WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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Panorama-cinéma - Numéro 4

Par Mathieu Li-Goyette


ON A BESOIN D'UNE CINQUIÈME SAISON
Depuis que je sais ma terre a moi
L’autre y est en calvaire
Ben calvaire on va s’enterrer
Si c’est un rêve réveille-moi donc
Ça va être notre tour ça sera pas long
C’est par icitte que ça s’en vient.

– Depuis l’automne
 Harmonium (Si on avait besoin d’une cinquième saison)

Ces paroles, tirées de Depuis l’automne, morceau central du deuxième album d’Harmonium, résonne, voire raisonne depuis déjà plusieurs semaines. Depuis tant de semaines que l’envahissement progressif des canaux d’information continue par les images de marches, de manifestations et de luttes - idéologiques comme physiques, évidemment - sature l’image médiatique de l’intérieur. À force de montrer, dans la répétition, l’ardeur des manifestants à ne pas démordre d’un poil, à force de débattre du bras de fer inconciliable entre une partie imposante de la population estudiantine (et bien plus) et son gouvernement, la bataille de l’image semblerait avoir été gagnée d’avance par l’État. On le remarque, certes, par les lignes ouvertes, par les comptes Twitter et autres sorties de périscope dans l'univers fascinant de l’imaginaire populaire, la soi-disant « moyenne des ours », que la répétition ennuie, que le retour à la case départ des négociations provoque un sentiment d’aversion dans une population dont la fenêtre sur le monde semble aujourd'hui se braquer constamment sur un seul petit espace : le sien, celui de sa cour arrière où il est fait état d’une pagaille corrompue apparemment sans précédent, d’une souche maligne d’un gouvernement qui ne démord pas du pied, comme la verrue plantaire, du manifestant tout bonnement en train de marcher - voilà en quoi la cavale de Magnotta a été la bouée de sauvetage de la une des derniers jours. Si les scandales et la corruption font vendre des journaux, il y a un point de fracture où le citoyen ne la trouve plus bien drôle et où, comme s’il était question d’une farce trop étirée à la télévision, il aimerait tout bonnement changer de poste.

Ce que révèle le retour des paroles d’Harmonium au goût du jour (« On a mis quelqu’un au monde, on devrait peut-être l’écouter »), mais surtout les nombreuses références à la Révolution tranquille, à mai 68 et à la crise d’octobre, c’est le besoin des manifestants et des citoyens engagés à se restituer dans l’Histoire, à s’inscrire déjà, à l’heure où le mouvement ne se démarque pas encore par ses victoires, mais bien seulement par sa prouesse remarquable d’avoir politisé le fond de l’air de l’année 2012. Désir de faire avancer le Québec dans la bonne direction, cette lutte aux maints rebondissements n’a pourtant pas encore atteint son apogée et se serait essoufflée peut-être plus rapidement si ça n’avait été du rôle primordial qu’ont pu jouer les médias sociaux et les webtélés. Aux aguets, c’est avec eux qu’il était possible de suivre pas à pas la suite des évènements (chez CUTV, par exemple), tout comme il était possible, via UniversiTV, de visionner régulièrement des reportages engagés sur le sujet. Au front, cameramans et reporters ont accompli un travail que n’avaient pas envisagé les médias les plus imposants. Ces images, précieuses, nous amènent à nous questionner sur l’issue du conflit, sur la suite des choses et sur la mémoire qu’on en gardera. Aux chansons d’Harmonium déjà citées à deux reprises correspondaient une éclosion sans précédent de notre cinéma : Les ordres, La vraie nature de Bernadette, Mon oncle Antoine, Le temps d’une chasse, Gina, notre cinéma de fiction, depuis le prototype Léopold Z, entra dans une nouvelle ère à l’heure où des cinéastes dégotaient des sujets à même leur quotidien, à l’heure où, plus que de choisir des sujets engagés, ils ne semblaient plus trouver de sujet sinon ceux-là qui les engageaient. « Personne ne m'a jamais engagé », disait Falardeau. C’est peut-être qu’en ce temps-là, l’engagement allait plus facilement de soi(t).

