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Tom à la ferme (2013)
Xavier Dolan

Country Boy

Par Ariel Esteban Cayer
Quatrième projet en autant d’années, le dernier film de Xavier Dolan est un tournant intéressant dans la filmographie du jeune réalisateur : déjà de retour avec Tom à la ferme (et travaillant présentement sur son prochain film), Dolan montre un désir de tourner (et donc, assumons-nous, de s’améliorer) qui est fort louable, mais qu’il ne faut absolument pas méprendre pour de l’innovation. S’attaquant ici à de nouveaux défis, Dolan offre une adaptation de la pièce de Michel Marc Bouchard : un thriller en huis clos que l’on devine parfaitement adapté aux contraintes du théâtre et que le cinéaste aura bien du mal à transcender à l’écran. Si on osait espérer qu’en s’éloignant de son propre matériel, le jeune auteur ferait un bond de l’avant, on constate vite que ce que Dolan gagne au sortir de sa zone de confort, il le perd en cohérence. Tom à la ferme s’avère un exercice de genre, comme de style qui s’éparpille de tout sens tout côté.

Avant toute chose, il serait fascinant de compter le nombre de plans que Dolan s’accorde à lui-même; un narcissisme si imbriqué dans sa mise en scène qu’il introduira ses autres joueurs – Francis (Pierre Yves-Cardinal) et sa mère Agathe (Lise Roy) – sans montrer leur visage pendant plusieurs longues secondes. Qu’un film portant le nom de son personnage principal s’attarde à celui-ci n’est pas un problème en soi, mais cette décision de se mettre en scène à tout prix sonne la première alarme. L’une des faiblesses de l'oeuvre découle de Dolan l’interprète, incapable d’extirper de Tom un personnage plus étoffé que l’habituelle déclinaison de lui-même. En tant que metteur en scène, il ne souci pas non plus d’assouplir les performances particulièrement théâtrales de ses personnages à un univers cinématographique se voulant convaincant. Cherchant à raconter le deuil amoureux et la répression de la sexualité, Dolan réitère des thèmes familiers, mais opère dans un milieu qui lui est complètement étranger : le thriller, et ses codes sur lesquels il ne met jamais le doigt comme s'il était trop distrait à se mettre en images pour nous faire croire à ses personnages et à la pulsion violente qui les habite. De ce fait, la transformation de Tom comme celle de Francis, le cœur de l’intrigue, n’est jamais crédible et Dolan demeure clairement tiraillé entre son rôle d’acteur, de metteur en scène et de façonneur d’images mémorables (le Dolan du vidéoclip, tel qu’on pouvait le voir pleinement déployé dans ce controversé College Boy d’Indochine).

Souffrant de sa propre artificialité, Tom à la ferme demeure un pari visuel réussi, voir somptueux par moments. Tourné par André Turpin à qui l’on doit notamment la direction photo des films de Denis Villeneuve (de Maelstrom à Incendies), il compte ici en grande partie sur un habile agencement de couleurs (du jaune, surtout, des cheveux de Tom/Dolan aux néons et champs de maïs en hiver) et des textures de la vie rurale. Cette scène de poursuite à travers les champs s’avère déjà l’une des plus intenses et les plus inattendues du cinéma de Dolan, tout comme cet échange au bar où Tom découvre le passé violent de son amant décédé. Cette artificialité théâtrale maladroite, où l’improbabilité de ses personnages s'allie à une mise en scène touche-à-tout et désordonnée, fait glisser Tom à la ferme vers l’absurde et achève de détrousser le film de tout enjeu véritable. Ses personnages deviennent au fil des développements des caricatures, des pions à travers desquels Dolan explorera ses thématiques récurrentes, situées ici en oppositions simplistes : le cosmopolite versus le « redneck » à la sexualité refoulée, la froideur de la ville versus celle de la campagne. L’inversion banale de ces dynamiques devient l’intérêt d'un film qui se conclue sur un retour au statu quo de la cité; une résolution dont l’ambigüité générique est franchement lassante.

Tom à la ferme est essentiellement de l’art house en manque de vocabulaire. Un film tourné, semble-t-il, sans grand guidon, sans grande maîtrise des mécanismes du thriller (ou de l’horreur, où le film tente de glisser par moment), que Dolan limite à une trame sonore beuglante et un resserrement de rapport de cadre, passant du 1.85:1 à un 2.75:1 se voulant symbolique de la prison de Tom... Une trouvaille esthétique peut-être trop pratique, car elle s'avère l'un des seuls moyens avec lequel il parvient à créer de la frénésie dans ses plans. De l’abondant excès d’un Laurence Anyways, on passe avec une certaine réserve, à une expérimentation avec le genre – le thriller, le coming-of-age tardif, le huis clos, et les attentes respectives que cela crée – qui s’avère plutôt inepte, témoignant en quelque sorte d’une plus grande immaturité que celle qui accompagnait, peut-être par défaut, les émules, emprunts et envolées stylistiques adolescentes de J’ai tué ma mère (2009) et de Les amours imaginaires (2010). On se permet d’exiger plus, Dolan nous montrant avec ce « nouveau départ » qu’il a encore à décoller sa caméra de son nombril, et qu’on ne s’improvise pas metteur en scène de tensions si aisément.
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Critique publiée le 28 mars 2014.