ÉDITORIAL : À l'ombre de La Métropolitaine
L’équipe Infolettre   |

Rétrospective 2013 : Les meilleurs films de l'année (20-11)

Par Panorama - cinéma



GRAVITY
Alfonso Cuarón  |  États-Unis  |  2013

Sans aucun doute l’oeuvre cinématographique la plus techniquement accomplie de l’année, Gravity s’impose comme un essai épuré sur le plan narratif, mais des plus aventureux et ambitieux au niveau visuel. À l’opposé d’autres productions caressant les mêmes ambitions technologiques, où le scénario ne devient trop souvent qu’une béquille servant à distraire l’auditoire, le film de Cuarón adopte une position tranchante quant à la manière de raconter une histoire en 2013. C’est avec cette mission en tête que le duo Cuarón père et fils choisit de réduire le récit à sa plus simple expression – une approche qu’avait également adoptée Nicolas Winding Refn avec Drive. Le spectacle, la notion de survie, l’immensité de l’espace et du sentiment d'empathie agissent du coup comme principales sources de carburant de l’exercice. Le tout dans le but de créer une relation profonde et unique entre le personnage principal et le spectateur. Ce dernier saura remplir les blancs, de la même façon qu’il avait su le faire devant le Shame de Steve McQueen. Gravity nous laisse du coup tout l’espace désiré pour que nos propres convictions et valeurs morales se chargent de peupler cette quête de sens et d’espoir au coeur de l’infiniment grand.

Texte : Maxime Monast




L'ÉTRANGE COULEUR DES LARMES DE TON CORPS
Hélène Cattet, Bruno Forzani  |  France  |  2013

Si le duo constitué d’Hélène Cattet et Bruno Forzani impressionnaient déjà avec Amer, hommage à l’iconographie du giallo, son éthos et son empreinte sur l’imaginaire cinéphilique, ils signent probablement leur chef-d’oeuvre avec L’étrange couleur des larmes de ton corps – du moins, dans cette niche du neo-giallo qu’ils se sont creusés eux-mêmes. Cependant plus qu’un cinéma de la cinéphilie, ils agencent ici, tels des collagistes hors pairs et déjantés, d’innombrables références (des gialli de Martino et Argento aux bande dessinées fumetti ayant coexisté de près avec ce cinéma) en un film labyrinthique, dont la structure en spirale descendante ne cesse de surprendre, sans pour autant perdre en cohésion. S’inspirant d’ailleurs du processus de la mémoire pour tisser leurs scènes ensemble, les références deviennent matière brute dans un rigide système formel où style devient substance; où chaque bifurcation de la trame narrative la rend de plus en plus accessoire, voire inutile, laissant place à un écho, un souvenir. Véritable orgie de couleurs, de textures et de sons, L’étrange couleur des larmes de ton corps abonde de mille et une découvertes possibles; autant d’associations d’images et de moments de mise en scène époustouflants venant confirmer que le plaisir passe parfois d’abord par les sens.

Texte : Ariel Esteban Cayer




SUR LE RIVAGE DU MONDE
Sylvain L'Espérance  |  Québec  |  2012

Quelque part aux confluents du cinéma direct et de la vidéo d’art, l’héritage artistique de Sylvain L’Espérance irrigue son cinéma dans une forme en raffinage constant depuis Les printemps incertains (1992). Troisième long métrage du cinéaste en terre malienne, d’une écoute tenace et intègre caractérisant son travail, Sur le rivage du monde additionne et entrecroise les récits des « refoulés », ces marginaux tristement ordinaires de l’Afrique, en quête d’un eldorado européen ou américain. Le geste cinématographique de L’Espérance, humble, discret, fort, ose une mise en scène documentaire dignifiant la parole confiée. Ainsi, témoignage frontal de la sauvagerie de la déportation et récit des horreurs par l’expressivité d’une répétition théâtrale se trouvent liés de sens par de saisissants tableaux vivants de Bamako, aux textures sonores de vent dans les arbres, de pluie diluvienne, de rumeur citadine et de vrombissements de moteurs; autant de moments de recueillement privilégiés. Et hop! exit tout militantisme : le politique s’infiltre volontairement dans les interstices poétiques d’un montage ingénieux. Boudé indûment au box-office, Sur le rivage du monde n’en demeure pas moins l'un des rares grands documents d’art distribués en 2013.

