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Le public de qualité québécoise ou le syndrome des Expos

Par Mathieu Li-Goyette
En 2008 naissait Evokative Films, une compagnie de distribution montréalaise fondée par Stéphanie Trépanier, proche collaboratrice du Festival Fantasia. La compagnie a depuis accumulé les sorties en salles et en DVD. D’abord dans les clubs vidéo répertoires, ensuite dans les chaînes et moindres coins reculés du Canada. Pourtant, d’ici à Toronto, les films d’Evokative ne sont pas vus. Le grand drame, c’est qu’ils sont pourtant très bons.

Ce sont des oeuvres, dirons-nous, « alternatives ». Branchées sur un autre monde que la « blockbusterisation », que l’auteurisme fastoche, elles prennent source dans un goût pour le différent et le disjoncté, goût qui, que l’on soit cinéphile ou regardeur du dimanche, devrait nous titiller au moins quelques fois par année. Or, ce sont ces quelques fois par année, lorsque regroupées, qui réussissent à faire vivre un distributeur de films. Ce sont ces quelques fois par année qui réussissent à prolonger la vie d’un film en salles - depuis sa création, les films d’Evokative n’ont été graciés que d’un maximum de deux semaines sur nos écrans.

Provenant d’un peu partout (de France, de Corée du Sud, du Japon, du Danemark, de Belgique, de Taïwan) l’intérêt du « disjoncté » se double de celui des cinémas nationaux si peu distribués, si peu discutés. Et pour avoir eu la chance de voir l’intégralité du catalogue mis sur pied par Stéphanie et son équipe, il me semble qu’il y a là certaines perles qui plairont autant à un camp comme à l’autre. De La merditude des choses à Parking, de Dérive à Tokyo à Hazard, le choix est là, disponible partout, suppléments inclus et sous-titres français compris. Allez cogner à la porte de votre club vidéo, vous verrez qu’ils y sont.


ADRIFT IN TOKYO de Satoshi Miki

Le coeur du problème

Stéphanie Trépanier, il y a de cela une dizaine de jours, a dévoilé sur Facebook une lettre bilingue adressée aux membres du « groupe » Evokative Films - pour la cause, nous la reprenons ici en français à la fin du texte. Cri du coeur émouvant, elle y dit que son « public s’est endormi au volant », qu’il ne va pas voir les films et qu’au nombre de spectateurs, il faut aussi s’assurer d’une certaine qualité de spectateurs. Il apparaît donc que ce public n’est pas de « bonne qualité ». Qu’il n’est pas allé voir les films, qu’il ne loue pas ou n’achète pas les DVD. Conclusion? Ce public est en train de faire couler l’entreprise, de saboter l’un de ces distributeurs parmi tant d’autres qui disparaissent au fil des ans, laissant derrière eux une collection prisée qui deviendra l’attrait des récolteurs fétichistes de films qui ne se manifesteront qu’aux obsèques. Il est là, le comble du drame, le drame de la rareté, de la convoitise où l’on aime lorsque la faucheuse a fait son oeuvre, lorsque les finances ont coulé le navire de l’entreprise, lorsque tout est perdu et que l’on joue les pleureuses, les torts et travers du public de qualité québécoise. Ça doit être le syndrome des Expos.

C’est un public convaincu que l’institution est toujours fautive, que la faute est à la SODEC idiote, à Téléfilm le distributeur d’enveloppes, à la Cinémathèque recluse ou au Du Parc numérisé. Ce public est précisément celui desdits « cinéphiles », des gens qui clament le génie d’Apichatpong « Joe » Weerasethakul sans d’autres raisons que sa Palme d’or, qui forgent les stéréotypes tout en faisant de Dolan le débat de l’année. Il est toutefois bien noble ce public et fait vivre la grande majorité du cinéma d’auteur québécois (quoique peu se soient déplacés pour voir le dernier Catherine Martin - exemple parmi tant d’autres, mais l’un de ceux me tenant particulièrement à coeur). Il lit 24 images, Séquences, Ciné-Bulles, Hors-Champ, Panorama-cinéma, ce public c’est nous et aussi ceux qui nous font vivre. C’est l’étudiant de cinéma autant que le passionné ou l’occasionnel.

