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Rencontre avec Isabelle Gauvreau

Par Jasmine Pisapia
FANTASTIQUE! CE WEEK-END, FANTASIA INVESTIT L'IMPÉRIAL.

Le grand jour est enfin arrivé : la troisième édition du Fantastique week-end du court-métrage québécois débute dès ce soir, vendredi 23 juillet, entre les murs de l'Impérial. Cette année, 11 programmes de courts-métrages d'ici vous attendent, toutes sections confondues, les 23, 24 et 25 juillet 2010.
 
Panorama-cinéma a eu la chance de rencontrer Isabelle Gauvreau, programmatrice des courts-métrages québécois qui, depuis quatre ans déjà, relève presque toute seule le défi de programmer, coordonner et réunir en une même fin de semaine les courts québécois de l'année, autant issus du cinéma indépendant que de celui à gros budget. C'est un travail de longue haleine accompli avec brio auquel nous souhaitons lever notre chapeau; et pour mieux comprendre l'âme du projet, nous proposons de laisser parler la maîtresse de cérémonie.
 
Panorama-cinéma : Est-ce qu’à la base, c’est toi qui as eu l’idée du week-end? D’où est venu le désir de mettre sur pied quelque chose de semblable à Fantasia?
 
Isabelle Gauvreau : Oui, c’est moi qui a eu l’initiative. En fait, c’est la troisième année que le Fantastique Week-end existe, mais c’est la quatrième année que je fais ça. La première année, on avait 8 programmes dispersés à travers le festival. C’était agréable parce que j’avais le temps de rencontrer les réalisateurs, mais ça ne marquait pas particulièrement les gens. Ça se perdait un peu dans la programmation. Donc j’ai proposé à Pierre Corbeil de regrouper les courts-métrages pour en faire un événement. Il a été ravi par l’initiative. Stéphanie Trépanier a trouvé le titre « Fantastique Week-end du Court-Métrage »; le nom a aidé à concrétiser la force de l’événement.
 
Panorama-cinéma : Et comment tout cela venait-il s’inscrire à Fantasia? Malgré l’idée que l’on puisse se faire de Fantasia à la base (cinéma de genre, cinéma asiatique), on sent quand même que c’est un événement dont le ton vient s’inscrire de manière logique dans le festival. Ce n’est pas en contradiction, mais comment trouve-t-il sa place?
 
Isabelle Gauvreau : Honnêtement, je pense que ça vient du coeur. C’est de là que ça part. Quand Pierre m’a demandé de prendre en charge le court-métrage québécois, pour moi c’était clair qu’on allait pas juste vers le cinéma de genre. On a décidé dès le début qu’on ne « bouderait » pas notre plaisir. Tout ce qu’on trouvait bon parce que c’était bien fait, ça nous avait fait rire, pleurer, ça nous touchait : pourvu qu’on trouve ça bon, c’est oui. Plaisir du cinéma, tout court. Pas de surintellectualisation. Le plaisir de regarder des films.
 
Panorama-cinéma : Donc, les critères de sélection, c’est ça finalement?
 
Isabelle Gauvreau : Exactement. Ce n’est pas plus que ça.
 
Panorama-cinéma : Il doit y en avoir quand même… Ton intuition. Y a-t-il quelque chose qui fait qu’un film passe, et l’autre non, même si ça se passe à un niveau inconscient.
 
Isabelle Gauvreau : Oui, certainement. Je pense que le premier critère (parce que je regarde les films avec Pierre Corbeil, le président du festival, c’est la partie que l’on fait ensemble parce qu’il faut être deux pour juger) c’est d’être touché. Donc ça peut être au niveau intellectuel, d’être touché par une démarche, une vision des choses, du monde. Quelque chose de purement formel ou esthétique comme on peut retrouver dans l’expérimental, on n’en programme pas. Parce que d’un point de vue personnel, ça ne nous touche pas. Mais hormis cela, on se dit… même si c’est un film DIY qui a moins de qualités d’un point de vue formel, mais qu’on a été touché, le film sera programmé. C’est sûr qu’en général, les films sont bien produits, mais on ne censure pas notre plaisir pour des raisons purement esthétiques.
 
Panorama-cinéma : Et le plus souvent cette année, où est-ce que tu as été touchée?… La tête, le coeur, les pieds?
 