Texte : Olivier Lamothe




BLUE JASMINE
Woody Allen  |  États-Unis  |  2013

À l’âge de 78 ans, ne laissant paraître aucun signe de ralentissement, Woody Allen nous offre avec Blue Jasmine son meilleur film en près d’une décennie. Bien qu’il y en ait eu de très beaux depuis, cet inévitable rendez-vous annuel s’est également révélé être un retour au type de tragicomédie que l’on ne croyait plus possible depuis l’époque d’Hannah and Her Sisters : Allen y signe le portrait sensible, drôle et incisif d’une femme tombée de haut, jadis riche et mariée à un escroc de l’immobilier, maintenant dépourvue, forcée de renouer avec une famille qu’elle a regardée de haut toute sa vie. Mettant en scène une Cate Blanchett époustouflante, entourée, entre autres, du surprenant Andy Dice Clay, de l’excellente Sally Hawkins et de Louis C.K. dans un rôle de soutien, Blue Jasmine met également en scène l'une des distributions les plus fortes et inspirées du cinéaste, lui qui nous avait habitués récemment à des formations « all-star » plutôt faciles. Et bien qu’il nous donne maintes occasions de rire à gorge déployée, c’est dans sa juste mélancolie, son regard doux-amer sur la famille, les classes sociales à l’américaine et son traitement téméraire de la névrose au féminin qu’Allen nous rappelle qu’il est encore un grand maître.

Texte : Ariel Esteban Cayer




STORY OF MY DEATH
Albert Serra  |  Espagne  |  2013

Réflexion à la fois austère et flamboyante sur le passage d'une ère à une autre, sur l'inexorable transition qui mène de la décadence à la sauvagerie, le plus récent film d'Albert Serra met le passé en scène pour mieux mettre en lumière le présent. Tout comme il l'avait fait dans L'honneur de la cavalerie et Le chant des oiseaux, le cinéaste catalan s'approprie des figures iconiques de la littérature classique, ici Casanova et Dracula, et pose sur celles-ci un regard à la fois cru et raffiné, viscéral et cérébral – fracassant par le fait même les conventions guindées de la représentation de l'Histoire à l'écran. Image bestiale, primitive, occulte : chez Serra, le cadre inflexible cherche à contenir la violence des pulsions qui s'y expriment, établissant une frontière par-delà laquelle rôde la grande noirceur dans laquelle s'engouffreront éventuellement les hommes, les idées, les civilisations, l'humanité. Toutes ces choses qui baignent ici dans un clair-obscur corrupteur, jusqu'à ce que la nuit prenne le dessus sur tout.

Texte : Alexandre Fontaine Rousseau




LIKE SOMEONE IN LOVE
Abbas Kiarostami  |  France  |  2012

Eh non! Contrairement à ce que suggèrent les ouï-dire, Abbas Kiarostami n’a pas flegmatiquement vendu son âme à l’Occident. En revanche, Like Someone in Love demeure une proposition esthétique aussi radicale qu’elle n’en a aucunement l’air à priori. Toujours expatrié, l’auteur iranien tourne au Japon, donnant corps à un ensemble de quiproquos et de faux-semblants dans lequel le spectateur possède souvent plus d’indices que les personnages. Alors, le siège arrière d’un taxi ou la voiture d’un professeur d’université retraité devient autant lieu transitoire que plateforme dramatique, plaçant l’incommunicabilité au coeur d’un tourbillon subtil de huis clos et de fuite. Travail précis sur les ambiances sonores, cadres dans le cadre, reflets et hors champs évitant d’en dire trop : la mise en scène, truculente d'un réalisme astucieux et d’abstractions, évite le didactisme et invite plutôt à une dialectique platonicienne cohérente. En somme, l’objet filmique s’enrichit à mesure que se meuvent les âmes des personnages, et point de guérison sans le processus d’adversité qui la rend possible. Étiolé, le cinéma de Kiarostami? Pas du tout. On se sera obstiné sur une virgule dans l’oeuvre du maître, franche ponctuation de l’année cinéphilique.

Texte : Olivier Lamothe




CAMILLE CLAUDEL 1915
Bruno Dumont  |  France  |  2013

Vraiment? Un « Bruno Dumont » en rien complaisant face à la cruauté profonde qu’il met en scène? Malgré son dur propos, Camille Claudel 1915 détonne de bonne volonté, et pour une première fois de manière aussi flagrante dans l’oeuvre de Dumont, l’appel à l’empathie prend plus affirmativement le pas sur la détresse existentielle. Forgé d’une rigoureuse vraisemblance – direction artistique impeccable, ressemblance physique des acteurs, utilisation de vraies patientes en psychiatrie et, surtout, texte basé sur les correspondances authentiques entre Camille et son frère Paul –, le film s’éloigne néanmoins complètement de l’habituelle construction démonstrative éculée du film biographique. Raconter Camille, oui, mais 1915 particulièrement, un moment du début de son internement où la pauvre, lasse et désespérée, n’attend qu’une chose : une visite salvatrice de Paul. Première actrice professionnelle chez Dumont, Juliette Binoche n’incarne pas qu’un rôle : elle participe à la mise en scène, comme en témoigne sa gestuelle de petites résistances et d’abandons, résonnant jusque dans son faciès et son texte névrotique mâché de l’intérieur. On irait même jusqu’à dire qu’elle désinhibe le potentiel photographique du réalisateur, lequel convoque mieux que jamais le sublime extrêmement silencieux du paysage cinématographique. Passionnant jalon dans le cinéma français actuel!

