ÉDITORIAL : À l'ombre de La Métropolitaine
L’équipe Infolettre   |

Lait de poule : Jingle All the Way

Par Anthony Morin-Hébert

JINGLE ALL THE WAY
Brian Levant  |  États-Unis  |  1996  |  89 minutes

De manière imprécise, je me rappelle avoir vu Jingle All the Way sur la télé 15 pouces occupant la salle à manger de mes grands-parents. J'étais en congé des fêtes et le film passait sur les ondes de TQS. J'en ai gardé le souvenir d'une parade, du visage grimaçant d'Arnold Schwarzenegger que je ne connaissais pas encore, d'un chaos et d'une frénésie survoltés, de cette énergie singulière qui semble animer tous les films de Noël des années 1990, formée de neige artificielle, d'un excès de lumières colorées, de cuisines beiges et chaleureuses, d'enfants-rois exagérément naïfs, de pères irresponsables et de parfaites mères au foyer. Revoir ce film constituait un fantasme dangereux risquant de déformer le précieux souvenir que j'en avais conservé, aussi ai-je mis des années à m'autoriser ce plaisir. Le résultat est bienheureux : Jingle All the Way est aussi mauvais et agréable qu'il l'était dans ma mémoire.

Trop absorbé par son travail, un homme d'affaires (Schwarzenegger) néglige sa famille. Pour réparer ses torts, le père jure à son fils unique qu'il lui offrira la figurine de Turbo Man, son super-héros préféré, en cadeau. Le protagoniste brave donc les boutiques à la veille de Noël pour apprendre que le jouet est en rupture de stock généralisée : tous les parents s'arrachent ce cadeau à la mode. Le reste du film consiste en une enfilade de possibilités d'acquérir le joujou convoité qui se solderont toutes par d'injustes déconfitures – malmené par un policier, arnaqué par une mafia de pères Noël et entravé par un rival obsessif, le paternel est sans cesse déjoué par un hasard ridiculement inopportun. Les blagues de nains et la rapacité du rival sont certes peu inspirées, la musique et les zooms cabotins qui accentuent les malheurs du protagoniste sont énervants, mais qu'à cela ne tienne : la frivolité du colosse autrichien et ses imbéciles expressions faciales ne manquent pas de faire sourire. Trop imposant pour le rôle qu'il est censé jouer, Schwarzenegger insuffle une invraisemblance à ses rôles comiques qui rabaisse le seuil du suspension of disbelief à un niveau abyssal - rien n'est crédible, mais on s'en fout.

S'inspirant des phénomènes des Beanie Babies et des affreux Cabbage Patch Dolls, qui avaient suscité un engouement exagéré, le film énonce sa critique du consumérisme en représentant les parents comme une horde de sauvages capables de s'entretuer pour des frivolités. La figurine de Turbo Man prophétise ainsi la frénésie des éditions limitées, les files d'attente interminable(s) et l'égoïsme des scalpers qui ont pullulé ces dernières années et font désormais partie intégrante de notre culture occidentale. Les leçons de Baudrillard nous reviennent en tête alors qu'un personnage tonne contre les dirigeants d'entreprises et, entre deux gorgées de lait de poule, nous faisons vœu de simplicité volontaire. Comble de l'ironie : à la sortie de Jingle All the Way, la figurine de Turbo Man fut véritablement commercialisée. Aujourd'hui objet de collection, vous pouvez vous l'offrir à fort prix sur eBay ou vous contenter de sa récente réédition, elle aussi apparemment en rupture de stock.

 

Envoyer par courriel  envoyer par courriel  imprimer cette critique  imprimer 
Article publié le 21 décembre 2021.
 

Rétrospectives


>> retour à l'index