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Rétrospective 2012 : Les 25 meilleurs films de l'année (10-01)

Par Panorama - cinéma



COSMOPOLIS
David Cronenberg  |  France  |  2012

Contre toute attente, Cosmopolis s’avéra être un retour inattendu et satisfaisant au coeur de l’univers typiquement transgressif des meilleurs films de David Cronenberg - univers ici retourné comme un gant et maintenu à distance à l’extérieur d’une limousine blindée. En effet, Cronenberg trouve dans cette adaptation du roman de Don DeLillo une nouvelle perspective avec laquelle aborder l’horreur institutionnelle et vaguement futuriste qui l’obsède depuis Crimes of the Future (1970) - moins sanglante, mais tout de même terrifiante, absurde et maintenant beaucoup plus vaste. La subjectivité d’une victime fait donc place à l’objectivité de l’oppresseur: Eric Packer, agent capitaliste autodestructeur, profondément aliéné et irresponsable, incarné à la perfection par un Robert Pattinson glacial. Si le film du Cronenberg de jadis se serait penché sur le personnage de Benno Levin (confrontation finale, incarnée par Paul Giamatti), le Cronenberg plus âgé trouve plus pertinent d’explorer un présent tout aussi tumultueux via un représentant du 1% et sa quête futile d’une coupe de cheveux, naviguant une ville saccagée par une populace enragée devant le « spectre du capitalisme ». Mis en relief à travers maintes rencontres denses et hermétiques (Baruchel, Amalric, Gadon et Binoche se succèdent, tous excellents en tant que conseilleurs, dissidents et autres), Cosmopolis est simplement l’un des films les plus aventureux de l’année, aux limites de l’inquiétante clairvoyance des meilleures oeuvre dystopiques.

Texte : Ariel Esteban Cayer




HABEMUS PAPAM
Nanni Moretti  |  Italie  |  2011

Si le Pape lui-même perdait la foi, qu'adviendrait-il de nous? La question nous taraude vite, que l’on y croit ou non. Mais ces interrogations aux proportions cosmiques s’affairent plus vite qu’on ne le pense à étudier le sol plutôt que le ciel. Dès l’ouverture en outre, le traitement est burlesque, presque loufoque. Au décès du Pape, les cardinaux se pressent, votent, puis prient le Seigneur de ne pas hériter de la charge suprême. Sur ces images de foi résonnent les murmures de ces pauvres vieillards piqués de terreur à la seule pensée d’être choisi. Moretti nous rappelle ainsi dans un long sourire cette religion du rire, magnifique paroisse dans laquelle nous aimons tous nous rendre. Cet art du décalage, si cher à la tradition italienne, est ici exécuté avec une rare maîtrise. Le discours, aussi délicat soit-il, plane le long de cette mince ligne qui sépare le drame de la comédie. Et, au milieu toujours, Moretti lui-même, affublé du titre de docteur en psychiatrie, athée impatient séquestré par le Vatican. Organisateur d’un tournoi de volleyball (superbe absurdité qui désamorce la fugue de l’élu), Moretti se joue des uniformes cintrés de l’Église pendant que son Pape, magistralement incarné par Michel Piccoli, déambule, âme parmi les âmes, dans les rues anonymes d’une Italie sur le qui-vive. Mais si la perte de la foi dresse un portrait plutôt pessimiste de l’état actuel de la religion, la rencontre de Piccoli avec la troupe de théâtre, et sa passion inaltérable pour Tchekhov, nous rappelle que l’existence humaine trouve raison en de multiples occasions et qu’il n’y a de croix que celle que l’on choisit de porter.

Texte : Élodie François




A SEPARATION
Asghar Farhadi  |  Iran  |  2011

Chaque film iranien parvenant à survivre jusqu’à nous semble être le fruit d’une distillation méticuleuse, concentrant les meilleurs éléments de ce cinéma national. Asghar Farhadi, pratiquement inconnu au Québec avant la sortie en salles de Une séparation, aura été découvert par le grand public suite à sa victoire aux Oscars de 2012. Partant d’un divorce comme prémisse somme toute banale, Farhadi ne dévoile jamais la seule carte qu’il met pourtant réellement sur table : celle du politique. Simin demande le divorce à son mari Nader, ce dernier ne pouvant la suivre en Occident pour se refaire une meilleure vie, à l’abri du climat sociopolitique oppressant. Nader refuse d’abandonner son vieux père atteint d’Alzheimer. Mais au delà d’un divorce calme et raisonné, rendu difficile par la lourdeur législative, au delà de l’aide-soignante qui intente un procès fallacieux contre Nader, on retient au final la relation qu’entretiennent les personnages entre eux-mêmes à l’égard des différentes institutions sociales, comme la mauvaise foi face à la morale, et sociétales, lorsque l’orgueil se rend devant la justice. Au jeu magnifique (et c’est peu dire!), ce chef-d’oeuvre de Farhadi a le génie d’avoir tout dit sans rien dévoiler, d’un coup de réalisme précis, exhortant à révéler de petites vérités enfouies dans les interstices invisibles du quotidien. Voilà tout d’un geste cinématographique aussi beau que critique, aussi pertinent que puissant.

