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Drôle de printemps

Par Mathieu Li-Goyette
C’est le printemps. Depuis une dizaine de jours, on s’excite de la sortie du scénariste d’Angle mort, Martin Girard, qui a fait le tour des médias. Qualifié à la fois de « courageux » et d’homme qui vient de « risquer sa carrière », son voeu de se séparer de la paternité du navet sorti des mystérieuses usines de Caramel Films est pourtant à repenser. Il faudrait d’abord relire cette fameuse lettre. Relire ces lignes où il fait état des changements apportés à son scénario qui devait, au départ, mettre en vedette Claude Legault, se dérouler dans un parc national et à bord d’une berline de luxe. Si la qualité de cet opus qui ne verra jamais le jour est encore discutable, il reste à se demander naïvement si la sortie de Girard aurait eu lieu advenant un succès commercial - rappelons qu’il a à sa feuille de route Le secret de ma mère et les dialogues de Ma fille, mon ange, deux films médiocres qui, eux, ont remporté leur part de succès et de prix. On ne désavoue donc pas tant ici un mauvais film qu’un « flop » en bonne et due forme. Au royaume du box-office et de l’enveloppe à la performance, disons que la décision de Girard de se parachuter en dehors du projet pendant son crash est au moins stratégique. Il n’en demeure pas moins que nous parlerons ici de cinéma de genre et que ce slasher, eut-il été tourné au parc de Yellowstone, n’aurait probablement guère été meilleur.

Nous parlons donc de printemps plutôt que d’autre chose puisqu’il nous semble que le cinéma en a récemment fait beaucoup pour nous rappeler notre condition d’être humain soumis à la nature et, qu’en changeant de décor, Angle mort vient confirmer l’importance qu’a aujourd’hui la délocalisation des héros. Après The Way Back, Essential Killing, Winter in Wartime et La vérité, rarement aura-t-on été confronté à autant de neige en si peu de temps. Plus sérieusement, il faudrait se pencher sur la tranquille, mais certaine, dissolution du drame de chambre (au sens très géographique du terme) au profit d’une accumulation de récits mettant en vedette l’homme, la nature et sa nature. Constamment foudroyé par les hasards du monde qu’il découvre (quand ces hasards ne sont pas extraterrestres ou apocalyptiques), la télévision a volé au cinéma certains de ses plus fins sujets. Carlos, ne pouvant être projeté au cinéma parce qu’il y aurait trop de « bla-bla », et The Walking Dead, ne pouvant aspirer à la profondeur d’une écriture de personnage développée de manière sérielle dans la bande dessinée, prouvent que le grand écran est étonnement devenu plus petit que le petit écran : inutile de comprimer un récit de plusieurs heures en 120 minutes, car la série télé, plus écoutée et plus rentable que l’exploitation en salles, est aujourd’hui la niche de nombreux auteurs. Même Todd Haynes, à qui l’on doit quelques-uns des films les plus brillants des dernières années, vient d’y signer un remake de Mildred Pierce mettant en vedette Kate Winslet.


MILDRED PIERCE de Todd Haynes

Cela dit, il reste au cinéma les récits épiques, silencieux et réservés. Ces films que nous ne pourrions voir à la télévision de peur de zapper et pour lesquels nous devons être vissés aux sièges d’une salle afin de les supporter dans toute leur grandeur. On se plaint des remakes et des films de super-héros, mais le problème est plus un creux de l’écriture hollywoodienne. Et ces titres (The Way Back, Essential Killing, etc.) sont autant d’oeuvres revenant plus ou moins au même discours sur l’essentialité des choses et sur la vanité des sentiments humains formant, par la même occasion, un éloge de l’âme pure à une époque où l’héroïsme n’est plus une question d’héros ou d’antihéros, mais bien une question de bête morale. Sans m’éparpiller, des questionnements manichéens du Batman de Nolan au remord étouffant du dernier film de Marc Bisaillon, le héros est aujourd’hui incapable d’être simple et c’est peut-être là son plus grand tort. Ça et de craindre d’être pris en grippe par un antagoniste. Coincé dans une culpabilité qui remettrait en question sa propre identité, le schéma de son évolution est disjoncté, sans cesse pris comme sujet principal d’oeuvres dont les intrigues les plus intéressantes se dérouleraient plutôt avant le film.

La nature, dans toute cette histoire, agit comme le décor du jugement dernier, d’un espace originel où l’homme est face à ses torts, jugé par une puissance supérieure ayant surveillé de près les hauts et les bas de son éthique appliquée. Ce cinéma en pleine métamorphose, tiraillé entre le divertissement de qualité que procurent le jeu vidéo et les scénarios sans pareil de la télévision, aura fort à faire s’il veut demeurer aussi vigoureux, s’il veut se creuser une niche autre que celle du 3D, en particulier dans le grand territoire montréalais où un septième art que l’on qualifierait de différent demeure toujours en danger. Alors que ce fameux printemps se pointe le bout du nez, on murmure la résurrection prochaine de l’eX-centris tandis que l’on accueille l’arrivée de la nouvelle programmatrice de la Cinémathèque québécoise. Diane Poitras, cinéaste issue de l’ONF et ancienne commissaire à la Chaire René-Malo de l’UQÀM, vient en effet de remplacer Pierre Jutras ,qui quitte ses fonctions après trente-trois ans de service, et vient donc de prendre le relai de ce bastion du 35mm. Car à quelques mètres de la salle Claude-Jutra, le mégaplex du Quartier Latin vient d’annoncer fièrement s’être débarrassé de son dernier projecteur pellicule et ce n’est que le premier. À vue de nez, ça sent plutôt le printemps de Prague.


La Cinémathèque Québécoise

S’il est encore trop tôt pour porter un jugement sur cette nomination, nous souhaitons la meilleure des chances à Mme Poitras, car le vrai défi de la programmatrice sera de jongler avec les titres d’un catalogue imposant, mais particulièrement stagnant depuis plusieurs années. Amputé de son potentiel par diverses obscurités budgétaires et classiques problèmes de financement, il faut croire que le principal problème de la cinémathèque se terrerait ailleurs (il faudra un jour que l’autruche sorte sa tête du sol). En attendant, c’est à rassembler une nouvelle génération de cinéphiles que l’institution devra oeuvrer en se focalisant sur des cycles plus variés et constitués d’un corpus dont la cohérence serait doublée d’une réflexion stimulante. Sans trop lancer de fleurs, je crois que nous sommes encore en droit de penser qu’aucune rétrospective, depuis celle organisée par Guilhem Caillard sur le western crépusculaire il y a de ça un an exactement, n’a su encore surpasser cette dernière. En fait, peut-être que ce qu’il manque dans le décor et dans notre printemps, c’est avant tout du cinéma de genre. Bref, du cinéma simple et non du simple cinéma.
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Article publié le 4 avril 2011.
 

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