Pour reprendre ce plus ou moins fameux éditorial de Patrick Lagacé qui soulevait, en 2010, qu’avec notre mal-être à la mode, il ne restait plus qu’à raconter des histoires nombrilistes où l’on rêvait de tuer sa mère, la sortie de Laurence Anyways, deux ans plus tard, nous rappelle que notre cinéma est aussi mal en point qu’il l’était et que n’eut été des Vendeur et Nuit #1 de l’an dernier, nous nous serions encore ensevelis, pour la énième année de suite, dans un cinéma de fiction dont le personnage est l’auteur et dont la quête est la quête même d’un but. Tournant en rond, se mordant la queue, ces récits qui n’en sont pas (ou qui sont, au mieux, des récits sur le manque de récit - voir les deux opus de Stéphane Lafleur), semblaient aussi victimes que la population l’a été de l’assouplissement général du Québec. Parce que nous ne produisons pas un cinéma capable de dicter l’air du temps et qu’il ne peut, dans le meilleur des cas, qu’être le produit de son époque, nos films ressemblent systématiquement à notre quotidien et s’y fient pour avoir du sens : quel avenir Denis Côté pourrait-il avoir à l’heure où pendant qu’un vent de liberté souffle, il continuerait à nier les formes, à jouer les formalistes rebelles de sa propre étiquette? On dit que des films se préparent, que des documentaires sur les principaux négociateurs de la CLASSE tout comme sur les designers de la « campagne étudiante » sont en chantiers. Y en aura-t-il seulement deux? N’y aura-t-il que des documentaires au nez collé contre l’information? Qui osera prendre du recul, l'an prochain, dans cinq ans?

Oui, le cinéma québécois aurait besoin d’une cinquième saison, d’un hiatus entre le printemps et l’été qui cogne à nos portes, d’un temps pour chavirer ses acquis, pour s'occuper des coupures chez son ONF (nous verrons d'ailleurs les suites de la glorieuse occupation pacifique du 4 juin), du redressement de la Cinémathèque québécoise (elle-même au front, avec une rétrospective Louis Portugais) dans un même mouvement de conscientisation, de tout ça, et espérons bien plus, pour reprendre le flambeau là où les images amateurs et semi-professionnelles des cellulaires comme des caméras HD nous ont portés et filmer, réfléchir et observer ce qui, avec un peu d’espoir et un peu de chance, risque de changer la face du Québec. Et son cinéma avec lui.


INDEX

 
CRITIQUES (RÉPERTOIRE)

Alien
(1979)
Aliens (1986)
Alien³ (1992)
Alien: Resurrection (1997)
Event Horizon  (1997)
Invasion of the Body Snatchers  (1956)
Invasion of the Body Snatchers  (1978)
Planet of the Vampires  (1965)
Village of the Damned (1960)

CRITIQUES (NOUVEAUTÉS EN SALLES)

Abraham Lincoln: Vampire Hunter  (2012)
Les adieux à la reine (2012)
The Amazing Spider-Man (2012)
Bernie (2011)
Brave (2012)
Cosmopolis (2012)
Magic Mike (2012)
Marina Abramovic: The Artist Is Present (2012)
Moonrise Kingdom (2012)
Poulet aux prunes (2011)
Prometheus (2012)
Savages (2012)
Seeking a Friend for the End of the World (2012)
Snow White and the Huntsman (2012)
Ted (2012)
Tomboy (2011)
The Turin Horse (2011)

 
  CHRONIQUES

Les parasites : pronostic d'une infection
Petite introduction à la comédie musicale

FESTIVALS

Transilvania International Film Festival 2012
TIFF 2012 : Le blogue du festival






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Article publié le 6 juin 2012.
 

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