DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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L'année cinéma : retour sur 2010

Par Jean-François Vandeuren
« On l’a fait! » Voilà assurément la phrase que j’entendis le plus souvent au cours de la dernière année. Celle que mon estimé collègue Maxime Monast prononçait systématiquement à chaque fois que nous sortions de la projection d’un film ayant présenté des attributs disons largement en dessous des standards afin de souligner le geste héroïque que nous venions de perpétrer au nom du septième art. Car la dernière année n’aura pas été particulièrement mémorable. Un constat déjà annoncé par la faiblesse de la dernière cuvée cannoise, dont sera sorti grand gagnant cet étrange objet nommé Uncle Boonmee Who Can Recall His Past Lives du Thaïlandais Apichatpong Weerasethakul. Un triomphe qui se révélerait finalement à l’image des mois passés et à venir. Si, dans l’ensemble, nous pouvons dire que la production cinématographique de 2010 n’aura pas été à la hauteur des attentes, surtout après une année aussi faste que l’aura été 2009, nous aurons tout de même eu droit à des efforts de très haut calibre qui auront su s’imposer face au reste de la compétition. Au Québec, le coup d’envoi aura été donné par l’arrivée tardive en début d’année du Ruban Blanc d’Haneke, du Fish Tank d’Arnold, du Prophète d'Audiard et des Signes vitaux de Deraspe. Certains des cinéastes en qui sont fondés le plus d’espoirs actuellement auront ensuite pris le relai pour nous offrir à leur tour certaines oeuvres de marque.

Il y a dix ans, Darren Aronofsky et Christopher Nolan étaient révélés au grand public grâce à Requiem for a Dream et Memento, respectivement. Ces derniers auront tous deux récidivé cette année avec deux productions qui pourraient confirmer une bonne fois pour toute leur place parmi les réalisateurs les plus importants de leur génération, en l’occurrence Black Swan et Inception. Le tout tandis que Danny Boyle faisait suite à l’oscarisé Slumdog Millionaire avec le surprenant 127 Hours et que David Fincher réussissait un tour de force majeur en s’immisçant dans la genèse de Facebook avec The Social Network. De vieux routiers comme Martin Scorsese et Roman Polanski auront su tirer une fois de plus leur épingle du jeu en proposant les excellents suspenses Shutter Island (qui aura amorcé une année de rêve pour l’acteur Leonardo DiCaprio) et The Ghost Writer. Et si une année cinématographique ne serait plus complète sans quelques adaptations de bandes dessinées, les regards n’auront pas tant été dirigés vers les super-héros de Marvel cette fois-ci, eux qui auront passablement déçu avec un Iron Man 2 beaucoup trop amorphe et routinier, plus que vers le Kick-Ass de Matthew Vaughn, qui aura su repousser les limites de la violence gratuite en posant un regard particulièrement acide sur la culture populaire actuelle. Ce sera néanmoins le Britannique Edgar Wright qui se sera le plus démarqué dans cette catégorie en quittant la parodie pour offrir un bouillon de culture « geek » pour le moins explosif avec le spectaculaire Scott Pilgrim vs. the World.


CURLING de Denis Côté

Mais si les productions les plus éblouissantes de 2010 se seront avérées particulièrement stellaires, les coups les plus ratés se seront révélés pour leur part on ne peut plus aberrants. On pense d’abord au Salt de Phillip Noyce qui aura tenté de reproduire le rythme effréné des aventures de Jason Bourne, mais qui n’aura réussi à prouver qu’un film d’action de ce genre peut être ennuyant à mourir s’il n’est pas situé dans un contexte suffisamment bien développé. M. Night Shyamalan aura quant à lui poursuivi sa spectaculaire descente aux enfers avec une adaptation désastreuse en tous points de The Last Airbender. Tim Burton aura également trouvé le moyen de se mettre les pieds dans les plats avec sa version peu enivrante d’Alice in Wonderland, même si un scénario étourdissant et des effets spéciaux souvent ratés ne l’auront pas empêchée de récolter des sommes faramineuses aux guichets tandis que le Avatar de James Cameron poursuivait sa domination mondiale. Les grands studios hollywoodiens auront fait une autre victime à l’étranger en la personne de Florian Henckel von Donnersmarck qui, après le remarquable The Lives of Others, aura fait son entrée sur le marché populaire avec The Tourist, adaptation inutile du déjà médiocre Anthony Zimmer de Jérôme Salle. Le duo formé d’Anna Boden et de Ryan Fleck auront également laissé paraître un premier signe de faiblesse après les superbes Sugar et Half Nelson avec It’s Kind of a Funny Story, récit ô combien original d’un adolescent désemparé qui trouvera le moyen de fuir les exigences carriéristes de son père par l’entremise de l’art.

