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Angle mort (2011)
Dominic James

L'alcool au volant, c'est criminel...

Par Jean-François Vandeuren
Avec Angle mort, le cinéma québécois avait une occasion en or de faire d’une pierre deux coups. D’une part, l’initiative offrait une nouvelle opportunité à notre cinéma - après le très médiatisé Incendies de Denis Villeneuve - de sortir de son territoire et de sa zone de confort - chose que certains lui auront récemment reprochée de ne pas faire assez souvent, pour s’offrir cette fois-ci une petite escapade en Amérique latine, plus précisément dans le pays fictif de la République de Santiago. D’autre part, le projet démontrait une volonté de toucher d’une manière un peu plus sérieuse au cinéma de genre en prenant pour têtes d’affiche deux jeunes acteurs ayant la cote auprès du grand public et en s’armant de moyens de production beaucoup plus importants qu’à l’habitude pour un film qui, pour une fois, ne puiserait pas son inspiration dans les écrits de Patrick Sénécal et ne serait pas destiné qu’au circuit des festivals spécialisés en la matière. Et pourtant, il n’est pas vraiment surprenant de voir ce second long métrage de Dominic James faillir à la tâche de cette façon. Car nous pouvions déjà nous attendre - cyniquement - à nous retrouver de nouveau devant une vulgaire peinture à numéros ne se contentant que de singer ce qui s’est déjà fait si souvent ailleurs par le passé sans qu’une once d’originalité, ou de personnalité, ne soit ajoutée au mélange. Toutes les clés du mystère entourant cet Angle mort nous seront d’autant plus fournies au cours des dix premières minutes de l’exercice, nous laissant par la suite en compagnie de protagonistes dont le sort ne nous importera jamais véritablement alors que chaque séquence se révélera toujours un peu plus prévisible que la précédente. Pour un film dérobant de façon aussi outrancière les reliques d’un sous-genre aussi singulier que désuet, on parle carrément de paresse créatrice.

Le choix des victimes dans un film de tueur en série est généralement dicté par le niveau de désobéissance de celles-ci à certaines règles d’éthique et de conduite. Fidèle à cette tradition, Angle mort substitue le puritanisme excessif des productions états-uniennes pour faire de l’alcool au volant une affaire personnelle, le rituel de notre assassin vedette consistant ici à abattre les ivrognes de la route avant de mettre le feu à leur cadavre. Ce ne sera d’ailleurs pas la subtilité qui étouffera James et le scénariste Martin Girard à cet effet alors que ces derniers mettront tout en oeuvre pour que nous assimilions les moindres rouages de leur intrigue dès l’inévitable générique d’ouverture composé de coupures de journaux où les mots « alcool », « meurtres » et « tueur en liberté » seront toujours bien mis en évidence. Il faut dire que ce problème de société semble particulièrement sérieux dans ce « pays » où le bruit des bouteilles vides se cognant les unes contre les autres se fait automatiquement entendre dès qu’un conducteur ouvre la portière de son véhicule. C’est dans ce contexte peu accueillant que le couple formé de Stéphanie (Karine Vanasse) et Éric (Sébastien Huberdeau) entrera en ligne de compte, eux qui auront décidé d’aller passer quelques temps dans le Sud loin des préoccupations du quotidien pour tenter de sauver leur relation. Ces derniers se retrouveront bien malgré eux au centre de cette malheureuse histoire après que Stéphanie, jeune photographe dynamique, ait pris un cliché de notre psychopathe avant que celui-ci ne puisse abattre sa nouvelle cible. Un troisième parti sera également mêlé à l’affaire, prenant la forme d’un policier local et frère de la première victime dont la mort nous aura été servie en guise de prologue, lequel confondra évidemment nos deux tourtereaux avec le meurtrier terrorisant la région depuis plusieurs semaines.

Nos deux héros ne répondant visiblement pas aux critères de sélection du tueur, Gignac exploitera plutôt la précarité de leur relation amoureuse afin d’étendre la portée de son discours. Car ce qui finira toujours par mettre en péril la vie du couple (dans tous les sens du terme), c’est la (trop) grande importance que les deux principaux concernés accorderont continuellement à leurs carrières respectives. D’un côté, c’est une Stéphanie incapable de ranger son appareil photo qui mettra le tueur à leurs trousses. De l’autre, ce sont les tentatives répétées d’Éric d’entrer en contact avec son associée à Montréal qui permettra à l’assassin de profiter d’un bref moment d’inattention pour mettre son dernier homicide sur le compte des voyageurs. James et Gignac profiteront ainsi des largesses du genre pour illustrer la triste réalité de deux amoureux typiques du début du XXIe siècle qui ne se seraient jamais retrouvés dans un tel pétrin s’ils avaient simplement su se concentrer un tant soit peu sur le bonheur de l’autre. Le problème toutefois, c’est que dans un tel exercice, ce type de détails se révèle bien souvent à double tranchant puisqu’il finit par dilapider le capital de sympathie dont pouvaient jouir ces deux êtres - d’une froideur incommensurable - auprès du public, eux qui frôleront pourtant la mort à plusieurs occasions. Ces derniers seront d’autant plus appelés à réciter des dialogues manquant cruellement de naturel tandis que l’invraisemblance de bon nombre de gestes posés par les personnages ne fera qu’empirer l’impression générale laissée par ce parcours dont nous avons vite hâte de voir le fil d’arrivée, et ce, malgré sa très courte durée. Une distanciation qui se reflète également dans la mise en scène statique et peu inspirée de Dominic James, de même que dans la direction photo de Jérôme Sabourin (Pour toujours les Canadiens), dont le manque de vigueur en vient parfois à désincarner complètement les lieux où se déroule l’action.

La principale lacune d’Angle mort demeure néanmoins sa gestion tout simplement horrible du développement de l’intrigue, qui découle en soi du fait que le récit nous est raconté du point de vue d’un narrateur omniprésent. James donnera ainsi un droit de regard beaucoup trop précipité sur la peau brûlée de son antagoniste en plus de s’offrir une escapade dans le repaire de ce dernier (dans un vieux bâtiment désaffecté, évidemment) où seront dévoilés le portrait d’une femme n’étant visiblement plus dans le décor ainsi qu’une jolie collection de permis de conduire ayant jadis appartenus aux victimes. Le cinéaste anéantira du coup le peu de mystère entourant sa prémisse pour se concentrer davantage sur la situation de ses protagonistes. Un changement de cap qui aurait pu s’avérer bénéfique pour l’entreprise si James et Gignac avait simplement su édifier celle-ci en plaçant réellement cette histoire en périphérie plutôt que de la faire passer par toutes les étapes propres à la forme la plus éculée de ce genre de scénarios. D’autant plus qu’Angle mort regorge de références à certains classiques du genre, de la ferme isolée de The Texas Chainsaw Massacre aux routes désertiques de Duel. Les deux artistes auraient d’ailleurs eu avantage à essayer de se rapprocher de la forme du film de Spielberg, surtout en ce qui a trait au caractère anonyme de sa menace. Un pari qui, visiblement, n’est plus possible dans le cinéma commercial des années 2000. Il ne nous reste ainsi que ce couple qui aura dû passer par une métaphore pour le moins extrême de leurs problèmes conjugaux pour en sortir plus fort, même si une certaine fragilité continuera de planer au-dessus de leurs têtes. Une idée qui sera résumée lors d’un épilogue d’un ridicule consommé qui viendra finalement mettre un terme à ce spectacle qui, en plus d’être incapable de capitaliser sur son potentiel dramatique, a le culot de se prendre terriblement au sérieux.
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Critique publiée le 25 février 2011.