Texte : Olivier Lamothe




ONCE UPON A TIME IN ANATOLIA
Nuri Bilge Ceylan  |  Turquie  |  2011

Véritable fresque cinématographique lancinante, Il était une fois en Anatolie aura été l'une des perles festivalières de 2011 au Festival du Nouveau Cinéma de Montréal, avant de recevoir un accueil discret en salles, en début d’année suivante. On retient ce geste esthétique puissant pour l’apparente candeur de la mise en scène, qui se bâtit à même le somptueux paysage, de même qu’à travers ses personnages aux moeurs douteuses, toujours avec mesure. Drame policier à la trame narrative dépourvue de ses artifices dramatiques habituels, Il était une fois en Anatolie amène sans presse le spectateur, comme un souffle chaud constant, dans les dédales d’une enquête improbable où le meurtrier avoué tente aussi bien que mal de rassembler ses souvenirs : il essaie d’indiquer aux policiers l’emplacement du cadavre. Mais dans ce décor naturel aride et monochrome, où une dune en bordure de route en vaut bien une autre (surtout pour le premier tiers du récit se déroulant la nuit - et quelle nuit où le jeu est sculpté par les phares des voitures!), c’est une mission décourageante qui semble d’emblée vouée à l’échec. Voilà le terrain par lequel on bifurque, moyennant un détour de 2h30 de photographie gargantuesque (le réalisateur est aussi artiste-photographe), prétexte à montrer, d’un regard amusé et plein d’attention, l’envers et l’endroit des mailles du tricot socioculturel duquel est issu Nuri Bilge Ceylan.

Texte : Olivier Lamothe




MOONRISE KINGDOM
Wes Anderson  |  États-Unis  |  2012

Peaufinant toujours plus cette esthétique du détail, de la minutie baroque ayant fait de lui l'un des cinéastes les plus aisément reconnaissables de sa génération, Wes Anderson signe avec Moonrise Kingdom une autre de ces comédies dramatiques (ou peut-être s'agit-il plutôt de drames comiques?) douces-amères dont il possède le secret. Sous son influence, le cinéma crée de petits univers auto-contenus, des microcosmes établissant en un tour de main leur propre logique et dans lesquels le spectateur s'installe avec bonheur; tant et si bien que l'on « habite » un film du cinéaste américain autant qu'on ne l'écoute. Maîtrisant parfaitement les éléments de sa grammaire cinématographique personnelle, qu'il démonte sous nos yeux par le biais d'un splendide prologue qui compte parmi les moments les plus inspirés de son oeuvre, le réalisateur offre l'un de ses films les plus invitants à ce jour – un coming of age marginal et attachant, porté par Le temps de l'amour de Françoise Hardy et les hululements de Hank Williams, teinté d'une mélancolie qui, n'en déplaise à ses détracteurs, ne relève pas du simple effet de style.

Texte : Alexandre Fontaine Rousseau




THE MASTER
Paul Thomas Anderson  |  États-Unis  |  2012

Cinq ans après le triomphe de There Will Be Blood, le réalisateur américain Paul Thomas Anderson nous livre un autre bijou cinématographique. Beaucoup plus onirique et loufoque que ses précédents essais, The Master persiste comme une oeuvre passionnée et hautement évocatrice. Durant ce voyage complexe au coeur de la psyché d’un homme à la dérive, Anderson se promène librement dans le temps et dans les pensées profondes pour évoquer les émotions contradictoires de son personnage principal, Freddie Quell (Joaquin Phoenix). Même si c’est sa rencontre avec ce nouveau prophète Lancaster Dodd (Philip Seymour Hoffman) qui demeure la source primaire de ce récit, l’étude psychologique de Freddie est la mire d’Anderson. Que celle-ci soit de la passion, de la manipulation, de la séduction ou de l’appât, le portrait qu’il dresse de cet homme est exécuté avec brio par Phoenix. En gardant un contrôle filmique toujours impeccable (plusieurs aiment faire la comparaison avec l’approche et l’exécution d’un certain Stanley Kubrick), Anderson nous transporte dans une fable fantomatique. The Master devient très vite un souvenir vague, une réverbération lointaine. Et au final, nous ne pouvons que croire à ce rêve qui hante l’écran.