La situation n’aura guère été plus reluisante sur la scène québécoise, de laquelle nous retiendront principalement les excellents Trois temps après la mort d’Anna de Catherine Martin, Curling de Denis Côté et À l’origine d’un cri de Robin Aubert. En juillet dernier, le chroniquer Marc Cassivi s’indignait que des subventions aient été accordées à Patrick Huard pour la réalisation de son deuxième long métrage, Filière 13, soulignant, entre autres, qu’une telle somme aurait pu au moins être accordée à de « vrais cinéastes ». Mais la réalité, c’est que plusieurs réalisateurs de métier auront fait bien pire que la comédie policière de l’été, que l’on pense à l’infecte Y’en aura pas de facile de Marc-André Lavoie, à la piètre tentative de Philippe Gagnon d’infiltrer le cinéma de genre avec Le poil de la bête, ou plus récemment à L'appât d’Yves Simoneau et à cette insulte à l’intelligence que constitue le Lance et compte de Frédérick D’Amours. De son côté, Xavier Dolan sera revenu à la charge avec Les amours imaginaires, oeuvre qui n’aura pas réussi à convaincre ses détracteurs, même si elle marque une certaine évolution par rapport au surévalué J’ai tué ma mère. Daniel « Podz » Grou aura pour sa part fait ses débuts au grand écran, et ce, deux fois plutôt qu’une avec les très controversés Les sept jours du Talion et 10½Puis il y a eu le cas Incendies de Denis Villeneuve, film dont nous pouvons certainement questionner l’encensement généralisé dont il a été l’objet. Pour la deuxième fois en autant de films, le cinéaste aura même admis publiquement qu’il aurait parfois approché la pièce de Wajdi Mouawad sous un angle différent. Espérons que le recours à de telles rétractions ne devienne pas une habitude…


DES HOMMES ET DES DIEUX de Xavier Beauvois

Évidemment, une année de cinéma, ce n’est pas que des films, mais aussi les événements qui les entourent. Le Festival du Nouveau Cinéma, particulièrement sa section Temps ø, aura une fois de plus livré la marchandise alors que nous aurons eu l’occasion de nous délecter du puissant Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois, du Boxing Gym de Frederick Wiseman et du foudroyant Lola de Brillante Mendoza, qui aura su convaincre les plus fervents détracteurs de Kinatay - dont fait parti l’auteur de ses lignes – que le cinéaste philippin est définitivement à surveiller. Le tout tandis que Gareth Edwards prouvait avec Monsters qu’il est possible de faire de bien belles choses avec seulement 15 000 dollars, et ce, même dans un genre comme la science-fiction.  2010 aura également marqué l’ouverture du Blue Sunshine, une salle montréalaise bien déterminée à combler vos besoins de films cultes en tous genres. Le Cinéma Du Parc se sera imposé quant à lui avec la présentation des rétrospectives Charlie Chaplin et Akira Kurosawa, organisées conjointement avec Janus Films. Mais une fois de plus, c’est Fantasia qui aura su créer l’événement de l’année en projetant à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place-des-arts la version définitive du Metropolis de Fritz Lang et en l’accompagnant d’une musique interprétée par un orchestre dirigé par le réputé Gabriel Thibaudeau. Le tout tandis que dans les salles de l’Université Concordia, les amateurs étaient divisés devant les actions d’un pneu tueur dans le Rubber de Quentin Dupieux et les élans de torture-porn d’A Serbian Film.