Tout ce beau monde, nous et les autres, c’est le public d’Evokative Films, de Fun Films, de K-Films Amérique, de la Coop Vidéo, etc, etc et etc.

La cible étant désignée, les canons étant chargés, voyons pourquoi rien ne fonctionne et pourquoi il semble falloir attendre que les Cahiers du cinéma s’intéressent (dans le no 660) à notre « Nouvelle Vague », pourquoi tout est si inerte, pourquoi les débats sur notre cinéma ne naissent que sporadiquement et pourquoi nous avons peine à CHOISIR notre cinéma. C’est-à-dire à supporter un distributeur local qui, justement, vient stimuler les rouages de notre industrie, mettre le Québec et l’international sous la même loupe, faire que l’on se décloisonne de notre mousse de nombril et que l’on s’ouvre à d’autres perspectives que celles d’Hollywood (débat classique, mais débat quand même) et celles des « grands » distributeurs (de la France, des indépendants du Canada anglais et autres exploitants bien nantis).

Nous allons donc, pendant que certains médias se servent de la plainte d’Evokative comme d’une autre munition à lancer au lectorat déjà converti, approfondir la question. Là où les autres semblent profiter de la situation, nous tenterons de l’approcher, de dialoguer avec le problème. C’est donc un dossier complet qui s’étalera tout au long des prochaines semaines que nous vous proposerons, baladodiffusion incluse, pour réfléchir sur cette économie du cinéma québécois, sur la façon dont nous contribuons directement à son essor et, par les temps qui courent, à sa perte.


LE TUEUR
de Cédric Anger

Tout n’est pas si gris

Sur une dernière note, plus joyeuse, nous vous promettons quelques gâteries comiques. Des comédies, des Étaix, des Chaplin (juste à temps pour la rétrospective du Cinéma du Parc) et des entrevues pour poursuivre notre lignée imposante entamée cet automne avec les Huppert et Amalric auxquels s’ajouteront les Étaix, L’Espérance, Assayas et quelques autres. L’heure des bilans approche, l’heure de juger de cette année de cinéma qui en aura laissé plus d’un pantois. Alors, autant terminer le tout en beauté, se pencher sur le problème et y voir un renouveau plutôt qu’une inévitable fin. Fin d’un certain mode de distribution? Fin du burlesque? Fin d’un spectateur faisant la file devant les salles en échange d’un autre parti s’étendre sur son sofa qui croustille sur un tas de DVD? Alors que certains disent « fin », mieux vaut parler de « renouvellement », car renouvellement il y a et il vaut mieux le regarder avec sérieux que de jouer aux jansénistes de la bonne vertu cinéphile.


LISEZ NOS CRITIQUES DES OEUVRES DISTRIBUÉES PAR EVOKATIVE FILMS

ADRIFT IN TOKYO
de Satoshi Miki (2007)
BLACK de Pierre Laffargue (2009)
DAYTIME DRINKING de Young Seok-Noh (2008)
DOWN TERRACE de Ben Wheatley (2009)

DELIVER US FROM EVIL de Ole Bornedal (2009)
HANSEL & GRETEL de Pil-Sung Yim (2007)
HAZARD de Sion Sono (2005)
PARKING de Mong-Hong Chung (2008)
LA MERDITUDE DES CHOSES de Felix Van Groeningen (2009)
LE TUEUR de Cédric Anger (2007)

PODCAST #5 : La distribution au Québec
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Publié par Stéphanie Trépanier le 29 octobre 2010

L’importance de réaliser que nous sommes tous responsables de notre diversité culturelle, ou À quel point c’est difficile de vous asseoir les fesses dans un siège de cinéma.

Amis et cinéphiles,

J’aimerais vous entretenir aujourd’hui d’un sujet fort important, en lien direct avec l’existence même d’Evokative.  Parlons de votre intérêt envers le cinéma international.  Ce sera un peu long, mais je vous promets d’arriver à quelque chose.