Texte : Maxime Monast




BEASTS OF THE SOUTHERN WILD
Benh Zeitlin  |  États-Unis  |  2012

Si les super-héros auront trébuché cette année comme jamais auparavant avant de réussir, c'est qu'il y avait une faille à combler, voire une blessure à cicatriser. Pour que le mythe de l'Amérique persiste, il fallait d'abord rappeler sa faillibilité, puis reprouver sa capacité de régénération à tout un peuple de citoyens blessés. Deux saisons de blockbusters plus tard, le travail est fait. La grande idée de l'American Way of Life peut continuer de prospérer calmement et de tenir bien en laisse ces gens qu'elle condamne nécessairement à la misère. Mais le super-héro de l'année n'est pas né dans un manoir luxueux d'une ville imaginaire; non, il est né dans un marais crasseux de la Nouvelle-Orléans - là où l'on se retrouve constamment déchiré entre les crises économiques et les catastrophes naturelles cycliques -, et il se déplace dans une boîte de pick-up recyclé en bateau. Il n'est même pas un homme, mais une petite fille d'à peine six ans, qui possède cependant sur la vie, la nature et les gens qui l'entourent une vision chargée d'une sagesse instinctive et candide, libérée du poids éclatant des mythes extérieurs à son environnement. Hushpuppy appartient à une communauté, pas à une nation, et en ce sens, elle s'offre comme un contrepoids tout petit et léger - mais tellement humain - à une nation géante qui s'est élevée jusqu'à la lune sur des centaines de kilomètres d'argile. Là où on ne l'attend pas, la poésie répond, rétorque, se détend; le lyrisme s'oppose au manque de clairvoyance; l'émotion frappe pendant que l'Humanisme reprend sa place au centre de tout. Un petit film grand comme le monde.

Texte : Guillaume Fournier




SKYFALL
Sam Mendes  |  Royaume-Uni  |  2012

La plus infatigable des franchises de l'histoire du septième art n'y est pas allée de main morte pour célébrer son cinquantième anniversaire, l'excellent Skyfall livrant la proverbiale marchandise tant espérée tout en déjouant habilement les attentes de son public par une suite d'entorses ingénieuses à des conventions établies depuis cinq décennies. Arrivant à un équilibre parfait entre l'actualisation des enjeux de la série, plus que jamais au diapason des inquiétudes de son époque, et l'hommage ludique à ses origines, le film de Sam Mendes confirme la place de choix qu'occupe l'agent 007 dans le paysage cinématographique actuel - à mi-chemin entre cette modernité acérée caractérisant le règne de l'impitoyable Daniel Craig et le charme séducteur d'une tradition désuète qu'il revendique avec panache. Voilà un James Bond parfaitement post-moderne qui, plus que jamais, s'assume en tant que mythe de même qu'en tant qu'anachronisme et qui, par le fait même, a trouvé un sens au second degré qu'il cultive. De son côté, Javier Bardem livre ici l'une des performances les plus jouissives de l'année - incarnant un méchant de service particulièrement nuancé, tour à tour pathétique et terrifiant.

Texte : Alexandre Fontaine Rousseau




THE TURIN HORSE
Béla Tarr  |  Hongrie  |  2011

Le cheval de Turin, c’est l’ultime ouvrage du cinéaste hongrois Béla Tarr,  son point final de carrière. Dans ce dernier film comme dans les précédents, ici de façon peut-être plus appuyée, plus martelée, plus saturée, le public succombe au vortex visuel lent et répétitif pour y expérimenter la question de la fin; la fin de l’existence humaine, ou la fin de l’Existence elle-même, en ce qu’elle est indissociable des conditions matérielles du monde objectif. Béla Tarr signe ici un travail d’art visuel impressionnant dans lequel les éléments de la nature (une tempête de vent incessante qui harcèle) et la musique lourde et grave se fondent dans une composition de l’image qui fait presque totalement disparaître les formes les plus figuratives, pour ne laisser subsister qu’un bouquet chargé de formes contrastées de noir et blanc. Quelle substantialité pour la réalité présentée? En dépouillant l’apocalypse de sa dimension théologique et en aliénant l’être humain de son rapport à lui-même dans sa routine de survivance ordinaire, Le cheval de Turin cogne comme une brique à la fenêtre de nos angoisses existentielles les plus primitives. Voilà, en guise de clôture d’oeuvre, un testament nihiliste à parts égales d’âpreté et de beauté, dans la forme comme le fond.

Texte : Olivier Lamothe




HOLY MOTORS
Leos Carax  |  France  |  2012

Il n'y avait rien à savoir sur Holy Motors sinon que c'était le retour de Leos Carax en compagnie de son fidèle camarade Denis Lavant. Rien à savoir sinon que le duo derrière Boy Meets Girl, Mauvais sang et Les amants du Pont-Neuf revenait au grand écran vingt ans plus tard, vingt ans après des expériences échouées et des rêves avortés. Le maître maniéré renouait cette année avec les expérimentations cinématographiques les plus folles, ne repoussant pas tant les limites de la technique que celles du scénario et de la création d'atmosphère. Si Holy Motors marque le retour de Carax dans un monde qui a vu Lynch, le Français n'apparaît jamais pris au dépourvu et épate dix fois plutôt qu'une avec cette histoire d'homme passe-partout voguant sur Paris dans le ventre d'une limousine pleine à craquer de costumes et de personnages de cinéma. Le thriller, la science-fiction, la comédie musicale, l'absurde, l'horreur, tous les genres sont de la fête et se concrétisent avec le talent monumental de Lavant, prêt à tout pour chanter l'amour de la forme et de ses potentialités. Holy Motors aura été le film-consensus de l'année, assez universel pour plaire à tous, assez franc et puissant pour nous faire rêver à nouveau d'un cinéma si fort, si étoffé, qu'il entraînerait le réel avec lui.

Texte : Mathieu Li-Goyette
 
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Article publié le 4 janvier 2013.
 

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