WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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Numéro Huit - Spécial animation

Par Panorama - cinéma



 


DE L'ENGRAIS POUR LA NOUVELLE ANNÉE

Difficile de ne pas voir l'année qui vient de se terminer comme le versant opposé de la précédente. En 2011, les propositions esthétiques étaient non seulement nombreuses, elles parvenaient à se replier parfaitement sur elles-mêmes, faisant quelques films grandioses au passage, mais symptomatiques d'un renouvellement progressif des formes plutôt que d'un cinéma sensible à ce qui se tramait autour de lui. En 2012, année d'une certaine fin du monde, année où les protestations se sont multipliées, où Assange et Anonymous sont devenus des héros populaires, le cinéma a rejoint la danse dans sa critique sans précédent d'un monde en faillite. Alors que l'euro chute, que la Grèce s'écrase et que les États-Unis se relèvent à peine d'une crise encore plus absurde que celle de 1929, il semble que même le plus commercial des films avait une dent contre le « système ». Cette organisation systémique des forces politiques qui nous entourent (autrement dit, le politique), on s'est plu à en tracer des démarcations sévères, à la mettre en scène pour mieux la voir imploser.

Le Mi6 de Skyfall aurait trahi un ancien agent et aurait même sacrifié Bond au profit d'une mission accomplie. Point final de l'ère Bush, 2008 nous avait confrontés à un Batman en mesure de faire les « sacrifices nécessaires » pour sauver Gotham. Cette année, l'avatar de la droite républicaine passait sa cape à un jeune policier désillusionné : la nouvelle ville aura son nouveau justicier, orphelin et fils du peuple. Les mythes héroïques font face à leur longévité artificielle et répondent par une révision profonde et sans concession de leur symbolisme.

L’Amérique du futur, Beasts of the Southern Wild s'est chargé de nous la montrer à notre plus grand désarroi. Les adieux à la reine expliquait comment un monde injuste l'était devenu un peu moins au temps de la Révolution française tout comme Les Misérables rendait hommage à la tradition socialiste de l'Hexagone. Elena, film russe passé inaperçu ici en faisait déjà état quand sa protagoniste, menée au bord du précipice par sa famille trop pauvre pour subvenir à ses besoins, décida de tuer son mari mieux nanti pour en récolter l'assurance. Cronenberg venait quant à lui de réaliser une oeuvre imparfaite, mais néanmoins emblématique de cette ère que nous traversons avec son Cosmopolis guindé et surjoué, l'écroulement souhaité du capitalisme scruté à partir des rails d'un parc d'attractions new-yorkisé. Au même moment, Cannes accueillait le retour en trombe de Carax avec une seconde histoire de limousine, celle d'un homme polymorphe capable de jouer le riche comme le pauvre, la créature des sous-sol parisiens comme l'assassin. Là, le cinéma se joignait à la dramaturgie en accomplissant un tour de force à la fois conceptuel et politique, nous restituant tous à l'intérieur d'un système. Oui, encore et toujours ce système.

Un système, une conception systémique du monde que cette année de cinéma nous aura révélée comme jamais, se glissant sous toutes les oeuvres, à toutes les sauces. Des films aussi éloignés que Carnage et La mise à l'aveugle parlaient du même problème. Qui avait-il d'autre qu'un système dans Le cheval de Turin. N'était-ce pas un système à l'état pur que cet aller et retour aliénant entre le champ et la ferme pour manger la vulgaire patate bouillie soir après soir? N'était-ce pas là le reflet de toute une humanité se croyant arrivée au bout de ses espérances et pourtant toujours déprimée?

Kim Nguyen a montré sans jamais l'exprimer l'impasse africaine, le sort des rebelles et des dictatures s'échangeant à coup de machettes la responsabilité des mitraillettes et des minerais extraits au nom de l'export vers l'Occident. Sans paroles, mais toujours en harmonie avec le Québécois, Ron Fricke revenait 20 ans après Baraka et démontrait la même vision globalisante dans Samsara, capable d'enrouler dans ses images et son montage poétique une masse si immense de tares et d'absurdités calculées que nous ne pouvions que nous sentir lourds de culpabilité. Bernard Émond fit même un film sur la question de la possession et de l'héritage pour faire réfléchir son public encore trop peu nombreux sur les écueils moraux du capitalisme et de sa pensée. Et ça, ce ne fut pas assez bien pour M. Guzzo.