Texte : Olivier Lamothe




UPSTREAM COLOR
Shane Carruth  |  États-Unis  |  2013

Pour un premier long métrage en neuf ans – et deuxième en carrière –, Shane Carruth démontre la confiance d’un artiste fortement établi. Que ce soit de par sa trame narrative des plus complexes, son traitement sonore étoffé ou son travail sans compromis au niveau du montage, Upstream Color est simplement trop innovateur pour être mis de côté. Au coeur d’une année dominée par les films de super-héros unidimensionnels et de piètres excuses pour un scénario, Carruth orchestre une oeuvre d’une densité ahurissante. S'imprégnant du Walden d’Henry David Thoreau – littéralement, mais aussi subconsciemment –, le présent long métrage repousse les limites de notre compréhension du monde et de l’espace qui nous lie. Les liens que tisse Carruth sont forts et difficile à défaire. Par contre, comme pour son excellent Primer, n’importe quel spectateur moindrement attentif et prêt à se laisser transporter sera immensément récompensé à la fin du voyage. Upstream Color est de ces films dont chaque visionnement révèle de nouveaux secrets, nous immisçant un peu plus dans cet univers insaisissable et magnifique que Carruth aura su matérialiser de main de maître.

Texte : Maxime Monast




INSIDE LLEWYN DAVIS
Ethan Coen, Joel Coen  |  États-Unis  |  2013

Combien de routes un homme doit-il sillonner avant qu'on puisse l'appeler ainsi? La sempiternelle question de Bob Dylan souffle dans le vent hivernal d'Inside Llewyn Davis, poème bohème sur l'échec et l'indépendance créative. Guitare sur le dos et chat sous le bras, le chanteur folk rampe dans le creux des caniveaux de la Grosse Pomme; la vie ne l'attend pas, ses copines ne l'attendent plus et son gérant ne l'a jamais attendu. La grisaille lui remplit les narines, le mauvais sort s'acharne avec comme seul cran d'arrêt l'humour incisif des frères Coen qui signent une comédie où l'on pleure plus que l'on ne rit. Avec comme seule consolation quelques dollars ramassés dans un bar, Llewyn est l'artiste paumé que tout le monde connaît, le gars sans compromis, imprévisible, le gars toujours en retard au train pour nulle part, un caillou qui roule, roule et roule. Si le film est distingué et maîtrisé comme peu s'en targuent, sa morale, elle, est d'une humilité salvatrice en ces temps d'individualisme : peu importe où, peu importe qui et peu importe comment, il y aura toujours meilleur que soi.

Texte : Mathieu Li-Goyette




ONLY GOD FORGIVES
Nicolas Winding Refn  |  Danemark  |  2013

Dire que l'étonnant Only God Forgives a « divisé » la critique suite à l'accueil généralement dithyrambique réservé à Drive serait un généreux euphémisme. Au moment de sa sortie à Cannes, le plus récent film de Nicolas Winding Refn s'est en effet attiré les foudres d'à peu près tout le monde – personne ne sachant trop quoi faire de cette proposition atypique qui, à bien y penser, est pourtant l'une des plus purement cinématographiques de l'année 2013. De par son sujet, d'abord, celui de cette virilité archétypale écartelée, puis littéralement broyée par une mise en scène à la fois violente et éthérée. Corps vide à la dérive, flottant dans un univers de surfaces étincelantes, Ryan Gosling traverse ce troublant rêve éveillé tel un fantôme, s'effaçant finalement de l'écran faute d'avoir pu trouver quelque chose à quoi s'accrocher. Se délestant des attaches de la narration classique, privilégiant plutôt une pure logique de la sensation, Only God Forgives se révèle une expérience fascinante pour peu que l'on accepte que, si rien n'y est vrai, tout y est cinéma.

Texte : Alexandre Fontaine Rousseau
 
Présentation  |  25-21  |  20-11  |  10-01  |  Palmarès individuels
 
Envoyer par courriel  envoyer par courriel  imprimer cette critique  imprimer 
Article publié le 6 janvier 2014.
 

Rétrospectives


>> retour à l'index