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28 Years Later (2025)
Danny Boyle

Généalogie d'une déception

Par Simon Laperrière

Par son simple titre, 28 Days Later (2002) annonçait déjà ses éventuelles suites. Il établissait une ligne de temps ponctuée d’arrêts précis. Chaque nouveau chapitre allait logiquement prendre la forme d’un saut dans le futur, un projet sériel qui appréhenderait l’évolution d’une invasion zombie dans sa durée. En passant des jours aux semaines, puis aux années, il deviendrait alors possible de réfléchir aux différentes stratégies mises de l’avant par l’humanité pour traverser l’apocalypse. Mieux encore, ce récit épisodique pourrait dépeindre l’accoutumance de la société à un hypothétique « monde d’après ».

La structure établie par le réalisateur Danny Boyle et le scénariste Alex Garland a comme modèle l’illustre « Saga des zombies » de George A. Romero, qui débute avec Night of the Living Dead (1968) et s’est conclue prématurément en 2009 avec Survival of the Dead [1]. Référence incontournable de toute production zombiesque, elle a inspiré au duo britannique une œuvre monumentale. De mémoire de cinéphile, rarement a-t-on vu un passage de flambeau aussi époustouflant. 28 Days Later, à défaut de surpasser les classiques de Romero, s’est imposé à son tour comme un pilier de l’épouvante. Le film a fait l’effet d’une révolution, normalisant entre autres l’idée du mort-vivant capable de courir. Tel le virus dont il décrit les ravages, son influence a tôt fait de contaminer ses nombreux successeurs, et non les moindres. Sans 28 Days Later, il n’y aurait probablement pas eu la franchise The Last of Us (2013-). Frank Darabont doit l’entièreté du premier épisode de Walking Dead (2010-2022) à sa scène d’ouverture. Véritable tour de force visuel, l’image cauchemardesque de Cillian Murphy errant dans les rues vides de Londres s’avère digne d’anthologie. Le confinement mondial de 2020 l’a d’ailleurs réactualisée en mème, signe indéniable de sa portée dans l’imaginaire contemporain.

Grandes étaient les attentes envers l’épopée promise par l’œuvre iconique de Boyle. Après un 28 Weeks Later (2007) réussi, la série a été mise en pause, laissant son avenir incertain. La possibilité d’un troisième opus a nourri de nombreux débats entre internautes. En plus de souhaiter ardemment sa concrétisation, les fans spéculaient sur les thèmes qu’il explorerait. Un retour à cet univers, aux dires de la communauté, serait une opportunité en or pour aborder différents événements propres à l’actualité récente. Cette suite rêvée avait le potentiel de servir de métaphore pour la pandémie de COVID-19 — ce que 28 Days fait donc rétroactivement — mais également du Brexit. Romero, après tout, a su démontrer la pertinence du film de mort-vivant à titre de miroir déformant de la civilisation. À Garland et Boyle de suivre le pas.

Si l’annonce du tournage de 28 Years Later a suscité l’émoi, la réaction à ses premières images a été dithyrambique. En cette ère où la quasi-totalité des reboots font sourciller le public, ce long métrage a fait figure d’exception en révélant que les suites continuent d’intriguer. À bien y penser, la bande-annonce du film de Boyle pourrait bien avoir donné lieu à l’un des grands moments de la scène culturelle en 2025. Diaboliquement bien ficelée — avec son emploi surprenant d’un poème de Rudyard Kipling — elle a été partagée, disséquée et théorisée, nourrissant ainsi une insatiable euphorie.

Signalons brièvement que ce type de phénomène mériterait une attention plus importante, ne serait-ce pour mieux comprendre la dynamique qui se dessine entre les productions audiovisuelles, leur campagne publicitaire et les fans. Il est regrettable de constater que la période qui précède la sortie d’un film est vouée à s’effacer de la mémoire. Une fois l’œuvre visionnée, toutes les émotions investies par son attente se dissipent subitement. Loin d’être vaines, elles contribuent plutôt à l’élaboration d’une culture populaire qui se vit avant tout dans le désir. Elles ont surtout un impact colossal sur la réception de l’objet convoité, qui doit répondre à des souhaits difficiles à combler. C’était le cas pour Batman v Superman: Dawn of Justice (2016) de Zack Snyder ainsi que du jeu vidéo No Man’s Sky (2016). Ce l’est également pour 28 Years Later.

