un look pixelisé qui rendait le plongeon difficile, l’environnement peu crédible. Le champ de vision s’arrêtait à 180 degrés. Lorsqu’on arrivait au bout, il n’y avait rien. Le vide. Comme si la bobine avait été coupée nette ou que le code avait manqué. Certaines expériences provoquaient un fort tournis, une nausée presque instantanée pour d’autres. Bien que la réalité virtuelle reste encore aujourd’hui la source d’autres effets secondaires, ils se sont dissipés grâce à l’évolution du produit fini, de son rendu et de sa technique de captation. Les casques peu confortables d’il y a dix ans, avec des fils qui s’entremêlaient parfois dans les jambes ou le dispositif, joignent maintenant l’utile à l’agréable grâce à une légèreté et une ajustabilité appréciables.
 
Avant-gardiste, la VR est aussi un domaine prisé par les gouvernements et les start-up qui investissent massivement dans cette nouvelle technologie, très attractive car elle touche énormément de domaines : l’architecture, la médecine, la santé physique et mentale, la science, l’informatique, les jeux vidéo et les arts, pour ne citer que ceux-ci. Montréal, n’y a pas échappé en devenant une des villes où le développement des technologies de pointe associées aux nouveaux médias est le plus encouragé et vivifié au point où l’île est devenue un bassin d’experts en la matière. Si le plus gros des profits engendrés par cette concentrationn’arrive pas jusqu’à la porte étroite des arts, elle propose une consolation de proximité aux artistes qui ont l’intelligence de comprendre et de prévoir les prochains tournants. C’est l’idée de détourner, d’absorber les avancées technologiques pour les gratifier d’un objectif inédit, d’une vision, d’une finalité singulière. Les arts numériques en font l’éloge tout comme le cinéma, qui s’en sert pour mieux servir l’imaginaire.
 
Depuis les débuts, le Centre Phi s’est positionné en diffuseur hors pair et chef de file en la matière. Il est un des rares centres culturel et artistique à Montréal qui met à la disposition du public une programmation variée et éclectique à longueur d’année. Nous citerons également le Festival du nouveau cinéma qui, avec la création de sa section FNC Explore, fut le premier festival montréalais à proposer une aussi large production de documentaires et de fictions (une trentaine en 2019), accessibles gratuitement pendant 10 jours. Les Rencontres internationales du documentaire ont suivi avec leur salle UXdoc qui présente des projetsinterrogeant des enjeux actuels d’une manière ludique et interactive.
 
Narrer les influences de la réalité virtuelle, ses applications et ses développements jusqu’à l’expérience en temps réel dans une salle de cinéma, tiendrait de la thèse — et je ne m’y lancerai pas. Rappelons simplement que les bouleversements et les stratégies révélatrices dont elle est originaire rendent grâce à la nécessité de raconter des histoires, mais surtout à l’importance de l’inventivité et de la sensibilité dans le travail de transmission. La réalité virtuelle nous renvoie à nos propres sciences sociales puisqu’elle s’en inspire et en reproduit les axes, les points de vue, les terrains, pour mieux répondre à nos exigences culturelles, à notre conformité morale. La ligne entre les deux mondes est mince et nul doute qu’elle s’étiolera dans les années à venir. Qui aura raison ? Vivrons-nous un jour complètement captif de ces abîmes ? Les prédictions ont assurément bon dos… Ce qui compte avec la réalité virtuelle, c’est qu’elle demeure avant tout une expérience personnelle qui a la faculté presque spirituelle de se mouvoir en promenade, en songe, en partage d’un moment, d’une vie, d’une réalité. Elle est un vecteur de sensations fortes, troublantes parfois et d’ouverture d’esprit sur un quotidien loin du nôtre lequel provoque un échange, une réciprocité avec le sujet, une promiscuité telle qu’elle peut s’apparenter à l’amitié.
 

 

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Article publié le 17 avril 2020.
 

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