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Alien: Resurrection (1997)
Jean-Pierre Jeunet

La belle conception et sa bête mise en action

Par Mathieu Li-Goyette
Réputée pour la cohérence de son univers aux multiples facettes, la saga Alien, avec sa résurrection de 1997, sonnait le début de la fin, ou du moins du morcellement de cet univers et d'une évolution drastique vers une science-fiction chargée d'autres intérêts. L'arrivée des compromis et des problèmes pour un studio qui n'avait que faire d'une énième suite (à l'heure des Starship Troopers, The Lost World: Jurassic Park et Titanic) coupa non seulement de moitié le budget prévu pour le quatrième volet, mais instaura une tension palpable entre deux têtes fortes, Jean-Pierre Jeunet, à ses premiers pas à Hollywood, et Joss Whedon, pas encore le scénariste que l'on connaît aujourd'hui, mais déjà en partie responsable du succès de Toy Story. D'un côté, un futur pape des « geeks », et de l’autre, un cinéaste européen ne maîtrisant pas l'anglais : la rencontre espérée entre l'humour référentiel du premier et l'héritage nouvel âge à la Humanoïdes associés du second dont Jeunet se devait d'être l'héritier au cinéma échoua à s'homogénéiser. Alien: Resurrection, malgré toute la bonne volonté qu'on voudrait y trouver, se défait de part et d'autre et s'avère au final un récit composé d'extrêmes et de tentatives couillus d'en arriver à une conclusion plus grande que nature. Après le suspense, la guerre et l'enquête viendrait un film de chair, de sang et d'os. Un film gore au sens le plus psychanalytiquement riche du terme : jaser d'intérieur et d'extérieur, de fluides et de pénétrations, d'orifices et d'obstructions, de strangulations et d'avalements autour d'un divertissement tordu aux possibilités multiples. Une fois le cap de la résurrection accepté, une fois le générique aux peaux malaxées par le génie fou des scientifiques d'un monde post-apocalyptique captivant, Whedon et Jeunet clôturent une quadrilogie en sauvant les meubles à la toute fin, en se rappelant qu'Alien, c'était d'abord et avant tout l'histoire d'un viol jamais perpétré ou, plus vicieusement, d'une relation jamais consommée entre la belle et la bête.

Insistons alors sur la disparité entre l'écriture du film et sa mise en scène, deux voix qui ne racontent ici pas du tout la même histoire. D'une part, Whedon découpe son scénario en trois actes où, à son habitude, il nous donne à voir la constitution d’une équipe hétéroclite, l’apprentissage du travail coopératif, puis le dénouement tragique où les liens se resserreront. À Ash et Bishop succède l’androïde Call (Winona Ryder), cette donnée sabotant l’équation entre l’humanité et l’alien, celle venant brouiller les cartes entre la femme porteuse et l'homme virile. Premier rôle secondaire féminin, Call se démarque comme une pseudo-figure du psychologue, celle qui aiderait en quelque sorte Ripley (Sigourney Weaver) à comprendre sa fonction de mère. Cryogénisée et morte depuis des siècles, Ripley n’est plus femme et à peine humaine - la génétique l’a même croisée avec la créature, lui conférant un force phénoménale et du sang semblable à l’acide de la bête. Terminées les scènes de petites culottes où l’on craignait voir l’héroïne violée par la tête phallique de l’antagoniste, terminée, depuis Alien³, la crainte de la voir périr, car voilà longtemps que le lieutenant, la dernière survivante du Nostromo, est plus près de son ennemi que de l’humanité qui a trop changé depuis son premier départ. Même que là, la morale d’Alien: Resurrection trouve sa force dans la spiritualité d’une revenante et d’un robot, à eux deux plus sensibles que l’ensemble de leurs compatriotes, des archétypes esquissés à gros traits, des restes de l’espèce humaine autodétruite (la fin de l’édition spéciale, soit celle du scénariste, où la Terre n’est qu’une vaste plaine dévastée, le prouve). N'ayant plus rien à craindre pour le lieutenant et Call, que peut-il bien rester de la peur?

