WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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Rétrospective 2021 : Les meilleurs films de l'année (20-11)

Par La rédaction




MAD GOD
Phil Tippett  |  États-Unis  |  2021

Il n’y a pas d’œuvre plus impressionnante cette année que cet opus cauchemardesque, chef-d’œuvre du cinéma d’animation en volume, fruit du labeur amoureux et obsessif effectué par un artisan chevronné d’Hollywood, un artiste de l’ombre qui, plus d’une décennie durant, a peiné pour créer le monde immersif et fabuleux de Mad God en parallèle de son travail pour les grands studios. Bâtisseur clé de l’imaginaire cinématographique de notre enfance, Phil Tippett est un animateur connu pour son travail sur les films de Lucas, Spielberg et Verhoeven (les trois premiers Star Wars [1977-1983], Indiana Jones and the Temple of Doom [1984], RoboCop [1987], Willow [1988], Jurassic Park [1993] et Starship Troopers [1997]). C’est le père des TB-TT, de ED-209 et des Arachnides de Klendathu. Or, il nous livre aujourd’hui une ménagerie beaucoup plus inquiétante, un bestiaire horrifiant constitué de dieux déféquant et d’esclaves pelleteurs de merde, de chirurgiens zélés, de ventripotents anthropophages et d’individus sacrificiels produits en série, réunis dans une parodie grotesque de la dystopie capitaliste confessionnelle étasunienne qu’il rend dans un style postmoderne entre la science-fiction rétro gigeresque, l’expressionisme allemand et le caractère exploratoire de la fable psychédélique carrollienne (par voie des étranges fantasmes svankmajériens). Au-delà de son potentiel iconographique, le film constitue par contre un triomphe technique, évident dans chaque détail de chaque décor, de chaque costume, de chaque figure, dans la fluidité incroyable des mouvements, dans le maintien d’une atmosphère constamment révoltante et hypnotique, dans le déploiement d’un imaginaire et d’un savoir-faire qui ferait même rougir sa vénérable idole Ray Harryhausen. 

Texte : Olivier Thibodeau




WE'RE ALL GOING TO THE WORLD'S FAIR
Jane Schoenbrun |  États-Unis  |  2021

Dans une banlieue américaine à la fois emblématique et anonyme, la chambre d’une adolescente dévoile un univers abyssal et mystérieux, qui aspire les spectateurs·rices comme un trou noir. Casey (captivante Anna Cobb)  jeune esseulée comme les autres – est obsédée par YouTube et ce que la plateforme recèle d’expériences les plus extrêmes. Le World’s Fair Challenge, par exemple, se précise devant nous : un jeu à la narration mémétique rappelant les creepypastas, qui implique cependant un bref rituel filmé et un processus d’attente au terme duquel le joueur se verra… transformé. État de cette transformation malsaine, dont l’ambiguïté relève de la haute voltige (écoute-t-on un film d’horreur ? Ou plutôt le journal intime d’une adolescente tourmentée ?), ce premier long métrage de la cinéaste Jane Schoenbrun emprunte tout autant à la tradition du cinéma d’horreur dit de found footage (Blair Witch Project, Paranormal Activity, etc.) qu’au confessionnal adolescent glané « IRL ». Mais le film s’avère surtout être un des documents les plus pertinents de ces années pandémiques, capturant à merveille cette fréquence propre à la plus noire des nuits de cette période incertaine : où le malaise (adolescent, mais-pas-que) ayant pour seul exutoire le Web est décuplé, transformé, sans horizon certain. Tourné de manière frontale et provocante, à renfort d’une simple webcam, World’s Fair est intransigeant et confrontant, absolument immersif dans son articulation de la solitude, de l’aliénation, de la dysphorie de genre et de la dépression qui gruge et guette au détour. Par cette résonance, il se dévoile comme un film d’horreur vital  et un nouveau classique du genre.