Isabelle Gauvreau : Oh je vais censurer la première réponse qui m’est venue en tête (rires). Il y a des films sensuels, mais je te dirais qu’il y a une réelle douleur dans les films sensuels cette année. C’est une sexualité entremêlée assez fréquemment de violence, je dirais même de souffrance. Moi j’ai trouvé ça très touchant.
 
Panorama-cinéma : Donc c’est un thème qui revenait souvent?
 
Isabelle Gauvreau : Il y en avait plusieurs comme ça, certainement. Il y aussi, naturellement, les couples qui ne communiquent pas. Et puis la thématique de fin du monde cette année. Peut-être l’influence de 2012. Au moins cinq ou six films sont sur la fin du monde.
 
Panorama-cinéma : Pour continuer sur la voie de thèmes récurrents, en tant que programmatrice, quelles impressions as-tu eu de l’esprit global des films reçus cette année. De manière purement instinctive, puisque tu as reçu, comme programmatrice, une bonne dose de bribes de pensées trahissant peut-être des préoccupations actuelles.
 
Isabelle Gauvreau : Je pense que j’irais pour la souffrance identitaire. Il y a une affirmation dans les films de l’identité personnelle, certes. Intuitivement, sans réfléchir, je les ai trouvés plus intimes. L’intimité des sujets. Pour moi, ça ressort. On a eu moins de films comme l’année dernière : surtout dans la section DIY, il y avait toujours eu ces jeunes hommes qui se donnent des rôles de matamores ou de héros puissants, des gars qui s’habillent en trench-coat et se courent après. Le DIY s’affirme beaucoup. On sent que les gens comprennent qu’il faut un scénario, que ça ne suffit pas de prendre une caméra et de courir dans la cour à jouer aux cowboys, ça ne fonctionne pas.
 
Panorama-cinéma : Peut-être aussi parce que l’image du festival change? Les gens qui font des choses plus sensibles ou subtiles savent qu’ils auront leur place eux aussi à Fantasia. Quand les gens savent qu’un film comme celui de Robin Aubert a été présenté l’année dernière (en 2009), c’est sûr que ça change un peu la donne. Les gens qui font des films plus intimes aux tendances plus lyriques vont tenter leur chance.
 
Isabelle Gauvreau : Oui, aussi. C’est sûr que ça élargit les horizons.
 
Panorama-cinéma : Revenons à la question de l’intimité, peut-être que je me trompe, mais il semble qu’il y a beaucoup de courts dans la programmation réalisés par des hommes, dont une grande majorité traite du tourment, ou d’une folie d’un personnage masculin. Un homme qui perd son enfant, un homme prisonnier de sa folie et ses jeux de mots, l’artiste qui cherche les subventions désespérément...
 
Isabelle Gauvreau : C’est sûr qu’il y a une majorité masculine parmi les réalisateurs. On aurait beau remuer ciel et terre, pour le moment c’est une réalité. Mais on ressent vraiment une intimité plus assumée. C’est un peu dans l’air du temps de démystifier la figure masculine traditionnelle, je crois.
 
Panorama-cinéma : J’ai aussi remarqué qu’André Nadeau, porte-parole pour le Fantastique Week-end, joue lui-même dans plusieurs des courts-métrages présentés.
 
Isabelle Gauvreau : Oui, dans cinq ou six courts-métrages! Ce n’est pas un hasard. André, c’est le symbole pour la passion du court-métrage. Tu as la gratification à travers l’expérience. Il n’y a pas beaucoup de prix ou de salaires qui en découlent. Il faut y croire pour faire ça.
 
Panorama-cinéma : Toi aussi, d’une certaine façon. Je veux dire qu’en montant cet événement toute seule, avec autant d’effort, c’est se positionner quelque-part dans le monde du court-métrage?
 
Isabelle Gauvreau : Je ne suis pas dans le milieu lui-même. Je suis en périphérie. Mais je peux parler du grand plaisir de partager et d’offrir aux gens une tribune pour que leur film soit vu. Il y a des gens parmi ces réalisateurs dont le film ne sera vu que pendant le Fantastique Week-End. Plusieurs ont des films qui font des tournées, mais il y en a qui n’ont pas les moyens de soumettre leur film dans plusieurs festivals. On est l’un des rares endroits qui ne font pas payer. C’est gratuit soumettre son film. Donc si tu n’as pas les moyens d’envoyer à coup de 40 euros des soumissions à travers le monde, ce sera LE moment pour montrer ton film.
 
Panorama-cinéma : Et cette année, les réalisateurs auront la chance de voir leur film projeté à l’Impérial!
 
