WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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Immunité collective : Inspirée

Par Claire-Amélie Martinant



La science-fiction post-apocalyptique a cette faculté paradoxale d’engendrer des sensations à la fois émoustillantes et angoissantes, un puissant cocktail de mise en condition dans lequel je me laisse volontiers embobiner avec une aisance quasi coupable. Si auparavant je me délectais le cœur battant de toutes ces émotions, bien calée dans un siège de cinéma, la quarantaine imposée par le COVID-19 m’a brusquement coupé de cette liberté. Si autrefois la distanciation entre le scénario et le monde réel était encore envisageable, ce fossé s’est peu à peu réduit avec le temps : la réalité a bel et bien rattrapé la fiction. Et comme ma vie personnelle a été mainte fois marquée de traumas entremêlés de situations déséquilibrées, cette crise, si exceptionnelle globalement, humainement, en représente simplement, intimement, une de plus pour moi.

Ce que j’ai appris au fil des années ? Que ces périodes de perturbations majeures sont en réalité des opportunités pour l’introspection, des moments privilégiés tendus pour reconsidérer nos propres valeurs. Car derrière tout chamboulement extrême se trouve nécessairement un déséquilibre que le temps nous permet d’établir par une sorte de prise de conscience qui nous traverse tout le corps. Ainsi par le biais de ce virus qui touche précisément l’organe respiratoire de l’Homme, la Terre nous adjure aussi de lui porter attention, de prendre soin d’elle qui n’est plus en mesure de respirer convenablement. Si l’issue de cette pandémie nous reste encore inconnue, IO, petite exclusivité Netflix signée Jonathan Helpert, se prête avec épatement au jeu de la suite futuriste du cataclysme mondial que nous traversons. « A few scientists predicted what would happen. They started working on a power station that could be sent into space to harvest geothermal energy from other planets. But it was too late. People would start dying in their sleep, suffocating in the streets, the blood in their veins turning black. “An unexpected change in atmosphere composition”, they said. To me it was just our planet desperately trying to survive by kicking us out ».

Ces mots annonciateurs de Sam (Margaret Qualley) mériteraient qu’on les prenne au sérieux. Elle qui n’a connu que l’après-contamination vit juchée dans les montagnes, attenante à un observatoire, juste au-dessus de la zone infectée. Elle a appris à cultiver des légumes sous serre, à utiliser l’énergie solaire et éolienne pour faire fonctionner son matériel informatique de mesure et boit de l’eau filtrée par du charbon et du sable tout en prenant grand soin de ses ruches dont elle extrait du miel. Horticultrice, apicultrice, biologiste et scientifique, elle suit les traces de son père qui croyait fermement en la possibilité d’ancrer de nouveau la vie sur une terre particulièrement hostile. Proactive, elle se rend régulièrement dans la zone polluée équipée de bouteilles d’oxygène pour y effectuer des prélèvements et y traquer les moindres signes d’activité. Elle s’immunise petit à petit contre l’air ambiant contagieux en s’injectant assidûment sa toxicité à petites doses. Courageuse et téméraire, elle met à profit son esprit scientifique et sa perspicacité pour faire preuve de bon sens…

Je l’avoue, cette jeune femme et ce qu’elle représente m’ont plu énormément. Là où tout semble asphyxié, teinté par le voile funeste de la désolation et l’aura fantomatique d’une ville dépareillée de sa civilisation, Sam y voit la vie. Rebelle et résiliente, Sam mon héroïne se fie à son intuition et chemine à contre-courant. Et puis, il y a ce rêve, qui régulièrement vient la hanter, celui d’un espoir complètement fou. Elle se tient face à la mer, le clapotis apaisant des vagues venant la bercer et le vent soufflant doucement dans ses cheveux. Ce rêve, aussi futile qu’il puisse paraître, sera la clef de sa motivation et de sa survie. Et c’est cette image d’une liberté a priori proscrite qui a fini par me conquérir à mon tour, et me rappeler que l’espoir, même celui déniché sous la forme d’une production oubliée de Netflix, suffit déjà à engendrer une reviviscence. Je n’ai pas honte de le dire, Sam m’aura profondément inspirée durant la quarantaine.

 

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Article publié le 25 mai 2020.
 

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