Texte : Ariel Esteban Cayer


MALIGNANT
James Wan  |  États-Unis  |  2021

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le plus récent film de James Wan est étonnant. Durant une quinzaine de minutes, le cinéaste américain fait d’abord mine de poursuivre dans la lignée plus classique de Insidious et The Conjuring. On croit déceler, parmi les indices essaimés ici et là, un quelconque récit de possession qui permettra à Wan de nous refaire ses tours de passe-passe habituels. Mais quelque chose cloche, dès les premiers instants de cette mise en situation trompeuse. Une sorte d’extravagance outrancière bouillonne, sous la surface faussement familière de cette introduction un peu routinière. Malignant, rapidement, se met à cumuler les idées absurdes pigées à gauche et à droite dans la culture cinéphile de son auteur. Entre ses deux détectives qui semblent débarquer de The X-Files, son synopsis rappelant les récits d’horreur télépathique de Lucio Fulci, ses éclairages dignes d’un Dario Argento, son meurtrier que l’on croirait imaginé par Wes Craven, son fétichisme de la VHS évoquant les bonnes années d’un Hideo Nakata et sa pirouette narrative sortie des pages d’un Stephen King, Malignant est un assemblage hétéroclite d’envies de cinéma qui tient à peine la route mais carbure à l’enthousiasme pur jusqu’à la ligne d’arrivée. Dans un paysage hollywoodien dominé par les franchises, les suites et les relances, Wan se démarque de façon éclatante en canalisant l’imprévisible folie des premiers Takashi Miike, signant un film d’horreur qui assume de façon réjouissante son ridicule consommé sans jamais sombrer dans le simple pastiche et sans non plus céder à la tentation de la nostalgie ambiante. 

Texte : Alexandre Fontaine Rousseau


LOST BOYS
Sadri Cetinkaya et Joonas Neuvonen  |  Finlande  |  2020

S’il rappelle l’impudence d’œuvres comme Trainspotting ou Enter the Void dans sa représentation des excès d’une jeunesse délinquante, Lost Boys se distingue sur au moins un point primordial : ses images sont véridiques, le film est un documentaire. Suite de Reindeerspotting, sorti 10 ans plus tôt, on y expose deux voyages bien différents — dans le premier, les Finlandais Antti et Joonas (le réalisateur) accompagnent leur ami Jani en Thaïlande et au Cambodge pour célébrer sa sortie de prison par une débauche en règle. Dans des chambres d’hôtels miteux, la caméra à l’épaule détaille les gestes sûrs des injections, ceux plus hésitants de l’inhalation du yaba (mélange de méthamphétamine et de caféine), l’exaltation du visage des jeunes hommes après leur dose, les travailleuses du sexe... Le deuxième voyage concerne quant à lui le retour de Joonas sur les lieux précédemment visités dans une tentative de trouver une explication à la mort suspecte de Jani, resté en Asie pour poursuivre sa déchéance avec sa nouvelle copine prostituée. À travers les confidences des témoins, braderies des revendeurs de drogue et nombreux plans nocturnes des quartiers chauds, c’est un endroit profondément corrompu et inquiétant qui s’esquisse, un Disney Land du vice où l’argent achète tout mais attire aussi le malheur. L’aventure qu’on nous contraint ainsi à suivre, guidée par une voix off décharnée qui nous livre les réflexions du cinéaste, bouleverse par sa transparence. Caractéristique des nouvelles générations, cette pulsion à tout capter par caméra, y compris les facettes les plus sordides de l’humanité, produit une œuvre gonzo qui dépasse le simple voyeurisme en nous confrontant à notre propre vulnérabilité, portant à réfléchir sur le mal et les chimères qui nous entourent ; celles des drogues dures, certes, mais aussi celles des amitiés et des amours aveugles. 

Texte : Anthony Morin-Hébert




THE FRENCH DISPATCH of the Liberty, Kansas Evening Sun
Wes Anderson  |  États-Unis/Allemagne  |  2021

« However you do it, make it look like you wrote it that way on purpose. ». C’est l’unique conseil que donne Arthur Howitzer Jr. (Bill Murray) à ses rédacteurs. Il s’agit d’un conseil qui résonne sans doute chez quiconque a déjà dérapé au détour d’une phrase, mais surtout, un conseil qui pointe ici vers le maniérisme particulier du cinéma de Wes Anderson  dont la virtuosité pour le moins délibérée s’avère en alternance lassante et enivrante. Et bien que The French Dispatch soit fidèle aux attentes qu’on se fasse de son cinéma, le réalisateur est ici au sommet d’une forme qui en devient, par le fait même, réflexive.