2012 a arrêté de raconter la victoire des héros et leur ascension vers une condition supérieure. Cette année, il a été de mise de présenter des personnages accomplis, des individus chargés d'un lourd passé qui, malgré la réussite qu'ils avaient connue, se débattaient toujours avec un environnement au sein duquel ils ne pouvaient jamais totalement s'adapter. Ce fut la gloire d'un burlesque dramatique et cérébral comme celui de Faust ou celui, plus égayé, de Habemus Papam et de son pape tourmenté par la foi. Il a fallu 2 heures 30 minutes pour s'apercevoir que le personnage de disciple de Joaquin Phoenix n'avait pas changé en suivant la thérapie de The Master et qu'il était toujours ce jeune homme faible en proie à de graves carences maternelles. Plus que tout, le cinéma a formulé avec une rare clarté cette masse titanesque de mal-être, cette Melancholia qu'il a su analyser, mettre en évidence et faire vibrer.

*

Cette lourdeur des institutions officieuses et officielles (celles qui plongent dans l'impasse la famille d'Une séparation), nous ne l'aurions jamais ressentie autant si nous ne l'avions d'abord vécue dans la rue et à travers nos acquis aujourd'hui balayés. Les coupures budgétaires monstrueuses de 50% dans le fond pour le documentaire de Téléfilm Canada et celles touchant la totalité de l'organisme fédéral (justifiant 10,6 millions d'économies, soit le quatorzième d'un unique avion de chasse F-35 - 65 appareils sont en commande) annoncent un futur plutôt glauque pour le financement public canadien. Financement, il est peut-être utile de le rappeler, essentiel à l'ensemble de notre production de longs métrages distribués.

Outre la fermeture du pied-à-terre de l'Office Nationale du Film au centre-ville de Montréal (terminée la CinéRobothèque, fermé le cinéma ONF), le passage au numérique est bel et bien achevé tout comme la mode du 3D qui n'avait qu'un seul film embelli par le processus à nous proposer (le très beau, mais déjà détesté Life of Pi). Nous voilà donc doublement bredouilles, sans troisième dimension ni pelloche, comme si la 3D n'avait servi que d'alibi pour pixeliser nos écrans. Au final, seule la Cinémathèque québécoise semble avoir soufflé un peu avec une subvention de 500 000$ venant du ministère de la Culture à quelques semaines des élections. Sans complètement remettre sur pieds l'organisme, on peut aujourd'hui se rassurer : ce n'est pas l'an prochain que la cinémathèque fermera ses portes.

Dans la foulée de cette métamorphose drastique et rapide du paysage cinématographique montréalais, l'arrivée du flambant neuf Centre PHI fait espérer de beaux jours pour le circuit des salles qui sera renforcé sous peu avec l'ouverture du Station Vu de Mercier prévue pour le printemps 2014. Ajoutez à cela tout le courage de certains de nos distributeurs (je pense évidemment à Métropole, à EyeSteelFilm, mais aussi à FunFilm qui enchaînent les coups de dés dangereux, mais ô combien courageux), la première coopération entre le Festival international de films Fantasia et le Festival du Nouveau Cinéma, les récents succès de festivals autrefois considérés mineurs comme le Festival de films francophones Cinemania, les Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal et les Sommets de l'animation et vous aurez un portrait plutôt encourageant pour la cinéphilie québécoise.

Il ne restera plus aux films les plus singuliers qu'à poursuivre leur lutte quotidienne contre l'abrutissement et l'enfouissement des valeurs sociales, à être patients, à attendre que ce message se dissémine jusque dans les moindres terminaisons du cinéma populaire. Est-ce par gêne que le prochain Michael Bay a toutes les allures d'une parodie? Peut-être. Que cette lucidité se répande à son rythme; la critique se devra d'être patiente tout comme les spectateurs les plus exigeants, car la conscientisation n'est pas une qualité tendancieuse du cinéma politique, c'est une variable  aujourd'hui aussi essentielle que le café équitable et les initiatives d'économie locale. C'est du cinéma qui composte le réel et l'enrichit : du bio-cinéma.

Mathieu Li-Goyette
Rédacteur en chef
 
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Article publié le 10 janvier 2013.
 

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