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Robin Hood (2010)
Ridley Scott

Le bel accent

Par Nicolas Krief
Dans la foulée des récits de héros (super ou non) ayant eu droit à une remise à neuf complète au cours des dernières années, peu se sont réellement démarqués du lot. Si la critique réserva un accueil plutôt favorable à quelques-uns d’entre eux (James Bond, Superman, Star Trek) et bien assez hostile à d’autres (Terminator, pour ne nommer que celui-là), le public, lui, semblait toujours au rendez-vous. Nous pourrions prendre comme exemple la dernière série des Batman pour aller chercher les caractéristiques et les thèmes désormais abordés dans les superproductions hollywoodiennes : dilemmes moraux, ambigüité des caractères, mise en scène nerveuse et très soignée, etc. La franchise de Christopher Nolan s’apparente aisément à cette nouvelle version de la légende de Robin des Bois par ce cher Ridley Scott. Sous la plume de Brian Helgeland, l’homme derrière les scénarios de Mystic River, Payback (…), le film profite d’une austérité rarement présente dans les derniers blockbusters, faisant de Robin Hood un Ridley Scott à considérer. Bien que le cinéaste britannique aurait, selon certains, perdu la main depuis quelques temps, il aura néanmoins réussi à nous proposer quelques morceaux de bravoure qui auront su le garder à la surface durant la dernière décennie. American Gangster établissait un nouveau regard sur le mythe du mafieux et Scott, malgré les 176 minutes de son film, nous gardait accrochés à cette fascinante vision du crime organisé newyorkais des années 70. Moins accrocheur, mais tout de même satisfaisant, Robin des bois carbure à la virilité et offre un prolongement (ou peut-être un double) intéressant à son oscarisé Gladiator.

Cette fois, Robin Longstride revient des croisades et se rend compte de la corruption installée en Angleterre par le Prince John. Il partira en guerre contre le pouvoir en place avec ses joyeux compagnons. La comparaison avec Batman est encore plus évidente lorsque l’on observe l’aspect politique du récit. Le duo Scott-Helgeland nous offre quelques doubles jeux, de la traitrise et assez d’ambigüité dans l’élaboration de l’histoire pour donner un peu de jus à ce film d’action épique. Malgré qu’il soit plus complexe, que ses ramifications soient plus nombreuses, le récit n’arrive jamais à être totalement prenant, surtout durant la deuxième heure où les maladresses se font de moins en moins rares. La facilité avec laquelle nous lions les personnages, particulièrement les deux protagonistes, nuit à la crédibilité de l’oeuvre, autant que la bande d’enfants masqués (rappelant les enfants perdus de Peter Pan) qui relèvent plus de l’élément visuel intéressant que d’un véritable atout. Bien que le scénario soit trop ambitieux pour le résultat amené, il a le mérite de laisser la place, au milieu de cet étang de testostérone, à une force féminine prenante.

Revisiter le mythe semblait être le mot d’ordre de cette version politico-sérieuse des aventures de Robin. La modification des rôles clés et la transformation de quelques éléments du schéma narratif ont permis à Helgeland et Scott de ne pas retomber dans les vieux clichés de la version Costner qui nous ont tant exaspérés dans les années 90. Si la relecture du récit est intéressante, c’est bien parce que l’on y ose quelques virages et que les personnages sont maintenant au goût du jour, ce qui n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Le meilleur exemple : Dame Marianne (merveilleuse Cate Blanchett) n’est désormais plus une boniche, mais une battante, une guerrière qui, dans une finale qui n’est pas sans rappeler le certain retour d’un roi, affronte sans peur l’ennemi aux côtés des hommes. Rien de vraiment étonnant sous le soleil si l’on se fie au regard du cinéaste sur les personnages féminins filmés au long de sa carrière : de Louise Sawyer à Jane O’Neill en passant par Ellen Ripley, chacune représente à un certain niveau des images fortes du féminisme au cinéma. Sous la caméra de Scott, Marianne tire sa force des épreuves traversées et démontre une assurance et une indépendance que peu d’actrices peuvent présenter. Cate Blanchett se retrouve donc au milieu des guerriers avec son escadron privé, une garde rapprochée qui veille sur elle dans le chaos ; le tout rappelle naturellement Miranda Otto/Eowyn dans Return of the King. Cette dernière affrontait par contre une horde de personnages numériques ; ce qui n’est pas le cas de Dame Marianne.

Si certains taxeront Ridley Scott de manquer d’ambition, ce sera peut-être dû au manque de flamboyance dont peut souffrir le film. Pas, ou peu d’images de synthèse, aucun personnage matérialisé par l’entremise du « motion capture », seulement des hommes en costumes et en sueur qui se tapent dessus pour notre plus grand bonheur. Il s’agit peut-être d’une notion dépassée, mais une cinquantaine d’hommes qui s’affrontent valent bien plus que trois mille personnages animés qui font de même. Et c’est là que Robin Hood suscite l’émotion, en nous rapprochant d’une époque où les figurants avaient encore une valeur dans le cinéma d’aventure. La version 2010 propose une approche plus réaliste, toujours dans les limites du concept de réalisme à Hollywood, que ses prédécesseurs. Cet intérêt vient probablement de la tentative de nous confondre entre film historique et légende populaire : les modifications au récit original et la facture naturaliste amène dans cette genèse de Robin des bois quelque chose de tangible. C’est cette proximité qui rend le film intéressant, qui nous oblige à rester sur notre siège pendant ces deux heures, et à ignorer les quelques bévues.

L’été commence donc avec des jeux politiques, quelques scènes d’escrime réussies et beaucoup de franche camaraderie. Sans se prendre trop au sérieux avec un ton arrogant comme le faisait celui de Kevin Reynolds, ce Robin Hood contient bien peu de remises en question. Sa dernière heure est pourtant truffées de petits éléments ridicules (des « enfants perdus » chez Robin des bois…) et personne n’a semblé s’en rendre compte. Sans tenir compte de ses propres maladresses, le dix-neuvième Ridley Scott s’enchaîne pourtant avec aisance, mené par un Russell Crowe égal à lui-même. L’acteur australien ne cadre pas vraiment avec l’image plus traditionnelle du personnage, dessinée dans nos esprits par la longue silhouette d’Errol Flynn, mais son physique virile sert bien le personnage astucieux, mais un peu gauche. Crowe est accompagné par Max von Sydow, qui n’a nul besoin de présentation, et Mark Strong qui, en l’espace de quelques mois, a su s’établir en tant que vilain de l’année avec des films comme Sherlock Holmes et Kick-Ass.

Lorsqu’on regarde en arrière, on peu noter une seule adaptation qui remet en question toute cette mythologie, celle de Mel Brooks sortie en 1993. Avec Men in Tights, le chef de file de la parodie de genre s’en donnait à coeur joie en tapant sur tout le sérieux qu’affichait le film de 1991. Robin des bois : Héros en collants, de son titre français, donnait une leçon d’humilité à Kevin Costner et sa bande, tournant au ridicule toutes ses conventions. S’il y a une leçon de Mel Brooks que Crowe et Scott ont retenue, c’est que les tirades de Robin se font avec un accent britannique.
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Critique publiée le 25 mai 2010.