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Lav Diaz : Au nom des forces structurantes

Par Mathieu Li-Goyette


C’était en février 2018, lors de la Berlinale, où
Season of the Devil, le premier musical de Lav Diaz, était présenté en compétition officielle (il y rayonna sans rien gagner). Comme le veut l’exercice du junket international, nous étions quatre critiques, de quatre publications différentes publiant dans quatre langues différentes (en anglais, en espagnol, en slovène et en français) à rencontrer le maître philippin [1]. Heureusement, les questions de notre groupe improvisé ont préservé l’unité d’ensemble de la conversation, conviant Diaz à nous raconter sa lutte esthétique contre les forces structurantes : celles des démagogues qui déforment la réalité et, tout à l’opposé, celles qui délimitent une pratique artistique qui doit conserver, en dépit des politiques, des contraintes de diffusion et des pulsions formelles, cette identité si singulière qui la fait avancer.

 

 

Janina Pérez Arias : Chaque fois que l’on apprend qu’un nouveau Lav Diaz sera présenté dans un festival de films à travers le monde, c’est une bonne nouvelle. Une bonne nouvelle souvent suivie d’un questionnement intérieur pour le spectateur : quelle crise ce sera cette fois ? à quel point ce sera long ? Et on se rend toujours compte par la suite que, peu importe la longueur et le sujet, vous finissez par nous surprendre, par modifier votre style… Et aujourd’hui on vous rencontre ici à Berlin pour Season of the Devil (2018), un film musical, votre premier. Comment en êtes-vous arrivé là ?

Lav Diaz : Il fallait d’abord que j’écrive les chansons. Il y a quelques mois je vivais à Harvard dans le cadre d’une résidence d’artiste. Je préparais un film de gangsters. [rires] J’écrivais un scénario et je faisais beaucoup de recherche au sujet d’un livre sur le cinéma que j’aimerais terminer… Mais quand j’ai eu ces nouvelles du pays [l’élection présidentielle de Rodrigo Duterte et le début de sa « guerre » contre les narcotrafiquants], je me suis mis à écrire sur cette situation politique afin de m’aider à digérer ce que je voyais advenir de mon pays, vu de l’autre bout du monde. D’une certaine manière, ces chansons sont des chansons de deuil, une marche funèbre pour les Philippines. J’ai rapidement appelé mon producteur et lui ai dit que je n’écrivais plus mon scénario de gangsters parce que j’accumulais trop de chansons. Il fallait que ça devienne un musical. En préproduction, j’ai expliqué à mes acteurs qu’ils allaient devoir chanter a capella et qu’il n’y aurait aucun dialogue qui ne serait pas chanté. Nous n’avions pas de musique live, pas de bande pré-enregistrée. Je voulais que la démarche soit primaire, crue au possible.

Matic Majcen : En regardant le film j’ai immédiatement pensé à The Act of Killing de Joshua Oppenheimer. Les thèmes historiques sont similaires et il explore lui aussi la relation entre la violence et sa performance. Qu’est-ce que ces nouvelles notions musicales apportent à votre style ?

LD : Ce n’est pas vraiment nouveau pour moi, car je suis un grand consommateur de musicals et qu’avant d’être cinéaste, j’étais musicien, alors je suis familier avec cette démarche créatrice, avec le fait de performer en band et tout ce qui s’y rattache. Mais oui, c’est nouveau dans mon cinéma, et j’ai dû m’y risquer en essayant de ne pas perdre de vue cette esthétique que je travaille. C’était une lutte de tous les instants, pour moi comme pour les acteurs, car ils devaient mémoriser les chansons, maintenir le rythme, le beat. La musique a instauré une discipline de tournage inédite, une difficulté avec laquelle nous avons dû composer et qui nous a poussé à demeurer sur nos gardes.

Mathieu Li-Goyette : Insidieusement, du moins la plupart du temps, les musicals ont un usage anesthésiant des chansons, ils émoussent la conscience critique du spectateur en le mettant au plus près des émotions des personnages. Craigniez-vous que cette dynamique ne s’en prenne à votre film ?

