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Les années 10 : Le B de Blumhouse

Par Olivier Thibodeau



Le modèle de production est pourtant si simple, et il a contribué de façon tellement significative à bâtir les grands studios hollywoodiens qu’il m’a toujours semblé triste de le voir s’abîmer dans l’ombre des superproductions contemporaines : le modèle A-B. Schéma pourtant éprouvé qui consiste à produire des films de genre à moindre coût pour accompagner la sortie en salles des productions de prestige, des films dits « de série B », dont la création et la mise en marché, parfois fort lucrative, offraient aux majors de l’Âge d’Or un triple avantage stratégique : 1) la possibilité de former et de tester sans risque les talents émergents de leurs écuries, 2) la prise de libertés créatives dans l’élaboration artistique des films et 3) le recoupement des coûts de production dans l’éventualité du flop commercial de productions plus onéreuses. C’est un principe élémentaire de gestion du risque : le potentiel de perte variable associé au A se trouve compensé par le potentiel de perte quasi nul du B. Aujourd’hui, il s’agit d’une pratique quasi abandonnée, du moins non-systémique, mais elle n’en est pas pour autant vétuste. D’ailleurs, si la dernière décennie cinématographique nous a appris quoi que ce soit, c’est bien la pertinence comptable de la série B dans l’écosystème cinématographique contemporain, telle qu’exemplifiée par l’essor météorique de la société Blumhouse Productions.

On aurait pu s’attendre à un changement de paradigme dès 1999, avec le succès planétaire insoupçonné du Blair Witch Project de Myrick et Sanchez, et de sa campagne de pub fauchée élaborée sur l’internet protozoaire. Des revenus de 250 millions pour 60 000 $ d’investissement : le film aurait facilement pu créer un précédent en tant que modèle de production. Hélas, il n’en fut rien. Il a fallu attendre encore dix ans, pour que la Blumhouse Productions alors naissante, forte alors d’une poignée de productions désormais oubliées (le Darwin Awards [2006] de Finn Taylor et le Accidental Husband [2008] de Griffin Dunne notamment) mais fort surtout d’une philosophie de production stratégico-économique géniale, ne parraine le Paranormal Activity (2009) d’Oren Peli. Avec un budget de travail d’environ 13 000 $ (le chiffre varie selon les sources) et un box-office mondial d’environ 195 millions, le film est devenu aujourd’hui, malgré sa piètre qualité cinématographique, l’une des œuvres les plus rentables de l’histoire du cinéma. On a beau adorer ou abhorrer Paranormal Activity — je le déteste — force est d’admettre qu’il constitue un modèle de triomphe économique qui remet en perspective tout le modèle hollywoodien actuel.

Dédiée à la production de films à petits budgets (entre un et cinq millions pour la plupart, jusqu’à dix pour l’artillerie lourde), la société mise sur pied par Jason Blum en 2000 propose aujourd’hui un modèle de production enviable axé, certes, sur la sérialité et la rentabilité, mais aussi sur l’innovation, la rigueur artistique et la mise en vitrine de talents émergents. En effet, nonobstant l’avènement de nombreuses séries monstres (Paranormal Activity [2007-2021], Insidious [2010-2018], The Purge [2013-2020]) et les impressionnantes performances de ses œuvres au box-office, Blumhouse est également responsable de quelques-unes des productions d’horreur les plus accomplies (Sinister [2012], Oculus [2014], Split [2017], Get Out [2017]), les plus innovatrices et les plus opportunes (The Bay [2014], Unfriended [2015], The Visit [2015], Creep [2015] Happy Death Day [2017], Cam [2018]) de la décennie. Elle constitue en outre une plateforme de lancement pour une poignée de réalisateurs talentueux comme Patrick Brice, Mike Flanagan, Damien Chazelle, et Jordan Peele, en plus de constituer le nouveau domicile des créateurs de Saw (2004) (James Wan et Leigh Whannell) et de M. Night Shyamalan. Blumhouse, ce n’est pas une compagnie, mais un modèle de production qui trouve son génie dans la rétrospection, c’est-à-dire dans le respect qu’il entretient à l’égard du triple axe stratégique imaginé par les producteurs de l’époque dorée. C’est la restitution d’un idéal de production qui dévie de la logique de « valeur sûre » qui semble calcifier aujourd’hui tout l’appareillage hollywoodien. C’est finalement un rappel du pouvoir organisateur de la production elle-même, de ce « génie du système » qui avait fait les choux gras de Tinseltown, et qui pourrait aujourd’hui en assurer la pérennité.

 

index du numéro

           

À la mémoire du bon vieux temps
par Sylvain Lavallée

Les conquérantes
par Claire Valade

Le B de Blumhouse
par Olivier Thibodeau

35 et 70 mm
par Samy Benammar

La mort du cinéma moyen
par Mathieu Li-Goyette

Réalité virtuelle
par Claire-Amélie Martinant

Les écarts
par Simon Laperrière

Distribution et disparition
par Francis Ouellette

 

              
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Article publié le 14 avril 2020.
 

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