Une année ne serait évidemment pas complète également sans un nouveau film des studios Pixar, qui se seront une fois de plus surpassés avec le remarquable Toy Story 3, et un nouvel épisode des sagas Harry Potter et Twilight. 2010 aura également été l’année où nous aurons enfin eu droit à la saga Mesrine de Jean-François Richet, même si celle-ci ne se révéla pas aussi convaincante que ce que nous avions espéré, malgré la performance magistrale de Vincent Cassel. Dans la même veine, Olivier Assayas aura fait beaucoup mieux avec Carlos, projet colossal s’imposant sur plus de 330 minutes retraçant les grands moments de la vie du célèbre terroriste Carlos Martinez. Nous aurons également pu constater les résultats des dernières années passées dans la peau d’un rappeur pouilleux de Joaquin Phoenix dans le I’m Still Here de Casey Affleck. Les spécialistes du vidéoclip Anton Corbijn et Mark Romanek seront revenus en force avec les très maîtrisés The American et Never Let Me Go. Le tout tandis que l’artiste Banksy nous offrait un regard délirant sur l’art de la rue avec le génial Exit Through the Gift shop et que Sylvester Stallone capitalisait de nouveau sur la nostalgie en offrant à ses fans un plaisir plus que coupable avec The Expendables. Nous aurons eu, certes, amplement de films à nous mettre sous la dent au cours des derniers mois, et ce, autant pour les bonnes que les mauvaises raisons. 2010 aura été en soi à l’image du début de n’importe quelle décennie : une année en dents de scie laissant une étrange impression de fin et de recommencent. Une année qui aura su mettre sur la table de nouvelles idées que les neuf prochaines sauront assurément faire progresser, mais qui se trouvent pour l’instant encore à un stade embryonnaire.

Jean-François VANDEUREN
01. THE SOCIAL NETWORK de David Fincher
02. INCEPTION de Christopher Nolan
03. DES HOMMES ET DES DIEUX de Xavier Beauvois
04. CARLOS d’Olivier Assayas
05. SCOTT PILGRIM VS. THE WORLD d’Edgar Wright
06. BLACK SWAN de Darren Aronofsky
07. EXIT THROUGH THE GIFT SHOP de Banksy
08. THE AMERICAN d’Anton Corbijn
09. SHUTTER ISLAND de Martin Scorsese
10. TOURNÉE de Mathieu Amalric
 
Mathieu LI-GOYETTE
01. DES HOMMES ET DES DIEUX de Xavier Beauvois
02. THE GHOST WRITER de Roman Polanski
03. CARLOS d’Olivier Assayas
04. TROIS TEMPS APRÈS LA MORT D’ANNA de Catherine Martin
05. TOURNÉE de Mathieu Amalric
06. SHUTTER ISLAND de Martin Scorsese
07. SCOTT PILGRIM VS. THE WORLD d’Edgar Wright
08. TRUE GRIT d’Ethan & Joel Coen
09. THE AMERICAN d’Anton Corbijn
10. GREEN ZONE de Paul Greengrass
 
Guilhem CAILLARD
01. THE GHOST WRITER de Roman Polanski
02. LONDON RIVER de Rachid Bouchareb
03. TRUE GRIT d’Ethan & Joel Coen
04. DES HOMMES ET DES DIEUX de Xavier Beauvois
05. CARLOS d’Olivier Assayas
06. THE SOCIAL NETWORK de David Fincher
07. CURLING de Denis Côté
08. TRON: LEGACY de Joseph Kosinski
09. GAINSBOURG: VIE HÉROÏQUE de Joann Sfar
10. TOURNÉE de Mathieu Amalric
 
Alexandre FONTAINE ROUSSEAU
01. UNCLE BOONMEE WHO CAN RECALL HIS PAST LIVES d’Apichatpong Weerasethakul
02. TOURNÉE de Mathieu Amalric
03. THE AMERICAN d’Anton Corbijn
04. OUTRAGE de Takeshi Kitano
05. THE GHOST WRITER de Roman Polanski
06. SCOTT PILGRIM VS. THE WORLD d’Edgar Wright
07. EXIT THROUGH THE GIFT SHOP de Banksy
08. INTO ETERNITY de Michael Madsen
09. TRUE GRIT d’Ethan & Joel Coen
10. GREENBERG de Noah Baumbach
 