LD : Tout à fait. N'importe quelle chanson est structurée d’une manière à ce que vous entendiez une voix, singulière, mais à un certain point vous risquez aussi de la perdre dans les harmonies qui l’entoure, ce qui fait du chant une structure collective qui a souvent tendance à s’arroger les entités particulières qui la composent. Face à cette forme, il n’y a pas d’autre choix que d’assumer complètement ses choix, au risque de finir par tourner un clip pour MTV ou un truc bollywoodien où tout se termine dans le chant et la danse. Ce danger était toujours présent, mais le truc, enfin pour moi, c’était de convaincre mes acteurs de ne pas perdre leur concentration, de ne pas perdre leur personnage, peu importe la situation ou le refrain qu’ils devaient jouer : ils devaient apprendre à chanter comme un docteur, chanter comme un poète, comme une milice, ils devaient personnifier, circonscrire leur personnage de la manière la plus honnête possible tout en demeurant fidèle à l’entreprise musicale de l’ensemble.

Maximilien Proctor : Avez-vous senti, à un moment ou à un autre, que vous étiez en train de filmer un concert ?

LD : Pas vraiment… Mais ça ne vous empêche pas vous, ou le public, de le voir comme tel si vous aimez sa musique. Vous pouvez le voir non pas comme un film politique, mais comme un film de concert. Ça peut être une autre expérience, de la même manière qu’une exposition ou une installation peut ou peut ne pas être vue comme un film. Quand vous expérimentez mon cinéma, il est à vous, il n’est plus à moi. Votre version du film, elle est à vous ; si vous voulez le voir comme un clip de MTV, ça ne me dérange pas. Si vous voulez le voir comme un concert, alors c’est un concert. Si c’est un récit, recevez-le comme un récit. Si vous y lisez un film politique, lisez-le comme tel.

JPA : La dictature de Ferdinand Marcos a été très longue, très douloureuse. À quel point était-ce difficile pour vous d’en faire le sujet central de votre film ?

LD : J’ai fait beaucoup de films sur ce sujet, alors ce n’était pas la première fois que je m’y confrontais. Je suis très familier avec cette époque de l’histoire des Philippines… Et j’ai grandi avec, durant ces années martiales, dans le sud du pays, là où tout le territoire était annexé en tant que zone militaire. Les soldats étaient particulièrement barbares dans notre coin. Ce film est très, très vrai pour moi, il est tiré de mes expériences passées.

JPA : Et cette peur, qu’en faites-vous ? Quel sens lui donnez-vous aujourd’hui ?

LD : C’est la peur de tous les Philippins. L’expression même de la peur, c’est pour moi ce qui se produit présentement dans mon pays. Cette culture de la peur plane au-dessus des Philippines, autour de ce nouveau régime dont personne ne veut vraiment parler parce qu’il s’est construit autour d’une culture de l’impunité. Tout ce qui se passe aux Philippines présentement est extrêmement violent et je ne sais pas dans quelle direction ça ira… Les gens sont devenus tellement divisés : d’un côté vous avez cette loyauté à toute épreuve envers le président, de l’autre une peur profonde de tout ce qu’il pourrait faire… C’est un cercle vicieux, à un point tel que la seule question qu’il nous reste aujourd’hui, c’est de savoir ce qu’il adviendra du peuple philippin au sortir de tout ça. Au même titre qu’on se demande un peu partout « Pourquoi avons-nous Trump ? », on peut se demander « Pourquoi avons-nous Duterte ? », ou « Pourquoi avons-nous Poutine ? ». Bien sûr, nous les connaissons les raisons, nous savons qu’à toutes ces questions la réponse qui supplante toutes les autres est qu’il s’agit d’ignorance. C’est la raison pour laquelle vous avez ces démagogues, ces dictateurs. C’est une question d’ignorance, de démence nationale. Nous oublions, nous n’examinons pas suffisamment notre passé commun, notre histoire, que nous ne confrontons plus. C’est facile pour les démagogues et les dictateurs de manipuler la réalité dans cette situation. C’est si facile… Ils peuvent jouer autour de cette ignorance collective, et plus l’ignorance gagne du terrain et plus leur pouvoir s’étend. 

