Que signifie la réouverture de l’Ex-Centris? Si, depuis que la nouvelle est tombée dans une conférence de presse il y a de cela quelques semaines, une bonne partie de la communauté cinéphile se réjouit, c’est probablement pour de bonnes raisons. Cinq salles dans le cinéma Beaubien, puis trois au cinéma du Parc et une autre gérée par le Parallèle avaient le lourd mandat de fournir à la grande région de Montréal sa dose de cinéma répertoire. Voilà donc neuf salles, dont la plupart sont fermées durant les jours de semaine, et dont certaines, pour diverses raisons (disponibilité de copies sous-titrées en français, querelles avec les distributeurs, voire les festivals, etc.), se concentrent sur des films qui se sont déjà mouillés les pieds près du fleuve St-Laurent. En effet, à Montréal, il est très rare de voir une oeuvre qui n’a pas d’ores et déjà été aperçue dans un festival de la région, voire du cinéma de genre de qualité qui, malgré le succès de Fantasia, ne semble guère atteindre de rentabilité en dehors du mois de juillet. Et là je ne parle pas tant au nom du critique que celui du spectateur assidu.
Résultat : le bassin de films étrangers se renouvelle une fois l’an, lors de la saison des festivals à l’automne, et c’est au compte-goutte que l’on en aperçoit le best-of en « rediffusion ». Il en résulte une cinéphile qui se gâte, des salles qui se vident et des spectateurs qui ne voient du répertoire, en fait, qu’une fois l’an. Avec la réouverture de l’Ex-Centris - donc son rachat par le Parallèle et l’ajout de deux salles supplémentaires (pour un total de quatre nouvelles salles dans le circuit) -, il faut espérer que ce grand total de treize salles saura augmenter l’étendue du choix offert aux spectateurs du coin. Peut-être que l’on se permettra plus de cinéma américain sous-titré en français, peut-être que les distributeurs de la trempe de Métropole investiront (encore plus) dans l’acheminement de films qui demeureraient sinon de l’autre côté de l’Atlantique (comme
Vision de
von Trotta,
Copie conforme de
Kiarostami, etc.). Puisqu’on juge, avec raison, que de « donner » ses films à un festival, que de remplir les sièges de l’Impérial, équivaut bien souvent à se priver de quelques centaines de billets vendus, on hésite toujours.
COPIE CONFORME d'Abbas Kiarostami |
On dégarnit peu à peu des festivals (rappelons-nous qu’en 2009
Le ruban blanc s’était pointé incognito à la dernière minute d’un FNC qui l’avait gagné pour une salle d’un peu moins de 300 personnes) pour fournir en oeuvres des exploitants qui voient, par le fait même d’avoir toujours plus de « films de festival » que des autres, le choix de leur programmation annuelle s’amenuiser. Ainsi, la dernière Palme d’or a dû se contenter de quelques jours au du Parc, le Suleiman nous est parvenu deux ans en retard et le dernier Roy Andersson a été distribué en douce quelque part à Montréal sans jamais que l’on en fasse grand bruit. Lorsque vous payez votre place au FNC, c’est le festival qui empoche; tant mieux pour lui, parce qu’il est événementiel, rassembleur et a ses parts à payer, sauf que…
Les salles paient le prix tandis que les distributeurs, eux, ont idéalement le marché du DVD pour sauver les meubles. Augmenter l’ampleur du choix n’est donc pas suffisant pour se sortir de ce cercle vicieux, ce paradoxe qui unit à la vie et à la mort distributeurs et festivals et au milieu duquel les exploitants, témoins de l’hécatombe, sont face à une unique porte de sortie. Il faut être attirant, recréer l’événement autour de l’idée « d’aller au cinéma », et ce, peu importe que nous soyons dans la saison forte d’octobre ou la saison morte de février. C’est-à-dire être bien localisé, avoir des cafés et bars intéressants pas trop loin, des coins pour la jasette et des forfaits hebdomadaires pour les cinéphiles. On connaît les avantages et les défauts des salles de répertoire présentement ouvertes à Montréal. On connaît aussi la supériorité que Daniel Langlois, fondateur de l’Ex-Centris, a su léguer à son complexe à force de millions. Le café Méliès, sur la devanture, en dit long sur l’endroit. Les billetteries-hublots, les toilettes façon art moderne et le look glamour et branché en jettent, il faut le dire, sur une « Main » beaucoup moins attrayante qu’elle ne l’était auparavant. C’est donc le berceau de la classe et du luxe pour les cinéphiles, un temple dédié à la pellicule érigé par un riche mécène qui, là, vient de vendre au petit Parallèle qui, aidé par le financement public (de la ville de Montréal comme du provincial et de la Fondation Daniel Langlois), vient d’acheter le tout pour la somme de 7 750 000$.
Daniel Langlois |
Cet argent, dépensé pour racheter à un riche excentrique (curieux jeu de mots) le poids de ses folies, ignore évidemment les autres salles qui se font maintenant une fierté de fonctionner autrement - le Beaubien en étant une entreprise d’économie sociale, le Du Parc en comptant sur un audacieux choix de programmation qui fait mouche au moins une fois sur deux. On se penchera donc dans les prochaines semaines sur cette épineuse question. La situation des salles étant ce qu’elle est, le Parallèle, de manière détournée (et par Claude Chamberland, à la fois fondateur du Parallèle et co-fondateur/directeur de la programmation du Festival du Nouveau Cinéma) ne vient-il pas d’acheter au FNC son nouveau jouet? Compte tenu de l’actuel état de l’exploitation du cinéma répertoire à Montréal, n’est-ce pas là une excentricité de plus qui coûtera, cette fois-ci, non pas à Langlois, mais aux contribuables? Militer pour la cinéphilie montréalaise, c’est peut-être noble et beau (quoique parfois sauvagement « montréalocentriste »), mais il semble qu’il manque un peu de réalisme et de terre-à-terre dans toute cette histoire et dans toutes les réactions qui fusent de partout. Les salles se rempliront-elles?
Il faut donc espérer un mouvement de masse, un regain d’énergie de la part des spectateurs qui, devant plus de choix, iront voir plus de films (ouf!). Il faut donc aussi espérer que le nouveau gouvernement fédéral élu dans la « majorité » n’aura pas de si tôt dans ses plans des changements majeurs quant au financement de la culture fragile qui, saluons-le, se défend au moins par des efforts collectifs pour sauver le patrimoine de l’ONF (Le comité du visible) ou pour questionner le financement du cinéma indépendant (À tout prendre). Ces regroupements, mine de rien, militent pour sauver une bonne part d’un certain cinéma qui devrait être projeté (ou non) dans ces fameuses nouvelles salles…