The French Dispatch, structuré autour des cinq articles du dernier numéro de l’illustre magazine en question (table des matières, carnet de voyage, grand portrait d’artiste, reportage politique, chronique gastronomique et ultime notice nécrologique), permet à Anderson de s’attarder à sa propre méthode. Il trouve, par l’entremise de ce groupe de journalistes excentriques, un analogue de sa démarche et de ce qu’elle peut impliquer de recul et de calcul ; de distance et de déformation ; de canonisation et de jugement de valeur ; bref, de ce qu’implique de se placer ainsi à l’extérieur, par-delà ou par-dessus, d’un objet culturel digne de fascination (à l’image de ces plans emblématiques où la caméra de Wes surplombe sa création). Au carrefour culturel France-États-Unis d’une certaine décennie et au fil de quatre subjectivités distinctes, The French Dispatch décortique comment s’entremêlent les histoires personnelles et factuelles ; les d’objets d’arts et ceux du quotidien ; le bon goût comme le mauvais, et ainsi de suite. Autant de détails que le cinéaste, en commissaire maniaque, s’efforce d’extirper des flots du temps, de retrouver, de restaurer, de reconstruire et de réinterpréter au fil d’une filmographie dont chaque film représente un exposé différent.

Plus qu’un film sur le journalisme, The French Dispatch se dévoile ainsi tel un film sur l’art — peinture, gastronomie, révolution — et ce que l’Histoire en fait. Par l’entremise du travail de ces journalistes — eux-mêmes des pièces dans l’édifice du cinéaste —, on observe la distance entre l’événement et ce qui en restera de récit ; dans quels tiroirs ceux-ci aboutissent une fois vécus, digérés, écrits, réécrits, révisés, et transformés en petites pépites de fiction parfaitement construites. En ce sens, The French Dispatch nous apparaît, non pas comme un autre Wes Anderson, mais plutôt comme une mise en abîme habile de l’œuvre : un film incarné et humain qui opère une percée claire dans une trajectoire devenue, jusqu’ici, prévisible.

Texte : Ariel Esteban Cayer




COW
Andrea Arnold  |  Royaume-Uni  |  2021

Andrea Arnold n’aurait pas pu trouver de meilleure vache à filmer : elle semble tout droit sortie de son cinéma, dans la solitude et la souffrance qu’elle exhibe, prisonnière d’un système carcéral masculin, mais faisant entendre sa révolte à force de beuglements, là où ses paires semblent obéir dans le silence. Bien sûr, il y a une limite à anthropomorphiser l’animal, à en faire un personnage humain, mais l’intelligence d’Arnold réside dans sa capacité à filmer cette pure altérité, à nous mettre devant un être que nous semblons comprendre, qui semble ressentir des émotions reconnaissables, alors même qu’elle nous échappe, et que son regard nous questionne depuis un monde qui nous demeure étranger. La cinéaste rejoue ainsi certains de ses thèmes dans un nouveau contexte, en filmant un être vivant, avec tout ce que cela implique de conscience, de présence, de mystère, pris dans un milieu qui cherche à l’asservir : dans le cas présent, un dispositif qui fait d’une vache une simple vache, prête à l’exploitation. Avec sa mise en scène tournée vers la sensation et le sensible, Cow tient plus de l’essai filmique que du documentaire, Arnold poursuivant son œuvre à travers ce détour réussi, pour nous confirmer, à nouveau, l’importance et la singularité de sa vision.