 

 

MM : Votre style est surtout reconnaissable à travers ses très longs plans d’observation. Or dans ce film, j’ai l’impression que vous centrez vos plans plutôt autour des actions qu’autour des postures. Vous avez beaucoup de plans plus courts, de quelques secondes seulement ; quelqu’un fait quelque chose à l’extérieur du cadre, vous coupez en suivant l’action, et ainsi de suite. Diriez-vous que vous avez changé votre style afin de mieux intégrer la musique ?

LD : Oui, j’ai ajusté les coupes à cause de la musique. Quand une chanson se termine par exemple, je sentais toujours que j’avais le goût de la prolonger, alors je devais couper et c’est ça le truc avec les musicals. Il arrive un point où la musique s’arrête, où un numéro se termine définitivement avant de laisser place à un autre numéro. Alors parfois il vous faut plus de coupes, plus de plans, pour clore une action en plus de clore la chanson. De ces deux contraintes (de l’action et de la chanson) est apparu ce montage drastiquement différent, plus rapide à la fois parce qu’il devait suivre les chansons et parce qu’il devait suivre l’action provoquée par ces chansons. D’une certaine manière, c’est la discipline de tournage qui concerne n’importe quel musical qui est venue me trouver, me contraindre à un montage plus rythmique.

MLG : Votre film commence avec une chanson où un personnage dit à un autre qu’il ne faut pas se laisser submerger par la sensibilité des masses, ni par le désir des masses, et que conséquemment il faut leur préférer l’incertitude individuelle. C’est quelque chose qui concerne aussi votre mise en scène par rapport au reste du cinéma, non ?

LD : Bien sûr. C’est parce que les certitudes sont partout, elles nous entourent. Et ce que je filme ici, c’est la construction de la perspective populiste, c’est-à-dire celle qui souhaite donner aux masses des certitudes pour qu’elles les enlacent. Les masses ont toujours eu besoin de certitudes, c’est pour cela que nous avons les religions. C’est aussi pour cela que nous avons ces personnalités politiques contemporaines. Elles produisent des certitudes.

MLG : Alors voyez-vous la longueur de vos films comme faisant partie de ces stratégies de l’incertitude que vous pratiquez ? Ça me rappelle une autre ligne de dialogue dans Season of the Devil, quand on y chante que tout ce dont nous nous rappellerons (de ces événements, du contexte), c’est d’une image s’évanouissant perpétuellement. On pourrait dire que c’est aussi ce qu’on retiendra de votre film, puisqu’il mélange des situations à des chansons, faisant glisser les unes dans les autres sans afficher de volonté de créer des « événements », des catharsis rigides, linéaires.

LD : Exactement, parce que plusieurs parties de ces chansons fonctionnent de manière fascisante, dans une forme de répétition délibérée, de répétition qui viendrait attiser le potentiel fasciste de l’action, « la manière fasciste de faire les choses », et surtout de s’y conditionner. Ensuite, je répète ces chansons à l’intérieur de situations différentes et comme ça nous pouvons instinctivement transposer à nouveau cette répétition systémique sur des évènements qui ne sont pas nécessairement liés entre eux de manière linéaire.

MP : Quand le leader milicien fait ses discours, parle-t-il une langue fantoche ou bien un dialecte particulier ?

LD : J’ai mélangé des discours de Poutine, de Trump et de Duterte que j’ai ensuite inversés ; j’ai demandé à l’acteur de les mémoriser comme tels. Je lui ai aussi demandé de le faire avec un timbre aigu et nous avons sous-titré ces segments en revenant vers le scénario. Les démagogues parlent de cette manière, comme des machos, avec une dégaine imposante. C’est un spectacle, ça les rend high de performer.

JPA : Nous voyons dans votre film comment un poète se brise graduellement de l’intérieur face à toute cette violence. Comment, pour vous qui êtes un artiste, envisagez-vous de survivre dans votre pays, vous-même d’une part, mais aussi votre vie d’artiste ? Comment conciliez-vous cette condition avec la responsabilité d’être un représentant culturel pour votre pays à travers le monde ?