Depuis un bon bout de temps, de l’époque où j’attendais en ligne au Festival Fantasia et plus tard faisant partie de l’équipe, j’entends un grand nombre de cinéphiles se plaindre du manque de films internationaux décents que l’on retrouve ici. Ils blâment les Méchants Distributeurs qui ne donnent pas l’attention nécessaire aux films qu’ils distribuent et déplorent tout les films qui ont été écartés, même après leur succès en festival, pour avoir été considéré Sans Potentiel Commercial par les Méchants Distributeurs. J’étais totalement en accord avec ce discours.

Éventuellement je me suis dit « N’y-a-t-il pas un marché ici, des gens suffisamment passionnés par l’art qui apprécieraient que quelqu’un prenne en mains de tels films? N’en seraient-ils pas heureux, ne supporteraient-ils pas une compagnie qui irait à l’encontre de la mentalité des Méchants Gros Distributeurs en étant un Gentil Petit Distributeur? » Je me suis donc lancé dans l’aventure et parfois des gens d’expérience me disaient à quel point j’étais «courageuse» de travailler dans ce type de cinéma. Je répondais toujours avec assurance que je savais qu’il y avait un auditoire, c’est seulement qu’on ne l’avait jamais vraiment écouté convenablement.

J’ai donc commencé à sélectionner des films qui, selon moi, manquaient à notre paysage cinématographique. J’ai testé des films provenant de plusieurs pays et de nombreux genres pour voir ce qui trouverait le plus son public. J’ai dorloté ces films pendant des mois, les ai fait jouer dans des festivals pour débuter le bouche à oreille le plus rapidement possible. Lorsqu’ils arrivaient à leur sortie en salles, nous recevions (majoritairement) des critiques extraordinaires, un lot d’étoiles, les textes affirmant qu’il s’agissait du meilleur film à voir au cinéma cette semaine-là. Nous faisions tout le bruit possible sur Facebook et via des courriels afin de vous supplier d’aller le voir à son premier weekend. Puis on se croisait les doigts tout ce week-end en attente des chiffres de box-office du lundi matin. Et ils arrivaient, désespérément bas, avec l’annonce que la salle devait cesser la projection du film à la fin de la semaine en cours. Le manque de disponibilité des écrans fait en sorte qu’ils ne peuvent conserver un film qui performe faiblement à l’affiche dans l’attente que le bouche à oreille fasse sont chemin. Nous pouvions être chanceux et obtenir une seconde semaine. Mais jamais une troisième.

Je me disais que tout n’est pas perdu, tout cet effort promotionnel aidera la sortie du DVD un peu plus tard. Nous travaillions pendant des semaines afin de trouver des bonus intéressants, créer les sous-titres et concevoir un design de pochette attrayant. Tous ces trucs sont beaucoup plus dispendieux qu’une simple sortie en boîte noire, mais je me disais que ça en valait la peine, afin de donner au film la sortie qu’il mérite. Puis il fallait vendre le film et j’ai rapidement réalisé que les acheteurs de la majorité des clubs vidéo et autres détaillants se soucient très peu du cinéma. Ils vendent des pommes et des oranges, et j’offrais un fruit de la passion qui risquait de pourrir sur la tablette par sa différence. C’était un investissement trop risqué pour eux. J’ai donc mis sur pied un magasin en ligne afin de contourner cette barrière à l’entrée et vous offrir directement les films, à des prix encore plus bas que ceux en magasin. Hélas, encore une fois les chiffres n’ont pas été au rendez-vous.

Que se passe-t-il lorsqu’on n’atteint pas ses objectifs de vente? On perd de l’argent. Acquérir et distribuer des films est une opération dispendieuse, même lorsqu’on fait attention aux frais. J’ai été très chanceuse, car j’ai pu profiter d’un fonds personnel d’investissement qui m’a permis de démarrer mon entreprise. J’aurais pu m’acheter une belle maison, voyager à travers le monde ou faire des études supérieures avec cet argent. Mais j’ai décidé d’investir dans ma propre entreprise. Je n’espérais pas devenir riche, mais je ne pensais pas tout perdre non plus. Si c’était le cas, j’aurais pu le donner à une charité avec des résultats plus bénéfiques d’un point de vue humain. Mais je croyais aux possibilités et au cours des deux dernières années j’ai supposé que si je n’arrivais pas à atteindre mes objectifs, c’est que je ne m’acquittais pas assez bien de ma tâche, que je n’avais pas encore choisi le bon film ou que la compagnie n’était pas encore assez connue, et que les choses s’amélioreraient avec le prochain film.