Texte : Sylvain Lavallée




MEMORIA
Apichatpong Weerasethakul  |  Colombie/Thaïlande  |  2021

Si le son a toujours eu une place prédominante dans l’œuvre d’Apichatpong Weerasethakul, il en devient l’élément central avec son dernier long métrage Memoria. Le son qui traverse le film porte en lui une mémoire qu’il garde en vie par sa résonnance. On le décrit comme « un grondement provenant du noyau de la Terre ». Est-ce le son initial ? le son final ? le son du Big Bang ? Il y a décidément quelque chose comme une recherche de l’origine dans la quête de la protagoniste du film. Il y a dans ce son quelque chose de si éloigné qu’il en est abstrait et mystérieux. Quelque chose de si proche qu’il en est commun et effrayant.

Avec Memoria, Apichatpong Weerasethakul s’éloigne de son pays natal pour mieux se perdre dans les contrées qui ont vu naître les romans d’aventures ayant formé une partie de son imaginaire lorsqu’il était enfant. Le cinéaste rend aussi hommage à Jacques Tourneur en donnant au personnage interprété par Tilda Swinton le nom de Jessica Holland, reprenant celui de Christine Gordon dans I walked with a zombie. À son image, elle est une étrangère établie dans un pays qu’elle ne comprend pas encore complètement et semble possédée, se déplaçant en transe, suivant les sons dans un parcours hypnotique qui la mène jusque dans la jungle. Memoria nous rappelle la réelle puissance du son à une époque où le cinéma populaire nous sature de sons anesthésiants. Or le son originaire de Memoria n’est pas choisi aléatoirement. C’est un bang. Un impact. Quelque chose comme une détonation, une violence. Résonnant dans un pays qui a traversé des décennies de conflits armés, à l’instar de la Thaïlande du cinéaste.

Ce qui est parti d’une extrapolation sur le « exploding head syndrome » que Weerasethakul a vécu s’est développé en une prolongation logique et fonctionnelle de son travail cinématographique sur la mémoire (et sur le cinéma), autant personnelle que collective. Le film s’ouvre sur un son lourd, de densité et de sens, qui résonnera jusqu’à sa conclusion. Entre les deux, un chemin effectué en transe, à rebours, par un personnage qui capte les vibrations mémorielles, les fragments d’un récit d’amnésie spatialisée, se glissant d’un film à un autre, traversant le temps aisément par l’entremise de la mémoire, ressentant un son qui ne lui appartient pas initialement, mais qui finit par résonner universellement. Comme la réverbération des traumas.

Texte : David Fortin




PROMISING YOUNG WOMAN
Emerald Fennell  |  États-Unis  |  2020

Né d’une colère immense et légitime, Promising Young Woman s’annonce comme un récit de vengeance. Il s’agit plutôt, toutes proportions gardées, d’un film sur la douleur et la survie. À la violence cathartique que promet sa prémisse se substitue au bout du compte une réflexion autrement plus complexe sur la difficulté de reprendre pied, de composer avec les séquelles d’un traumatisme. Emerald Fennell se refuse surtout à résumer Cassie, son héroïne tragique, à sa seule vulnérabilité ou au contraire à une force surhumaine qui lui permettrait de se faire justice. Tout le film repose sur ces brusques basculements, ces subtils vacillements par lesquels se révèle la souffrance qui l’habite. Cassie est rongée par sa colère, isolée par la méfiance qu’engendre celle-ci, s’épuisant elle-même à force d’avoir à ériger une façade pour se protéger d’un monde dont elle ne comprend que trop bien le fonctionnement. Cette ivresse simulée se dissipant subitement, dans la première partie du film, est à l’image de ce que vit réellement Cassie ; tout n’est plus que contrôle, dans ce quotidien où chaque geste semble dicté par les mécanismes de défense qui lui permettent de subsister. L’écriture parfaitement maîtrisée de Fennell repose elle aussi sur de telles volte-face, faisant preuve d’une grande tendresse avant de s’envenimer pour déconstruire les rouages sociaux et juridiques sur lesquels repose l’impunité des agresseurs. Tous ces contrastes sur lesquels repose Promising Young Woman sont ainsi au service d’une remarquable cohérence interne, à commencer par cette facture faussement pop et colorée masquant sa véritable nature vitriolée ainsi que son impitoyable lucidité. 