Isabelle Gauvreau : Oui. On est content. C’est extraordinaire. C’est l’une des plus belles salles à Montréal, selon moi.
 
Panorama-cinéma : Espères-tu que cela devienne la nouvelle maison du Fantastique Week-End?
 
Isabelle Gauvreau : Je vais m’y appliquer! (rires)
 
Panorama-cinéma : Un autre changement cette année, c’est la fusion des sections DIY et courts-métrages québécois.
 
Isabelle Gauvreau : Oui. Avant, on divisait tout. Il y a quatre ans, on divisait même les courts-métrages francophones de ceux anglophones. Ça fait quatre ans qu’on restructure tout ça. On est très heureux de les mélanger cette année. Le dynamisme change. On amène les gens à se dire : j’ai vu un film dans un programme avec de gros moyens, j’ai aimé ça… et hop, tout de suite après, j’ai vu un film qui a coûté 2 sous, j’ai aimé ça aussi. On ne veut plus faire des ghettos. Même chose pour la langue. De temps à autre, tu vas tomber sur un court-métrage en anglais. C’est ça aussi l’image de la culture québécoise.
 
Panorama-cinéma : En effet, un film d’animation en anglais comme Vaseline & Pepper de Fraser Munden et Neil Rathbone, sur ce jeune montréalais qui va aux Amazones pour la première fois à 12 ans, sur la rue Saint-Jacques, ça relate une histoire ludique d’adolescence à travers laquelle pourrait se reconnaître une bonne partie des jeunes qui ont grandi dans l’ouest de la ville, par exemple.
 
Isabelle Gauvreau : Oui! C’est ça. Et c’est québécois aussi. On a un film, Can, réalisé par Arshad Khan. Il est à l’aéroport, et on sent que ses origines jouent contre lui. Il va aux toilettes, et c’est là que les policiers arrivent. Tu ris, mais en même temps, tu as un petit malaise. Le gars n’est pas là pour se plaindre et se lamenter. Mais il note quelque chose, et nous le renvoie. Ça, ça nous touche. Un film de Maude Michaud, Hollywood Skin, c’est une fille qui ne correspond pas aux critères hollywoodiens. Ça fait du bien de ne pas juste avoir de la « pitoune » et du plastique. Ça fait du bien d’avoir quelque chose d’un peu plus cru. Dans le DIY, tu vas le chercher davantage, je trouve. La diversité sociale, c’est une autre dimension précieuse que l’on retrouve dans le court-métrage.
 
Panorama-cinéma : Justement, parlant de diversité sociale, parlons du Wapikoni Mobile, qui est dans la programmation cette année.
 
Isabelle Gauvreau : Oui, on est très content. En fait, ils ont soumis deux films cette année. Les deux films ont été acceptés. C’est un projet qui a été mis sur pied pour les Amérindiens ayant des difficultés sociales afin de les impliquer dans un projet, ici la conception d’un film. Les deux que nous avons pris cette année, c’est La rage des morts-vivants et Windigo. De fil en aiguille, on a voulu faire venir les deux jeunes réalisateurs. Ce sont d’ailleurs les premiers invités du Fantastique Week-end. Ils vont venir présenter leur film et pourront assister à la remise des prix. Et même s’ils ne gagnent pas, d’être là, ça aussi c’est quelque chose qui pour nous est important. Oui, tu fais des films à l’autre bout de la province, mais tu fais partie de cette société-là. Oui, on peut regarder des films, mais on fait aussi partie d’une société de gens qui font des films. J’espère qu’ils vont en profiter.
 
Panorama-cinéma : C’est cette direction-là que veut prendre le Fantastique Week-end aussi, non? Un événement rassembleur...
 
Isabelle Gauvreau : Oui. C’est certain. Avec Pierre et moi, tu ne t’en sors pas. La dimension sociale et communautaire est extrêmement importante. Communauté de ceux qui font des courts-métrages. D'ailleurs, j’aimerais remercier Donald Caron pour l’affiche. C’est Pierre qui a eu l’idée du grand Antonio. Il voulait quelque chose qui représente bien le côté puissant du court-métrage, mais qui évoque le côté touchant de son histoire.

Amateurs de court-métrage, ou simplement poussés par la curiosité de découvrir quelques perles d'ici, rendez-vous cette fin de semaine les 23-24-25 juillet 2010 au Centre Cinéma Impérial, 1430 rue Bleury, métro Place des Arts.
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Article publié le 23 juillet 2010.
 

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