Élodie FRANÇOIS
BOXING GYM de Frederick Wiseman
THE GHOST WRITER de Roman Polanski
SAWAKO DECIDES de Yûya Ishii
SCOTT PILGRIM VS. THE WORLD d’Edgar Wright
THE SOCIAL NETWORK de David Fincher
TOY STORY 3 de Lee Unkrich
TROIS TEMPS APRÈS LA MORT D’ANNA de Catherine Martin
TRUE GRIT d’Ethan & Joel Coen
UNCLE BOONMEE WHO CAN RECALL HIS PAST LIVES d’Apichatpong Weerasethakul
YOU WILL MEET A TALL DARK STRANGER de Woody Allen
 
Laurence H. COLLIN
01. ANOTHER YEAR de Mike Leigh
02. SCOTT PILGRIM VS. THE WORLD d’Edgar Wright
03. THE SOCIAL NETWORK de David Fincher
04. BLACK SWAN de Darren Aronofsky
05. 10½ de Daniel Grou (Podz)
06. TRUE GRIT de Ethan & Joel Coen
07. EXIT THROUGH THE GIFT SHOP de Banksy
08. CURLING de Denis Côté
09. CATFISH de Henry Joost & Ariel Schulman
10. LET ME IN de Matt Reeves
 
Nicolas KRIEF
01. BOXING GYM de Frederick Wiseman
02. AURORA de Cristi Puiu
03. ANOTHER YEAR de Mike Leigh
04. TOY STORY 3 de Lee Unkrich
05. DES HOMMES ET DES DIEUX de Xavier Beauvois
06. THE AMERICAN d’Anton Corbijn
07. EXIT THROUGH THE GIFT SHOP de Banksy
08. MONSTERS de Gareth Edwards
09. UN GARÇON FRAGILE: LE PROJET FRANKENSTEIN de Kornél Mundruczó
10. THE OTHER GUYS d’Adam McKay
 
Maxime MONAST
01. THE SOCIAL NETWORK de David Fincher
02. INCEPTION de Christopher Nolan
03. TOY STORY 3 de Lee Unkrich
04. CARLOS d’Olivier Assayas
05. BLACK SWAN de Darren Aronofsky
06. WINTER’S BONE de Debra Granik
07. UNCLE BOONMEE WHO CAN RECALL HIS PAST LIVES d’Apichatpong Weerasethakul
08. THE KING’S SPEECH de Tom Hooper
09. CURLING de Denis Côté
10. CYRUS de Jay & Mark Duplass
 
Clara ORTIZ MARIER
01. TOURNÉE de Mathieu Amalric
02. SHUTTER ISLAND de Martin Scorsese
03. SCOTT PILGRIM VS. THE WORLD d’Edgar Wright
04. EXIT THROUGH THE GIFT SHOP de Banksy
05. THE AMERICAN d’Anton Corbijn
06. INCEPTION de Christopher Nolan
07. THE SOCIAL NETWORK de David Fincher
08. ANIMAL KINGDOM de David Michôd
09. TRUE GRIT d’Ethan & Joel Coen
10. THE GHOST WRITER de Roman Polanski
 
Mentions spéciales (10 films de 2009 sortis en 2010)
BREATHLESS de YANG IK-JOON
FISH TANK d’Andrea Arnold
I AM LOVE de Luca Guadagnino
LEBANON de Samuel Maoz
LOLA de Brillante Mendoza
LA MERDITUDE DES CHOSES de Felix Van Groeningen
MOTHER de Bong Joon-ho
LE RUBAN BLANC de Michael Haneke
LES SIGNES VITAUX de Sophie Deraspe
UN PROPHÈTE de Jacques Audiard
 
 
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Article publié le 3 janvier 2011.
 

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