Texte : Alexandre Fontaine Rousseau


STORY OF THE SOUTHERN ISLET
Keat Aun Choung  |  Malaisie  |  2020

Frayant avec l’horreur sans jamais basculer dans la violence, préférant l’inquiétude planante et diffuse à l’effusion, ce premier long métrage de Keat Aun Chong s’inspire de souvenirs d’enfance du réalisateur pour nous plonger dans les arcanes du folklore malaisien. Fin des années 1970, dans la région rurale du Kedah, un paysan de descendance chinoise tombe mystérieusement malade ; l’homme soupçonne l’ire d’un Datuk Gong, un esprit gardien de la nature, tandis que sa femme, sceptique et éduquée à l’occidentale, cherche une solution rationnelle à sa condition. Des mois s’écoulent et rien ne soulage le malheureux qui reste prisonnier de sa catatonie en dépit des médicaments, incitant la femme à ouvrir ses horizons et à se tourner vers des méthodes de guérison traditionnelles. Aucune explication claire n’est apportée au mal qui sévit, maintenant la protagoniste et les spectateurs∙rices dans un perpétuel état de doute que nourrit la grande attention portée aux superstitions et rituels des villageois, autels dédiés au Datuk Gong, objets sacrés et pratiques chamaniques. Le film fait apparaître à quelques reprises des revenants décapités et des entités humanoïdes qui fascinent par leur étrangeté, d’autant que nous sommes souvent les seuls à les apercevoir, dans une ruse magnifiée par les images qui décadrent les personnages, les relayant aux limites du plan, ou qui révèle leur petitesse par de larges plans d’ensemble — l’impression sinistre qu’ils sont observés par quelqu’un ou quelque chose est prégnante. Par le vacillement constant entre le doute rationnel et les croyances populaires, c’est une réflexion sur la société malaisienne qui s’esquisse ; sur son rapport conflictuel à la tradition et à la modernité, mais aussi sur sa mixité culturelle qui est réprimée par un gouvernement ségrégationniste et xénophobe. Tout en lenteur, Story of Southern Islet est une œuvre envoûtante qui annonce l’arrivée d’une nouvelle voix prometteuse du cinéma sud-asiatique.

Texte : Anthony Morin-Hébert


DAYS
Tsai Ming-liang   |  Taïwan  |  2020

D’aucuns ont souligné que Days, film du retour de Tsai après que ce dernier eût annoncé en 2013 avoir l’intention de quitter le cinéma, n’était pas le plus saisissant des films du cinéaste. Refaire un film après coup ne pouvait sans doute que susciter ce genre de remarques comparatives, pour un cinéaste qui a autant amplifié l’expérience cinéphile tout en situant ses films au ras de la vie. En une série de plans à la sensorialité très dense où l’on retrouve la présence prégnante de Kang (habituel Lee Kang-sheng) aux côtés de son amant Non, Days accomplit cependant tout ce que l’on peut espérer d’un film de Tsai, c’est-à-dire un appel à ralentir qui atteint le corps. Les motifs récurrents de la pluie qui tombe, du corps s’offrant comme vulnérable et disponible, des immeubles décharnés, de l’urbanité qui implacablement s’agite, se noyautent autour du massage que performe Non sur Lee, intervention dont la charge érotique nous aspire émotivement. La proximité construite par la caméra braquée sur les réactions de Lee vis-à-vis du geste généreux et ample de Non noue une profonde complicité affective entre les deux corps, qui ne fait que s’accroître par le contraste qu’offre la distance relationnelle entre les amants de passage. Tous deux retourneront en effet à leur vie par la suite, tout continuera d’être, selon une approche bouddhique du temps en laquelle on décèle toujours une critique vis-à-vis de la déshumanisation du monde contemporain. Car chez Tsai, la résistance est une immanence somatique dont la puissance sait se transfuser en nos organismes isolés. Elle s’apparente à une médecine des humeurs et des méridiens, remplissant empathiquement nos douleurs lancinantes et parcellisées.

Texte : Maude Trottier

 
Présentation  |  30-21  |  20-11  |  10-1  |  10 courts métrages  |  Palmarès individuels
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Article publié le 20 janvier 2022.
 

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