JOE DANTE : POUR L'AMOUR DU CINÉMA
Il n’y aurait pas d’événements comme le Festival Fantasia s’il n’y avait pas eu des réalisateurs comme Joe Dante pour faire des films. L’amour du cinéma, de son histoire, de ses courants, mais aussi de ses détails inutiles, de ses hasards miraculeux ou de ses rencontres prodigieuses, c’est tout ceci que nous a légué Dante depuis The Movie Orgy (1968), premier film amateur qui a tourné sur les campus américains à la fin des années 60. Composé de centaines d’extraits de films arrangés en une forme de zapping avant l’invention du zapping, la démarche du Dante de 1968 est en ascendance directe avec celle du DJ XL5 qui vient d'achever son dernier programme thématique (pour l’instant), vaste travail de mixage cinéphile étendu depuis quinze ans, mêlant publicités, bandes-annonces, courts métrages et extraits impossibles.
Des films comme Hollywood Boulevard (1976), Piranha (1978) ou The Howling (1981), ont tous participé à inclure graduellement le spectateur du cinéma de genre au sein de la forme qu’il adulait, opérant un jeu réflexif et postmoderne qui a permis de complexifier ce cinéma jusqu’à lui donner une légitimité qui ne semblait guère possible dans sa période classique. C’est-à-dire que ce cinéma de genre, longtemps subordonné au bon goût du classicisme, n’a survécu jusqu’à nous que grâce à la création de cet espace très particulier (et très ludique) qui l’a vu fleurir, où le regard encyclopédique du spectateur redécouvrait des formes naïves en même temps que des cinéastes récupéraient et renouvelaient des manières de mettre en scène. Façonnant des labyrinthes référentiels, les films de Joe Dante ont enseigné à des générations de spectateurs comment et pourquoi voir des films ; comment le genre était en mesure, grâce à ses forces plastiques, de soumettre l’ordre des choses (celui du cinéma comme des États-Unis) à sa propre loi (qui est sans loi, puisque le meilleur cinéma, nous rappellent les gremlins, se pratique sans regard pour les règles).
C’est d’ailleurs de ses deux Gremlins (1984 et 1990) dont le monde garde les meilleurs souvenirs et non sans raison. Zizanies maîtrisées sous tous leurs éclats, ces deux films ont grandement contribué à faire que le cinéma de genre demeure une affaire abordable, presque familiale, faisant le pont entre les énormes productions spielbergiennes et les attentes cinéphiles d’une petite frange de spectateurs qui ont toujours voulu aller plus loin. En fait, c’est en observant de près les carrières de Dante et Spielberg qu’on remarque à quel point le premier a permis de nuancer le second, clôturant avec Small Soldiers (1998) une certaine idée du cinéma populaire née avec E.T. (1982) et entretenue sous la marquise d’Amblin (de l’innocence de l’extra-terrestre pacifique à la révolte programmée des jouets devenus violents, les deux étant placés sous la responsabilité balbutiante d'un enfant).
Enfin, des œuvres comme Matinee (1993) ou Looney Tunes: Back in Action (2003), ont rendu des hommages émouvants à des formes oubliées ou perverties (le film de série B regardé en matinée, les Tunes défigurés suites au succès de l’indigne Space Jam), les replaçant au sein de l’histoire de l’art et de l’Amérique. Sur celle-ci, il suffit de revoir les films « sociaux » de Dante (The 'Burbs, The Second Civil War, Homecoming) pour voir à quel point les sujets les plus sérieux gagnent à devenir l'objet de ses jeux chaotiques, qui subordonnent le quotidien américain aux peurs qu'il a lui-même engendrées. Toutes ces démarches, qui sont au cinéma fantastique et de SF ce que Scorsese a fait pour le cinéma classique ou Tarantino pour le cinéma d’exploitation, font de Joe Dante un auteur qu’il faut absolument redécouvrir au-delà des consensus qui bercent ses quelques succès.
Comme l’occasion était trop belle et que cette 22e édition du Festival Fantasia lui remettra un prix honorifique, notre rédaction s’est replongée dans l’ensemble du cinéma de Joe Dante avec tout le plaisir du monde. Parallèlement, on vous invite à suivre nos aventures festivalières qui débuteront dans les prochains jours, alors que nous amorcerons notre traditionnelle couverture quotidienne du festival.
Mathieu Li-Goyette
Gremlin en chef
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