LD : Pour surmonter la peur, il faut se consacrer au travail, s’engager. Et pour être engagé, il faut savoir être responsable, savoir qu’on n’y échappera pas, même si l’on préférerait se cacher ou se montrer prudent. Pour moi, faire ce genre de cinéma, c’est en soi une forme d’engagement, car la lutte doit être menée avec intégrité, en toute dignité. Il ne faut pas aller dans les rues et tout calomnier. Il faut produire un cinéma qui nous confronte à nos problèmes, qui éduque les gens au sujet des démagogues et des réalités qu’ils façonnent. C’est important d’être engagé dans ce processus et pour moi c’est donc devenu une responsabilité — une responsabilité qui m’aide à dissiper cette peur. C’est sûr que je ressens encore des peurs plus personnelles en avançant dans cette direction. J’ai des enfants, j’ai une famille et ils me disent bien de faire attention… Mais je ne peux pas m’en dégager.

MM  : Beaucoup de personnes ont des difficultés à regarder des films de 4, 6 ou 8 heures comme les vôtres. Pour nous les cinéphiles, c’est devenu relativement normal et vous avez certainement contribué à rendre cet exercice normal au fil des quinze dernières années. Avez-vous des demandes à l’égard du spectateur lorsqu’il regarde vos films ? Quand j’ai posé la même question à Béla Tarr il y a quelques années il m’a dit qu’il trouvait cela inimaginable que les gens ne soient plus en mesure de passer six heures dans un cinéma alors qu’autrefois on regardait des opéras de six heures sans problème.

LD : Et on continue de le faire aujourd’hui en faisant des marathons d’épisodes sur notre téléviseur.

MM : Bien sûr. Mais est-ce que ça vous dérange que vos films soient vus sur un téléviseur ? Que les gens puissent sauter des parties ou l’arrêter le temps d’aller se chercher à boire au frigo ?

LD : Si ce n’était que de moi, c’est sûr que je demanderais des spectateurs qu’ils s’investissent un peu, qu’ils y mettent de l’effort, car moi j’y ai mis mes tripes dans ce film. Si ce n’était que de moi, je demanderais que vous vous investissiez aussi corps et âme, jusque dans la durée de votre présence, car mes films sont conçus pour être très physiques — ils s’attaquent au corps comme à l’esprit. Je suis conscient de cela et ça fait partie de notre entente entre vous et moi. Mais bon, si vous voulez en regarder une partie puis ensuite faire l’amour avec votre femme et le compartimenter pour qu’il s’insère dans votre vie, vous avez bien le droit…

MLG : Lors de certaines scènes vous prenez un grand soin à occulter toute violence directe dans le cadre. Il y a des personnages qui vont apparaître face à la caméra juste le temps de cacher une action, un coup de fusil ou encore de permettre une de ces coupes rythmiques dont vous parliez tout à l’heure. À quel point vouliez-vous conserver cette distance morale entre cette histoire et votre représentation de celle-ci ?

LD : Je l’ai fait délibérément. D’abord parce que oui, effectivement, je ne voulais pas montrer d’images graphiques. Ensuite, parce que je sentais que l’impression seule de savoir que cette violence se déroulait ainsi était plus effrayante, plus puissante, que de voir quelqu’un être torturé, tué, violé… D’une certaine manière tout est plus réaliste au cinéma lorsque vous ne le voyez pas, car ça vous fait voir l’horreur d’une manière complètement personnelle, qui vient réveiller quelque chose d’ancien en vous, d’intime, que je ne peux pas deviner et qui en appelle aux peurs les plus primitives.

 

 

JPA : Quels genres de films regardez-vous ?

LD : Je regarde tout, n’importe quoi. De la série B, des films d’auteur, je suis un addict autant que vous quatre. Je regarde vraiment n’importe quoi : des films hollywoodiens, des films de kung-fu, des films hongkongais, n’importe quoi. J’adore le cinéma pour tout ce qu’il est.

JPA : Et que pensez-vous des récents développements industriels du cinéma, de la perte de terrain générale du cinéma d’auteur ?

