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Snow White and the Huntsman (2012)
Rupert Sanders

Le chemin le plus long

Par Jean-François Vandeuren
Bien des questions font surface lorsque deux productions exploitant la même prémisse ou abordant des thèmes similaires sortent en salles à quelques mois d’intervalle. Imaginez maintenant ce qu’il en est lorsque l’on parle de deux films revisitant le même univers dans le but d’y côtoyer les mêmes personnages. C’est le cas cette année alors que nous aurons eu droit à deux nouvelles versions du conte de Blanche-Neige, proposée dans un premier temps par la guimauve beaucoup plus épaisse et indigeste que savoureuse du Mirror Mirror de Tarsem Singh, et à présent par le beaucoup plus sombre Snow White and the Huntsman, qui aurait très bien pu être réalisé par le même Tarsem Singh, mais qui marque en fait les débuts à Hollywood du cinéaste Rupert Sanders. La mise en chantier de ces deux opus à saveur fantaisiste peut s’expliquer - jusqu’à un certain point - par l’engouement renouvelé pour le genre que risque de susciter le retour imminent de l’univers de J.R.R. Tolkien au grand écran avec l’adaptation en deux parties de The Hobbit par Peter Jackson. Si nous avons affaire à deux projets n’ayant en soi rien de stellaire - bien que l’un soit définitivement plus réussi que l’autre - il s’agit d’une situation tout de même fort intéressante alors que nous n’aurions pu imaginer deux versions plus diamétralement opposées l’une de l’autre de la célèbre histoire des frères Grimm. Le film de Rupert Sanders fait d’ailleurs un usage assez inusité de l’essence du conte pour se pencher sur certaines problématiques plus actuelles dans une création très ambitieuse atteignant plusieurs de ses objectifs, mais en poussant parfois la note beaucoup trop loin.

Dans la présente relecture, il est toujours question d’une méchante reine (Charlize Theron) qui, grâce à l’emploi de la magie noire, aura plongé un royaume autrefois paisible et prospère dans la noirceur après avoir assassiné son valeureux souverain et emprisonné l’unique fille de ce dernier, Blanche-Neige (Kristen Stewart), durant de nombreuses années. À l’aube de ses dix-huit ans, la jeune femme réussira finalement à prendre la fuite au moment où sa belle-mère voulait consommer le coeur de celle qui serait la plus belle du royaume et ainsi assurer son immortalité. Bref, les techniques employées par la vile sorcière, tel consumer l’âme et la jeunesse de pauvres demoiselles sans défense, afin de nourrir sa quête de beauté éternelle auront précédé de plusieurs siècles l’arrivée de la chirurgie plastique et des crèmes antirides. La reine forcera alors un chasseur (Chris Hemsworth) à retrouver la trace de la jeune fille. Évidemment, ce dernier finira plutôt par prendre la défense du dernier espoir du royaume de revivre des jours heureux. L’équipe de scénaristes étrangement composée du nouveau venu Evan Daugherty, de John Lee Hancock (The Blind Side) et d’Hossein Amini (Drive) laissera également paraître quelques traces d’un discours social et politique se penchant sur un certain refus de l’évolution d’une vieille garde refusant de céder à la nouvelle génération le pouvoir qui lui revient. Une idée que le trio imposera fort heureusement ici beaucoup plus par les rouages de sa trame dramatique que par une insistance au niveau des dialogues, dont nous aurions pu reprocher un manque beaucoup plus flagrant de subtilité, comme c’est parfois le cas avec ce genre de spectacles fantastiques cherchant désespérément à faire écho à la réalité du monde contemporain.

L’équipe de créateurs derrière le présent exercice sera d’ailleurs parvenue à des résultats étonnamment convaincants dans sa tentative de mélanger les traits plus stricts d’un drame d’époque mis à jour en fonction des standards de production et des possibilités techniques d’aujourd’hui (tel le Robin Hood de Ridley Scott) à des éléments appartenant à un univers purement imaginaire, rappelant à l’occasion la facture du Excalibur de John Boorman. La direction artistique de Snow White and the Huntsman se révèle d’ailleurs des plus colossales, faisant part de trouvailles visuelles souvent époustouflantes, et surtout adéquatement introduites à l’ensemble. Évidemment, le film de Rupert Sanders repose également sur des contrastes assez marqués, entre une noirceur particulièrement menaçante et ces soupçons de lumière qui finiront par révéler un monde tout ce qu’il y a de plus féérique, que rehaussera sublimement la direction photo fougueuse, mais néanmoins d’une grande élégance, de Greig Fraser (Let Me In). Mais autant Snow White and the Huntsman s’avère un spectacle visuel des plus stimulants, autant son scénario progressant à un rythme assez inégal a du mal à mettre en valeur certains concepts - aussi bien originaux que renouvelés - pourtant fort pertinents. L’intrigue évolue ainsi à la fois en prenant un nombre effarant de raccourcis narratifs tout en s’entêtant à emprunter le plus grand nombre de détours possibles pour se rendre du point A au point B. Nous aurons d’ailleurs droit à de longues séquences où nos héros marcheront au coeur de paysages fabuleux, lesquelles ne seront pas sans rappeler celles qui ponctuaient la trilogie The Lord of the Rings de par un recours tout aussi récurrent aux plans aériens.

Le film de Rupert Sanders se retrouvait évidemment dans une position peu enviable alors qu’il se devait de prendre son temps afin de bien établir les bases et les caractéristiques de son univers. Le problème, c’est que plusieurs scènes écrites à cet effet auraient pu être facilement sacrifiées au montage et ne font au final que rallonger un parcours déjà passablement long. Snow White and the Huntsman fait néanmoins un usage surprenant du conte des frères Grimm, auquel il demeure passablement fidèle tout en lui conférant une nouvelle dimension qu’il défend avec suffisamment d’aplomb. Il y a cependant des questions à se poser sur la nécessité de la voix guerrière de plus en plus défendue par ce genre de méga-productions, rappelant certainement plusieurs politiques et « faits d’armes » récents ayant marqué le pays de l’Oncle Sam. Il faut dire que Blanche-Neige se révélera ici un bien curieux amalgame d’une figure christique, de Jeanne d’Arc et de la princesse Leia (en raison des nombreuses similarités avec Star Wars), elle qui livrera un discours après sa résurrection pour convaincre ses fidèles de croire en elle, tandis que les sept nains (allègrement campés par une impressionnante brochette d’acteurs britanniques) prendront parfois les traits de véritables apôtres. Le résultat ne s’avère toutefois pas toujours aussi convaincant lorsque vient le temps de mettre de l’avant les grandes lignes du récit original, qui, ici mènent autant à de savantes remises en contexte qu’elles ont tendance à passer pour des contraintes s’intégrant d’une manière beaucoup trop forcée au scénario de Daugherty, Hancock et Amini. Snow White and the Huntsman demeure en bout de ligne un spectacle aux qualités techniques impressionnantes, mais dont les lacunes scénaristiques et certaines parties du discours viennent avec leur part d'ambiguïtés et de confusion.
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Critique publiée le 1er juin 2012.