Or la particularité d’Alien: Resurrection est de traiter de la fin de l’Homme, de l’arrivée au bout de son chemin dans un monde où, ennuyé, il aurait cloné Ripley en espérant y voir la nouvelle étape de l’évolution, qui, pour la première fois, se serait arrêtée par épuisement de nos gênes. Partis chercher des solutions dans le corps du xénomorphe, les scientifiques de l'armée n’oeuvrent plus comme « la compagnie » pour la création d’armes et de planètes habitables, mais bien pour l’apogée de l’espèce. D’un pessimisme noir, sans véritables héros, mais plutôt rempli d’hommes cupides et de bêtes tout bonnement animales, Alien: Resurrection représente la finalité tant attendue de l’histoire commencée en 1979 : l’avalement de l’Homme par la Bête, sa reddition face à sa sauvagerie innée, la perte de sa morale et de son libre arbitre. Il ne restera plus que Call, ce robot rarissime, voire unique, nous dit-on, créé à l’image de ce que fut jadis notre race. En gagnant la force des aliens, Ripley conserve leur animalité tout comme son enfant, l’alien à tête humaine doté d’yeux - ultime effort pour l’anthropomorphiser - exprime de la tristesse, de la colère et de la jalousie. C’était un peu comme si la plus noble des humaines rencontrait la plus animale des créatures et qu’aux antipodes l’une de l’autre, elles se fascinaient et avaient donné deux petits dont ce film a été le dernier duel.

Gore juteux pour rythmer la joute, il répond à son tour aux besoins de son public cible tout en découpant ses personnages jusqu’au plus simple état de purée (c’est bien la mort de la bête à tête d’homme). Tout comme la scène dévoilant les sept versions précédentes de Ripley, nous avons bel et bien affaire, plus que jamais, à un cinéma de la chair (David Cronenberg était justement le premier considéré pour s’emparer du scénario) où la déchirure des cages thoraciques (que, pour la première fois, on ne voit pas) importe moins que l’éclatement des corps, l’étalement des entrailles, l’observation de ce qui se cache en dessous du derme, de ce qui, en d’autres mots, nous rend biologiquement humains dans un film dont le sujet est précisément la fin de l’humanité. Même histoire pour l’androïde : le trou creusé à l’intérieur de Call nous rappelle les morts nappées de liquide blanchâtre d’Ash et de Bishop. Ici, un orifice vient montrer l’artificialité du personnage de Ryder, mais aussi, par comparaison des différences, nous expliquer que l’humanité ne se transmet pas par le sang et l’organique, mais bien par une déontologie propre à chacun, mais essentielle à tous. À « dans l'espace, personne ne peut vous entendre crier », nous sommes arrivés à « dans l'espace, il n'y a plus de bon et de mauvais, de Ciel et d'Enfer, de moralité et d'immoralité ». À quoi bon crier, maintenant?

Voilà en quoi consistait, sur papier et conceptuellement parlant, Alien: Resurrection, une entreprise dont l’ambition géniale ne fut pas en mesure de rencontrer un cinéaste en position confortable. En Jeunet, l’histoire pince-sans-rire à ses heures et sanguinolente à d’autres dévia de son chemin avec les exigences « auteuristes ». Les Marc Caro aux décors, Pitof aux effets spéciaux, Ron Perlman et Dominique Pinon dans l’équipe, bref les artisans de La cité des enfants perdus, ont conféré à l’univers gothique de la saga un arrière-goût de série B, une performance globale médiocre où tout un chacun joue selon son propre registre des lignes répétées dans un débit monotone. Du film de commande pour certains complices à projet de longue haleine pour d’autres, l’échec relatif d’Alien: Resurrection prend souche dans ces plans aux grands-angles instables, ces décors répétitifs, cette recherche de traits cyberpunks pour un cinéaste dont la quête d’effets perpétuelle ne pouvait correspondre à la cohérence stable et angoissante des oeuvres précédentes : nous attendions un maniaque, pas des manies.
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Critique publiée le 12 juin 2012.