On l’aura compris, ce film s’accompagne d’un sacré bagage, qui le dépasse au point d’interdire la moindre lecture autonome, le condamnant injustement à décevoir, un risque imminent que ni Boyle, ni Garland ne semblent avoir considéré. 28 Years Later, curieusement, ne tient pas compte du passage du temps, et ce, autant par sa prémisse que le genre duquel il se revendique.

L’ouverture de Day of the Dead (1985) de Romero fascine en nous balançant dans une ville abandonnée depuis des décennies, n’ayant que des cadavres en guise de population. En alternant l’action entre une zone forestière et une île où des survivant·e·s ont bâti une nouvelle communauté, Boyle échoue à nous faire ressentir la gravité de la fin d’un monde. Débuter avec un texte précisant que l’Angleterre est désormais une zone sinistrée ne suffit pas, l’apocalypse s’exprimant beaucoup mieux à travers des décors en ruines.




[Columbia Pictures / Decibel Films]


Bien que sympathique, le choix de l’histoire racontée pose un problème similaire. En suivant un adolescent qui, accompagné de sa mère confuse, explore un lieu hostile à la recherche d’un médecin, Garland perd de vue l’attrait universel des grands récits crépusculaires. Son scénario s’avère plutôt anecdotique, pour ne pas dire carrément bancal. L’écart temporel avec le premier film n’y joue qu’un rôle superficiel, la quête du jeune héros pouvant finalement se dérouler à peu près n’importe quand dans cet univers canonique.

Ces considérations narratives pointent vers un enjeu plus vaste. Compte tenu du statut de 28 Days Later évoqué plus haut, Boyle avait ici l’occasion de boucler la boucle en proposant une synthèse de la vague amorcée par son propre film. À la place, il préfère ignorer ses successeurs en ne renvoyant qu’à l’œuvre originale. Coincé au début des années 2000, 28 Years Later ne cherche pas à innover sa propre formule et paraît donc anachronique.

Or les aspects les plus réussis de l’œuvre découlent précisément de cet entêtement à demeurer dans le passé. Le metteur en scène renoue admirablement avec l’esthétique hyperréaliste du premier opus. Ses images numériques sont aussi moches que crues, le montage délibérément chaotique. Encore une fois, l’emploi de petites caméras (plus précisément celles de iPhones) permet de créer des scènes d’action frénétiques. Le mouvement des appareils se marie à celui de ces monstrueuses goules, la tension devenant particulièrement haletante. Ces chorégraphies culminent avec des explosions gore jouissives parce que granguignolesques.

C’est au cours de ces séquences que le retour aux sources fait réellement plaisir. Il s’imprègne d’une énergie grotesque qui, par sa désinvolture, se moque des aspirations de l’elevated horror. Boyle et Garland visent les tripes plutôt que la tête. Peut-être même que son ambition se trouve finalement dans une volonté mesquine de raser sauvagement les espoirs des adeptes de 28 Days Later, de plonger dans l’absurde pour tourner au dépourvu. Une hypothèse que la finale complètement surréaliste laisse présager. Si cet épisode ne correspond pas tout à fait au projet initial de la saga, il offre par moments un spectacle d’une radicalité telle qu’elle atténue la déception. Espérons maintenant que 28 Years Later : The Bone Temple (2026) poursuivra la réflexion philosophique entamée en 2002. Réalisée par Nia DaCosta, cette suite se fait déjà désirer.


 


[1] Avant son décès en 2017, Romero a effectivement rédigé la prémisse d’un ultime épisode intitulé « Twilight of the Dead ». Le cinéaste Brad Anderson devrait, aux dernières nouvelles, en tirer un long métrage.

 

 

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Simon Laperrière est un critique et essayiste. Il enseigne également le cinéma au niveau collégial. En 2018, il publie Series of Dreams : Bob Dylan et le cinéma aux Éditions Rouge profond. Il co-dirige « Les nuits de la 4e dimension », une série de projections dédiée aux films excentriques.

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Critique publiée le 26 juin 2025.