WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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Vol 2. No 2. - Réalisatrices québécoises

Par Panorama - cinéma



 


ET SI GUZZO AVAIT RAISON?

Il est évident que Vincent Guzzo ne peut avoir raison. Ce guichetier frustré, propriétaire de 150 écrans au Québec, n’avait pas fini de déblatérer ses inepties sur le plateau de Tout le monde en parle le 9 février dernier qu’il était déjà crucifié de toute part. Et avec raison (« L’État ne devrait pas financer l’art. », etc.).

Guzzo, avec son « Guzzo » brodé sur les manches de sa chemise, ne commande pas le respect au sein des milieux culturels. Il représente un peu tout ce qu’on nous apprend à détester, ce gestionnaire qui semble avoir bien plus de considération pour son portefeuille que pour les « produits » qu’il vend. Mais le vrai problème de Vincent Guzzo, ce n’est pas tant qu’il défende son opinion (légitime) d’industriel, mais bien qu’il soit si bêta dans son argumentation, si plein de sophismes à revendre, qu’il est la cible idéale – pour ne pas dire la plus vulnérable – du cinéma d’auteur québécois.

Car certaines généralités prononcées par le propriétaire de salles ne sont pas à jeter : « Le cinéma, pour monsieur et madame tout le monde, c’est se divertir »; « Pour quel genre de films les gens sont prêts à payer 10 $ ? »; « Le public québécois boude le cinéma d’auteur, qu’il soit québécois, français ou d’ailleurs ».

Et c’est vrai, qu’on le veuille ou non, qu’on trouve le constat généraliste ou pas. L’importance qu’accorde la critique au cinéma, par exemple, n’est pas partagée par le plus large public. Ce dernier, quitte à dépenser 10 $, préfère les lieux communs, car le risque d’être déçu est toujours moins élevé. Et qu’il soit ensuite question du dernier Arnaud Desplechin ou du Rithy Panh, il faut dire que ça ne se bouscule pas aux portes, ni dans le public provincial (autant faut-il qu’il ait accès aux films) ni dans le public urbain des hautes sphères cinéphiles. Alors, pourquoi une telle levée de boucliers de la part du milieu? Pourquoi s’en prendre à ce grand ogre qui ne voudrait que vendre plus de billets?

Probablement parce qu’il y a une part – et nous disons bien une part – de vérité dans ce que Guzzo martèle sur toutes les tribunes où il est invité depuis un an. Probablement parce que le cinéma d’auteur québécois, d’une uniformité coincée qui se décalque de film en film depuis longtemps, se sent bien seul, qu’il n’invite pas suffisamment le public à comprendre le regard qu’il propose et qu’il ne lui donne pas assez à se divertir; et la diversion, c’est autant l’affaire des comédies potaches que de l’essai esthétique.

Pour qui réalise-t-on des films au Québec? Pour qui produit-on? Le fameux « large public », qui s’abonne à la télévision dégoulinante plus facilement qu’au cinéma dit d’auteur, n’a vraisemblablement pas les références ni les intérêts qu’ont nos cinéastes les plus authentiques, qu’ils soient primés ou discrets.

Le grand problème en creux de l’affaire Guzzo serait-il d’abord et avant tout un problème de sémiotique? Un dysfonctionnement dans la logique systémique du financement du cinéma québécois qui, entre « l’art et l’industrie », hésite entre le cinéma poubelle et la reconnaissance internationale¹? Il faut dire que les cas d'entre-deux sont rares... Il ne faut pas croire que le public lambda (c'est-à-dire tous ceux qui n'ont pas étudié spécifiquement le cinéma), avec la structure actuelle du système d’éducation, puisse bel et bien comprendre ce qui se trame dans un plan de Stéphane Lafleur, dans une expérimentation plastique de François Delisle ou ce qu’est, tel que Catherine Martin le conçoit dans Une jeune fille, l’incommunicabilité. Et ce serait fort présomptueux de lui en vouloir.

Ce n’est pas non plus remettre en question la sincérité de nos auteurs de cinéma que de dire ceci. Qu’on puisse prendre en grippe un ou deux d’entre eux, pour une question de goût, de rythme ou de philosophie de l’image ne remet pas en doute leur légitimité à faire du cinéma, ni même leur talent à le faire.

En l'état, il semble qu'il y a court-circuit entre la volonté de nos cinéastes et le monde tel qu’il est, les choses telles qu’elles sont. Peut-être qu’à trop vouloir détourner le quotidien des spectateurs à qui on offre ces films, peut-être qu’à trop se dissimuler dans la forteresse du « milieu » (on se rappellera le « va chier » de Xavier Dolan à Guzzo, pointe de cet iceberg auteuriste plus ou moins fâché, plus ou moins désespéré), on creuse le clivage grandissant entre les spectateurs et les créateurs qui se cherchent un public. Louis Cyr n’avait rien d’un grand film, mais il répondait à un besoin d’évasion auquel le cinéma, par définition, ne peut échapper : faire rêver le spectateur. Or le cinéma québécois peut-il encore nous faire rêver?

Denis Côté, craquant sous le talent de ses comédiennes, y est parvenu dans Vic + Flo ont vu un ours à la suite de Bestiaire. Simon Galiero, comme pour supplanter la grisaille de Nuages sur la ville, nous était revenu avec une comédie de situation douce-amère, La mise à l’aveugle. Dans les deux cas, le renouvellement de leur forme n’a pas hypothéqué l’intégrité de leur discours ni la portée intellectuelle de celui-ci.

Peut-être que si les partis industriels et artistiques du milieu étaient moins à cran, que si les propriétaires des salles travaillaient conjointement avec les cinéastes pour présenter leurs oeuvres, les encadrer, que si Guzzo et sa clique de l'Association des propriétaires de cinémas du Québec ne prenaient qu’une infime part de leurs profits pour mandater des panélistes et organiser des ateliers de sensibilisation à l’image dans les écoles des milieux défavorisés, on irait de l'avant.

Peut-être que si les cinéastes étaient plus nombreux à prendre la parole pour enjoindre le public à les comprendre pas à pas, que si la critique s’en prenait moins souvent au cinéma commercial pour saisir ce que ce même public y trouve et lui pointer patiemment du doigt ce qu’il dénicherait d’aussi émouvant dans notre cinéma comme dans celui des autres cultures, là aussi, on irait mieux.

Et peut-être que si le ministère de l’Éducation rendait obligatoire les cours de communication dès le début du secondaire (on m’a appris à coudre des boxers : on aurait bien pu m’apprendre à comprendre la publicité), peut-être que là, on pourrait imaginer un pont – bien plus important pour une société que ne l’est le Champlain – entre ceux qui vivent dans l’image et tous ceux qui la regardent.

En attendant, il fait peut-être bien de remettre à leur place Vincent Guzzo et ses lieutenants des tribunes populistes, mais face à la méfiance du public – qui se méfie autant des marchands que des intellectuels – la condescendance a toujours deux visages.

Mathieu Li-Goyette
Rédacteur en chef



¹ 
À ce sujet, on se référera à l'excellent texte d'Antoine Godin:
  Récit en crise : des plasticiens aux rebelles de service


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Article publié le 10 mars 2014.
 

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