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Numéro Dix : Les cinéastes maudits

Par Panorama - cinéma



 


CONTROVERSES, MYTHOMANIES ET RÉBELLIONS
     
Le 2 avril dernier, Jesus Franco est décédé à l'âge de 82 ans, laissant derrière lui une carrière monumentale de près de 200 films réalisés de 1961 jusqu'à tout récemment, alors qu'il tentait de terminer son dernier opus, Al Pereira vs the Alligator Women. Alors qu'un géant controversé s'en est allé, peu de bruit est cependant parvenu des cercles critiques, voyant dans l'homme un habile faiseur de films érotiques et sanglants, jonglant avec le sadomasochisme comme avec les vampires lesbiennes et les nonnes à l'imaginaire débridé. Or, observer le travail de ce contestataire de premier ordre qui, à plus d'une reprise frôla la folie, c'est prendre compte de l'importance de son discours iconoclaste sous l'Espagne de Franco; c'est aussi saisir que ce n'est pas toujours par les films les plus maîtrisés que le cinéma a défoncé les portes les mieux gondées.

Durant les deux prochains mois, Panorama-cinéma vous offre son petit lexique des « cinéastes maudits », vocable critique aussi pratique qu'il est discutable, aussi relatif qu'il nous apparaît important d'y revenir. Non pour dire de films sans vergogne qu'ils sont nécessairement des chef-d’oeuvres subversifs, mais bien pour amorcer une réflexion sur la lutte et la rage créatrice comme élément esthétique, pour envisager l'accumulation frénétique d'images parfois à honnir, parfois à défendre, comme l'indice d'un cinéma à la recherche de ses limites esthétiques.

Chez Rollin, le fantastique français des années 1970 nous apparaîtra comme la résurrection de Feuillade à l'heure d'Emmanuelle. Chez Welles, la mythomanie d'un génie pluridisciplinaire et incompris par les studios nous fera revenir sur l'un des tous premiers rebelles né de l'industrie elle-même tandis que Dusan Makavejev, lui, nous fera voyager entre la Yougoslavie et le Canada, toujours à la recherche des images lubriques les plus déstabilisantes. Vers la fin du mois de juin, Pier Paolo Pasolini et Glauber Rocha, inventeurs des langages cinématographiques de l'orgie et de la faim, nous plongeront dans une analyse à mi-chemin entre la théologie et la sociologie, entre l'iconographie et la symbologie, faisant de ce cinéma indomptable le véhicule des espérance poético-politiques de l'Italie et du Brésil à leurs heures les plus cruciales.

Dans les beaux draps de la Cinémathèque

La Cinémathèque québécoise fêtait son cinquantième anniversaire le 18 avril dernier. Outre la qualité indéniable de la bande-annonce signée Diane Obomsawin (elle est ici), puis la bonne idée d'avoir filmé une cinquantaine de capsules vidéo produites par l'INIS (disponibles en partie ici), la cérémonie en hommage au demi-siècle d'existence de l'institution a accumulé les grossièretés et les maladresses.

À commencer par ce numéro d'introduction où des danseurs sont venus valser sur fond des Parapluies de Cherbourg. Derrière eux, l'image du film. Devant nous, une performance « multimédia » - au sens le plus archaïque du terme - où des artistes tentent de se synchroniser maladroitement avec les pas de l'image et les paroles chantées par Catherine Deneuve.

Et là, on se met à cogiter, à se demander pourquoi, de tous les films du cinéma, a-t-on pris ce Jacques Demy. Pourquoi ne pas entamer la soirée sur À tout prendre, joyau du cinéma québécois et réalisé précisément la même année que la fondation de l'institution?
Non, car il fallait, faut-il croire, de la chaire de femme pour vendre la Cinémathèque. Il fallait du chant et du Demy comme il a fallu, durant les quatre ou cinq dernières années, dès que le musée faisait une promotion, la silhouette sensuelle d'Anouk Aimée dans Lola (un autre Demy!). C'est vrai qu'alors que la Cinémathèque peut se vanter d'avoir accompli des cycles prestigieux lors des dernières années (de Epstein à Depardon, de Klein à Mettler en passant par ses séances d'animation et de cinéma muet en musique), il va de soi qu'une pin-up saura tous nous aguicher.

Plus tard dans la soirée, pendant que les fondateurs présents Jacques Giraldeau et Rock Demers n'ont jamais été invité au micro, nous avons eu droit à des numéros tout aussi gênants sur Gone With the Wind et Séraphin : un homme et son pêché (unique performance « québécoise » de la soirée, c'est dire!). Caroline Dhavernas, porte-parole de l'anniversaire, est ensuite revenue sur scène; comme les dames de Demy, comme la Vivien Leigh de Fleming et la Karine Vanasse de Binamé, la présence de l'actrice a confirmé une certaine vision guindée du cinéma, mais aussi de la femme.

Elle nous a alors invité à regarder vers l'écran.

L'horreur. Un vidéo d'anniversaire où la silhouette de Marylin Monroe s'approche d'une dizaine de chandelles et se met à chanter de bon coeur « Happy Birthday Cinémathèque québécoise », vantant les mérites des ses archives, de sa collection de documentation et de sa programmation. Clou dans le cercueil : on nous invite à souffler sur l'écran pour éteindre les chandelles. Je me demande toujours si Jean-François Lisée, lui, a soufflé.

Pour quiconque a fréquenté l'institution, on aura compris que cette soirée n'avait absolument rien en commun avec l'excellent travail qui y est accompli chaque jour par l'équipe de programmation, mais aussi par les commis, archivistes, documentalistes, pianistes, projectionnistes, et divers assistants à l'étage qui, sous pression, exécutent les hautes directives des individus responsables de ces décisions.

Ces décisions, elles sont plus dommageables à la Cinémathèque qu'une programmation mal coordonnée, bien plus dommageable encore qu'une salle vide. Ces décisions, qui donnent l'impression que la Cinémathèque trouve son inspiration dans un catalogue Sears, sont attristantes et inquiétantes.

De grâce, preneurs de décisions, ouvrez les yeux, regardez ce que vos programmateurs projettent, regardez ce que vos voûtes abritent, car la force motrice de ce musée carbure à l'amour des foules, à une certaine préciosité du cinéma que vous pillez sans scrupules. Et si vous, vous faisiez honneur à vos employés, à votre public et au cinéma, peut-être qu'à notre tour, nous, spectateurs, nous pourrions apprécier de nouveau la Cinémathèque québécoise à la hauteur de ses ambitions.

On ne demande que ça... pour les cinquante années à venir.

Mathieu Li-Goyette
Rédacteur en chef 


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Article publié le 6 mai 2013.
 

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