Il y a quelques jours, j’assistais à une conférence sur la distribution de films où l’un des conférenciers parlait du marketing en ligne. Il disait qu’il y a deux façons de recenser notre public: par sa quantité, soit le nombre de personne qui nous suivent dans les différents médias, et par sa qualité, soit les gens qui vont réagir et poser un geste concret, par exemple commenter une nouvelle ou faire un achat. Si la quantité est élevée mais que la qualité est faible, vous avez un problème car votre public s’est endormi au volant. Et j’ai confronté une réalité que je repoussais depuis trop longtemps : Mon public, vous, s’est endormi au volant. Il faut s’éveiller parce qu’on fonce dans un mur.

La triste vérité, c’est que la plupart des cinéphiles sont hypocrites. Ils aiment se plaindre de l’état lamentable de l’industrie du cinéma international, mais quand vient le temps de se déplacer dans une salle de cinéma au bon moment, ou d’acheter un DVD avant qu’il ne soit rendu dans les bacs à 15$ et moins, ils se désengagent. C’est facile de se plaindre du manque de diversité au cinéma et dire que nous vivons dans une ère de stupidité culturelle où nous sommes envahis par les blockbusters américains. C’est plus demandant de faire les efforts nécessaires pour garder notre économie culturelle en vie.

Je vous pose donc une question: quelle est l’importance que vous accordez à une grande disponibilité de films internationaux de qualité? Si c’est très important pour vous, faites les efforts. Ne téléchargez pas. Allez au cinéma le premier weekend et contribuez au bouche-à-oreille à propos des films. Achetez les DVD et dites à vos amis de les louer. Nous sommes dans une économie de marché. Vos dollars votent. Vous êtes responsable de votre diversité culturelle. Le même principe s’applique pour l’état général de notre économie, de notre environnement et de nos questions politiques. Rien ne s’améliorera si chacun n’y va pas de son petit effort. Si ce n’est pas si important pour vous, alors conservez les choses telles quelles sont présentement. Je fermerai ma compagnie, comme plusieurs autres distributeurs indépendants devront le faire. Nous trouverons autre chose à faire, ne vous inquiétez pas pour nous. Mais n’allez jamais, plus jamais vous plaindre de la pauvreté des films offerts sur le marché, car vous aurez été en partie responsable de cette carence.

Je réalise que la plupart de vous qui lisent ceci faites parmi de ceux qui sont éveillés, à l’écoute et qui nous supportent déjà. Je vous remercie énormément. Aux autres, je vous demande de bien vouloir vous éveiller.

Si ce message vous touche, vous pouvez le partager dans votre réseau d’amis cinéphiles, ou même le reproduire sur votre blogue. Parlez-en!  Commentez-le et laissez-moi savoir si j’ai raison ou si j’ai tort. Participez à la discussion. J’ai démarré cette compagnie pour vous, j’aimerais savoir qui vous êtes et ce que vous pensez.

Si vous voulez participer à la survie d’Evokative, il y a plusieurs choses que vous pouvez faire :

Allez voir DOWN TERRACE et DELIVER US FROM EVIL lorsqu’ils seront projetés dans votre ville. Si ces films ne sont pas prévus dans votre région, demandez à votre cinéma local qu’ils le soient.

Louez nos films à votre club vidéo et s’ils ne sont pas disponibles, demandez au gérant de les acheter.

Visitez notre boutique en ligne et aidez à nous débarrasser de notre inventaire en vous procurant quelques-uns de nos titres. Je vous promets du bon temps avec chacun d’eux et ils donneront beaucoup d’élégance à votre vidéothèque! Je vous offre même un rabais additionnel de 10% applicable aux promotions déjà existantes, simplement pour avoir lu ceci (WAKEUP10).

Pour l’amour du cinéma,
 
Stéphanie Trépanier
Fondatrice, évocatrice en chef
Evokative Films
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Article publié le 18 novembre 2010.
 

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