LD : Le cinéma a toujours eu cette dualité. Vous pouvez le regarder, vous y impliquer, sous l’angle artistique ou l’angle industriel, c’est votre choix… Vous pouvez faire à votre tête quand vous êtes cinéaste, courtiser le marché ou explorer des domaines esthétiques. Cela dit, le cinéma commercial est toujours demeuré artistiquement valide à mes yeux. Le problème c’est qu’il est si lourd, qu’il implique des profits faramineux et qu’en échange il détruit tout sur son passage afin d’occuper l’espace qu’il souhaite occuper. Le divertissement c’est bien, mais quand il n’y en a trop, c’est comme le cholestérol. De la même manière, lorsque vous regardez du mauvais cinéma, si vous en consommez trop, vous finirez par consommer trop de popcorn et de Coke et vous en mourrez. [rires] Mais effectivement, c’est souvent difficile, difficile de trouver des salles, de trouver un public, de montrer un film… Il n’y a que dans certains festivals internationaux que vous pouvez vraiment tout montrer. Aux Philippines, Season of the Devil va être diffusé sur quelques campus où vous retrouvez des cellules cinéphiles, puis il y a les cinémathèques. Nous en avons trois ou quatre dans notre pays, mais c’est tout. C’est une réalité et il faut l’accepter si vous voulez faire du cinéma. Vous devez accepter que vous ferez partie, à un moment ou à un autre, de cette lutte pour la diffusion.

MM : Dans les deux dernières décennies, la notion de slow cinema a pris du galon dans les festivals. Sentez-vous que vous faites partie de ce groupe de cinéastes, aux côtés de gens comme Tsai Ming-Liang ou James Benning ?

LD : Oui, c’est l’étiquette qu’ils nous ont trouvée… Mais je ne considère pas que je fais du slow cinema. Je fais du cinéma. C’est juste ma manière d’en faire. Mais bon, les gens aiment catégoriser les artistes (et n’importe quoi d’autre en fait), alors on nous dit « voilà les cinéastes du slow cinema ». Comme si nous étions toujours dans les nuages…

MM : Pensez-vous qu’il y ait quelque chose qui explique pourquoi ce type de cinéma s’est développé simultanément dans plusieurs coins du monde ?

LD : Pour moi, c’est de la résistance, de l’insubordination. Quand j’ai commencé à faire des films, je devais subvertir tout ce que j’en savais afin de me l’approprier. Je ne voulais pas faire partie des conventions car j’en avais déjà beaucoup consommé et elles ne me convenaient pas. Ces conventions me divertissaient, mais elles ne remplissaient pas mon âme. J’ai donc cherché à tâtons ma propre mise en scène [en français]. Au bout du compte, on revient toujours à la même chose : il faut que vous créiez votre propre praxis, votre propre force structurante qui va venir définir votre cadre d’ensemble.

MLG : Et c’est ainsi que les personnages dans Season of the Devil se lient à des animaux totémiques, qu’ils construisent cette allégorie cosmique. Vous aimez générer une logique propre à chacun de vos films.

LD : Oui, bien sûr, surtout lorsque vous créez un personnage pour qu’il habite une histoire, que vous utilisez des éléments pour le texturer, lui donner du relief. Vous construisez comme ça des détails qui vont créer des repères dans le récit. Dans la littérature philippine, nous avons beaucoup de monstres mythologiques et c’est d’eux que je me suis inspiré. Lorsque vous avez suffisamment de traits de caractère pour vos personnages, vous pouvez les associer à des animaux, vous servir de cette liberté tant et aussi longtemps que vous l’assumez et que vous l’affirmez dans ce que vous tournez. Vous ne pouvez pas faire de ces choses si cruciales de simples décorations, un élément d’apparat pour distinguer votre film de celui des autres. Ça ne fonctionnera pas… Il y a tellement de manières de raconter une histoire : vous pouvez être allégorique, comique, surréaliste, vous pouvez utiliser un canevas narratif puis vous l’approprier, le tordre vers un style expressionniste, ou encore tendre vers le cinéma-vérité. Dans les faits, tous les styles sont applicables à toutes les histoires ; il faut simplement s’assurer de ne pas perdre de vue ce que vous vous étiez vous-même mis en tête d’accomplir. Il ne faut jamais se compromettre à l’intérieur de notre propre cadre. C’est si important…

 

 

 


[1] Je tiens à remercier vivement Janina Pérez Arias (Allemagne), Matic Majcen (Slovénie) et Maximilien Proctor (Belgique) de m’avoir autorisé à conserver leurs interventions pour cette version intégrale de l’entretien.

 

Traduction de l’anglais au français : Mathieu Li-Goyette

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Article publié le 21 juin 2019.
 

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